Droits et congés

Nicolas et Stéphanie Ykman n’ont rien d’exceptionnel. Ils vivent le quotidien de nombreux parents. Et s’interrogent sur cette difficile conciliation entre temps à la maison, temps au boulot et temps des enfants à l’école...
L’an dernier, nous rencontrions le psychologue Aboude Adhami, pour évoquer son spectacle, De l’accélération du temps, un one man show sur le temps et les parents. Un article paraît dans le Ligueur ), Nicolas et Stéphanie le lisent, se précipitent au spectacle, en sortent ravis… et prennent contact avec nous pour témoigner de leur quotidien.
Nous les retrouvons chez eux, à Braine-l’Alleud, après la mise au lit d’Éline (avec accent sur le É, insiste le papa !), 4 ans, et de Lucie, 2 ans et demi. Des Duplo sur la table du salon, des coins-jeux à droite et à gauche : leurs filles ont investi les lieux.
Finie, la vie de célibataires
D’emblée, Stéphanie se lance : « Étudiante, je courais déjà. Mes week-ends et mes soirées étaient surchargés. J’adorais cela, je vivais en colocation, j’avais quand même le temps de me poser ». Nicolas se souvient : « On se demandait même comment combiner nos deux agendas. »
Stéphanie continue : « La vraie course est venue après mes six mois de congé de maternité. Je suis tombée de mon nuage en reprenant le travail. J’étais furieuse que personne ne m’ait dit qu’être maman, cela pouvait être dur. On a encore l’image de la maman toujours souriante. C’est un gros piège. Le manque de temps accentue le fait que ce n’est pas le rêve absolu. »
Très vite, elle demande un travail à 4/5e, qui lui est d’abord refusé, puis accordé. Avec la naissance de la deuxième, la roue du temps prend un nouveau coup d’accélérateur. Ils décident de prendre de bonnes résolutions (lire encadré), pas toujours simples à respecter : « On a pris une certaine distance par rapport à une vie de célibataires très actifs. »
Pas de regrets, cependant, insiste Stéphanie : « Je suis contente d’avoir profité de ma vie estudiantine. Je n’ai aucune tristesse d’avoir tourné la page. Je refuse cette obligation de rester jeune, comme si ralentir le rythme donnait un coup de vieux ! ». Nicolas embraie et va plus loin : « On s’est rendu compte qu’il y avait d’autres choses à vivre. »
Le temps devient un sujet de discussion et d’attention entre eux. À tel point qu’ils décident de se mettre au vert tout les ans durant un week-end pour y réfléchir davantage. « Au boulot, les grands projets, ça se prépare, alors pourquoi pas notre projet de couple et familial, sourit Stéphanie. Nous avons décidé que notre vie sociale serait moins remplie, mais plus vraie, plus intéressante. Et nous en profitons mieux. »
Concilier l'inconciliable
Leur réflexion va aussi bien au-delà de ce qu’ils vivent en couple. Ils rejoignent en cela les combats de la Ligue des familles : « On n’a que 24 heures dans une journée et la société impose un rythme fou qui ne cadre pas avec celui de deux parents qui travaillent. On a fait des progrès côté émancipation de la femme, mais certains aspects pratiques de la société ne se sont pas adaptés à cette évolution. L’école, la crèche, le travail sont organisés comme si les mamans étaient encore à la maison. Les horaires de travail, notamment, ne se sont pas adaptés à ceux de l’école. Les vacances, concentrées sur un gros bloc de temps, mériteraient d’être mieux réparties. »
Sur ce point, Stéphanie se veut revendicatrice : « C’est super de pouvoir travailler. Je ne veux pas arrêter. Mais tenir une maison, élever des enfants, vivre sa vie de couple, avoir des amis, des engagements… c’est plusieurs temps pleins. Le rythme devient intenable. Se lever le matin à la hâte parce que le train n’attend pas et idem le soir où l’on doit tout faire en un temps record, quel est le sens de cette course ? On manque de temps lents. Il y a une richesse dans les rencontres quand on prend le temps, quand on peut discuter avec la boulangère, par exemple. Les enfants en profitent aussi. »
« Ce qui me dérange, précise Nicolas, c’est le manque de flexibilité. On ne peut se permettre ni excès, ni écart. On est constamment à flux tendu. Or, pour qu’un projet naisse, pour que des associations émergent, pour s’engager dans du bénévolat, il faut du temps où l’on n’a rien à faire, où le cerveau est libre. Les gens sont abrutis par ce rythme qui les empêche de se poser et de réfléchir. »
Une autre société
Stéphanie gère le site d’une ONG soucieuse du bien-être des enfants, Nicolas travaille pour un service public. Il participe également à un mouvement citoyen qui veut repenser radicalement la société : « Je suis convaincu qu’il faut changer notre relation au travail. On gagne de l’argent par notre travail, mais on n’a pas de temps. Si on inversait le système ? On nous fait croire que la consommation rend heureux, alors que si on consomme moins, on peut travailler moins. On pourrait, par exemple, avoir plusieurs emplois à temps partiel, dont certains salariés et alimentaires et d'autres, peut-être moins rentables, mais plus passionnants en tant qu'indépendants. »
C’est ainsi que le frère architecte de Stéphanie consacre une partie de son temps de travail à sa passion pour l'aïkido, en donnant des cours à des enfants. Avec son épouse mexicaine, il a lancé un food truck, El Taco Mobil, qui amène la cuisine traditionnelle mexicaine dans les rues de Bruxelles. « Cela me donne énormément d’espoir sur l'avenir du travail », s’enthousiasme Stéphanie.
Stéphanie et Nicolas pensent aussi à leurs filles quand ils évoquent ces questions. Ils veulent leur donner une image positive du travail et de la vie en société. « Elles voient comme nous courons. Nous sommes effrayés quand elles commencent à nous dire qu’il faut se dépêcher, même le week-end. Nous faisons des efforts pour ne pas leur imposer les rythmes qu’on nous impose, sans leur faire croire qu’on vit dans un monde de Bisounours, mais c’est très difficile. »
C’est ainsi que, concrètement, ils essaient de faire le maximum de déplacements à pied. Navetteurs l’un et l’autre, ils profitent de la proximité entre la maison, la crèche, l’école et la gare. Un vrai luxe, à leurs yeux. « La voiture est plus stressante, concède Stéphanie. La marche ralentit cette course quotidienne, permet de s’imprégner des ambiances, enfants comme parents. »