Développement de l'enfant

Le temps de l’enfant n’est pas celui de l’adulte. L’un et l’autre font à tour de rôle des concessions pour s’adapter au temps qui n’est pas le leur et rendre possible la vie quotidienne en famille.
Dans l’organisation familiale de tous les jours, préparer tout le monde pour que Zoé soit à la crèche à 7h45, William à l’école à 8h15 et papa et maman sur leur lieu de travail à 9 h laisse peu de place à l'imprévu. Cette course continuelle correspond, sinon au temps des parents, du moins à celui d’une société d’adultes dans laquelle tous, petits et grands, sont plus ou moins contraints de s’inscrire.
Peut-on « perdre » cinq minutes sur le trottoir avant de s’engouffrer dans la voiture parce qu’il a plu et qu’un escargot, toutes antennes dehors, a attiré l’attention de William ? En agissant de la sorte, on respecte mieux le temps des enfants. Le parent qui se sera accroupi pour montrer avec délicatesse comment les antennes se rétractent quand on les touche, y aura sûrement trouvé son compte, mais les circonstances ne le permettent pas chaque fois.
Dans ces moments d’organisation, les adultes ont la charge de travail et les enfants, selon leur degré d’autonomie, y prennent une part plus ou moins active. Si on caricature un peu (mais si peu), l’enfant est réveillé (par son parent), est habillé (avec sa participation), mange et boit (« William, ne traîne pas ») et se met en mouvement vers la vie extérieure. Selon les jours, il rêvasse un peu ou commence à jouer (« William, ce n’est vraiment pas le moment ! »). Ou bien, le premier prêt, il fait mine d’ouvrir la porte de rue et les « Attends » alternent alors avec les « Dépêche-toi ».
Le bébé est sensible au rythme
Le petit bébé, lui, est sensible au rythme. Ainsi, il capte les rythmes physiologiques de sa maman (pulsations, respiration, balancement de la marche) et il perçoit l’alternance de ses propres sensations (faim/satiété, sommeil/éveil, couché dans son couffin/tenu dans les bras…). Très vite, des séquences se répètent et le bébé en repère le déroulement : je dors, je me réveille, j’ai affreusement faim, mon lange déborde, j’ai trop chaud, je m’étire en grimaçant, m’agite, finis par pleurer… Au bout d’un temps papa ou maman arrive, me prend et s’occupe de moi.
Ce temps d’attente ouvre un espace où pourront émerger les premières ébauches de représentations, sensorielles, fugitives, sommaires et parcellaires. En attendant maman, et sachant qu’elle va venir car elle vient toujours, je me « représente » son odeur, le goût de son lait, la douceur et la chaleur de sa peau, la modulation de sa voix, sa façon de me tenir, l’éclat de son regard, l’animation de sa mimique…
Au fil du temps, ces représentations vont s’étoffer et se complexifier. Cet espace d’attente dans la sécurité sera un véritable tremplin de l’élaboration de la pensée de l’enfant, de son imaginaire et de ses compétences créatives. La plupart des parents ménagent cet espace spontanément : ils le laissent s’ouvrir en n’accourant pas au premier vagissement, ni surtout en le devançant, mais ils ne supportent pas eux-mêmes de le laisser se prolonger au-delà d’un temps qui deviendrait angoissant.
La frustration : inévitable !
Dans la vie, les temps d’attente sont inévitables, pour les adultes comme pour les enfants. Ils peuvent constituer une frustration raisonnable et aident à prendre conscience qu’on ne peut tout maîtriser. Cet espace de transition, chacun le remplit à sa manière. À la crèche, Matteo, 3 mois, après avoir paisiblement commencé la journée, puis enchaîné avec une longue sieste, se montre agité depuis son réveil. Il est tendu, il gigote, pleurniche, a une expression un peu anxieuse, avec de grands yeux qui regardent partout. Il refuse le biberon proposé, ne se calme pas dans les bras de la puéricultrice…
On ne peut que faire des hypothèses, mais il vient inévitablement dans la tête des adultes présents qu’il… attend que ses parents viennent le chercher. Dans la section d’à côté, Frédérique, âgée de 2 ans, a interrogé plusieurs fois sa puéricultrice - « Papa ? Maman ? », « Maman vient te prendre tout à l’heure, comme tous les jours » -, puis s’en est allée chipoter avec les animaux de la ferme. Finalement, quand sa maman arrive, elle lui jette un coup d’œil en biais et continue un peu son jeu, avant de se lever avec nonchalance et de venir vers elle avec un large sourire. Rayan, même âge, a posé les mêmes questions et reçu des réponses comparables, mais il n’a plus quitté la puéricultrice, la tenant par son pull et lui adressant des regards suppliants chaque fois que retentissait la sonnette.
L’autre soir, Simon, 10 ans, a accompagné ses parents chez des amis. Ils ont mangé ensemble, puis Simon s’est allongé sur le divan et s’est endormi, délicieusement bercé par les accents assourdis de la conversation des grands. Au plus profond de son sommeil, son papa vient tendrement lui remettre ses chaussures et lui enfiler son manteau. Simon rouspète et ses yeux peinent à rester ouverts. Tandis que les adultes s’habillent pour sortir, la discussion redémarre dans le hall d’entrée et… s’éternise. Simon, lourdement appuyé contre la porte, intervient : « Oui mais on y va maintenant, si vous vouliez encore parler, fallait pas me réveiller… ». Les enfants plus jeunes ne peuvent pas souligner avec autant de pertinence que Simon les petites contradictions des adultes.
À d’autres moments, petits et grands attendent ensemble : dans la salle… d’attente du médecin, dans les embouteillages, à l’arrêt du bus… Moments de disponibilité mutuelle, sur lesquels peuvent fleurir à l’improviste d’importants et délicats échanges. À déguster sans modération !