Développement de l'enfant

Dès l’école primaire, pendant la récré, les enfants discutent des dessins animés qu’ils regardent à la maison : « On joue à faire comme si on était Ladybug et Chat noir ? », « Eh, tu as vu le dernier épisode des Winx ? ». Ces dessins animés, certains parents ne les cautionnent pas. Comment faire alors pour rester fidèle à ses valeurs tout en évitant que son enfant soit exclu socialement ?
À partir de 6 ans, nos petit·e·s commencent tout doucement à regarder des séries après l’école ou le week-end. Télé, vidéos YouTube, séries Netflix, Disney Chanel… l’offre est considérable. Généralement, c’est le parent qui choisit le dessin animé qui passe à l’écran. Il a donc encore le pouvoir de décider ce que l’enfant peut visionner.
Aude et Anthony sont les parents de Laure, 6 ans, et de Roxane, 8 ans. Ils ont pris l’habitude de filtrer les séries que leurs filles demandent à regarder, mais se retrouvent parfois coincés.
« On les autorise à voir les Winx, Miraculous ou Vampirina. Mais c’est un peu par la force des choses, puisque tous les enfants en parlent dans la cour. On n’a pas envie que Laure et Roxane soient isolées de leurs copains et copines, même si on trouve que ces dessins animés n’ont aucun intérêt. On met donc un cadre - elles peuvent regarder deux épisodes tous les vendredis – et on se rassure en imposant de regarder ces émissions en anglais ou en espagnol, pour qu’elles apprennent une autre langue. »
De leur côté, Florence et Manu, parents d’Elouan, 8 ans, et de Nino, 5 ans et demi, ont fait un choix plus radical. Chez eux, il n'y a pas de télé, et ils évitent les écrans le plus possible.
« Les exceptions, c’est très rare, par exemple quand il fait vraiment moche, et ce sont des dessins animés en anglais, en format très court, que nous avons choisis nous-mêmes, non violents et avec un chouette message derrière. On n’a pas envie de tomber dans le piège où tu allumes ton écran pour un oui ou pour un non, que tu regardes des vidéos inintéressantes car tu n’as rien d’autre à faire. Et puis, on n’a pas envie non plus que les enfants nous demandent toutes les deux minutes à regarder l’une ou l’autre série et qu’ils n’aient plus l’inspiration de faire autre chose. Pour l’instant, ils inventent des jeux et jouent pendant des heures dans leur imaginaire et j’ai envie de les encourager à continuer. Bon, parfois, avec les enfants de l’habitat groupé ou quand on est en vacances avec des amis, ils regardent un Disney, mais c’est assez rare. »
Le dilemme du parent
Aude, Anthony, Florence et Manu n’ont pas fixé les mêmes règles concernant les écrans. Ils éprouvent néanmoins tous les quatre des réticences à l’égard des dessins animés que leurs enfants regardent. Ceci est-il propre à une majorité de parents ?
Maurice Johnson Kanyonga, psychologue et psychopédagogue, émet l’hypothèse selon laquelle « les parents ont peur du pouvoir hypnotique de la télévision, du fait que cette dernière impose une certaine passivité. Ils veulent préserver leurs enfants d’images choquantes ou violentes car, à ces âges-là, les petits n’ont pas encore la maturité nécessaire pour avoir du recul par rapport à ce qu’ils voient ».
Des codes et un certain langage imposés dans la cour de récré par la popularité de certains programmes télé
Face à ces appréhensions, que faut-il privilégier ? Le risque de voir son enfant isolé socialement dans la cour ou la défense de ses valeurs familiales ? Le psychiatre Serge Tisseron, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet et de la règle 3-6-9-12 sur la consommation des écrans), rappelle que « les êtres humains sont des créatures fondamentalement sociales, et les échanges autour des écrans constituent aujourd’hui une grande part de l’activité sociale des enfants comme des adultes. Si un parent empêche son enfant de regarder certains spectacles qui pourtant correspondent à sa tranche d’âge, il faut qu’il soit capable de le justifier auprès de l’enfant. Les parents ont en effet le devoir d’élever leurs enfants dans le respect de la loi commune et pas celui de leur imposer leurs choix personnels ».
Le risque de l’isolement social
Si Aude et Anthony ont décidé d’autoriser leurs filles à regarder ces séries tendance, c’est notamment parce qu’Anthony, petit, n’avait pas accès à ce qui passait en télé à cette époque. « Il a donc été embêté dans la cour, car les autres parlaient de plein d’émissions qu’il ne connaissait pas. Il n’a pas envie que ses enfants vivent la même chose ».
Maurice Johnson Kanyonga analyse ce risque de « marginalisation ». « Quand le programme télévisé est populaire, celui-ci impose des codes et un certain langage que les enfants reprennent. Ceux qui ne savent pas de quoi il s’agit peuvent effectivement se sentir à l’écart. Et les copains et copines peuvent juger leurs parents, les considérer comme trop rigides, trop stricts voire vieux jeu, même si cela n’est pas forcément vrai ».
Florence et Manu sont conscients des risques qu’ils prennent en ne proposant pas les dessins animés « à la mode » à leurs enfants. Ils essaient de trouver un équilibre de façon à rester fidèles à leurs valeurs tout en veillant à ce que leurs enfants restent connectés socialement.
« Pour l’instant, ils ne sont jamais revenus de l’école avec cette demande, mais c’est vrai que ce midi, je parlais de votre article à Manu, et Elouan nous a entendus. Il nous a alors dit que, parfois, ses amis parlent de superhéros ou d’histoires qu’il ne comprend pas car il ne les a pas vus. Nous ne voulons pas que nos enfants soient exclus à cause de ça, nous restons attentifs à cela. »
ALLER + LOIN
La responsabilité parentale
Serge Tisseron rappelle que, d’une manière ou d’une autre, les enfants auront toujours accès à des séries TV quand ils iront chez leurs camarades. Ils en viendront à regarder des programmes que le parent ne cautionne pas forcément.
« La vraie question n’est donc pas de savoir s’il faut empêcher les enfants de regarder des programmes que nous jugeons ne pas être pour eux, mais de s’informer sur le bien-fondé de nos a priori en regardant nous-mêmes ces dessins animés. Et très souvent nous nous apercevrons que nous nous trompions. Autrement dit, ce ne sont pas les écrans qui sont un problème, mais le fait que trop de parents n’accompagnent pas leurs enfants dans leurs découvertes. »
Maurice Johnson Kanyonga renchérit : « Quand il regarde un dessin animé, l’enfant est dans l’imaginaire. Il faut donc rester attentif car il peut se faire une interprétation des choses. Des héros surpuissants, des personnages qui meurent et ressuscitent… cela peut avoir une influence sur sa perception de la réalité. Le parent se doit donc de regarder le programme avec l’enfant et d’en discuter avec lui. Voir ce que l’enfant en pense, ce que ça lui fait comme effet. L’adulte peut aussi donner son avis, qu’il soit en accord ou en désaccord avec l’enfant, ce qui permet à l’enfant d’avoir du recul. Et si, vraiment, le parent ne supporte pas que son enfant regarde un certain programme, il lui en explique les raisons. Ainsi, l’enfant a de quoi se justifier auprès de ses camarades ».
Florence et Manu sont prêts à changer leurs modes de fonctionnement si nécessaire. « Si un jour, Elouan et Nino revenaient vraiment avec une demande, nous essaierions de comprendre, nous leur demanderions quel est le dessin animé qu’ils souhaitent regarder et nous pourrions éventuellement regarder quelques épisodes. Mais pour l’instant, nous n’avons pas l’impression que ce soit un sujet de conflit ou de tension à la maison, et nous en profitons ».
Enfin, n’oublions pas que « la télévision reste un outil que les parents utilisent bien plus que les enfants, souligne Maurice Johnson Kanyonga. Même si l’enfant n’est pas dans la même pièce au moment où les parents regardent, il sait ce qu’il se passe ». Soyons donc attentifs à rester cohérents sur les interdictions que nous imposons aux autres et celle que nous nous autorisons.
LA QUESTION
Le visionnage des dessins animés pour les enfants de 6 à 10 ans est-il problématique ?
Maurice Johnson Kanyonga ne le pense pas nécessairement. « L’écran, et les émissions télévisées qui y sont projetées, est un outil intéressant pour l’éducation. Il permet d’engendrer des discussions, de varier les activités de l’enfant, de le divertir. Il ne faut donc pas le bannir, il faut juste pouvoir l’éteindre. Le vrai problème, c’est de n’avoir aucun contrôle sur le temps d’exposition des enfants. »
Dans son ouvrage Grandir avec les écrans - La règle 3-6-9-12 (érés), Serge Tisseron va dans le même sens. « L’homme a inventé l’écriture, puis le livre et l’imprimerie, pour prendre en relais et augmenter certaines de ses possibilités mentales et psychiques, mais il a aussi inventé les écrans et la culture numérique pour prendre en relais et augmenter d’autres possibilités que la culture du livre laisse de côté. Ce ne sont pas les écrans qui sont un problème, mais leur mauvaise utilisation. Et, bien souvent, c’est en développant les bonnes pratiques qu’on peut le mieux s’opposer aux mauvaises. »
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