Développement de l'enfant

Pourquoi choisir la thématique de la table pour symboliser la vie à la maison ? Parce que c’est LE média familial. C’est là où tout se passe. Débat, combat de fourchettes, engueulade, rigolade, grand moment, petits riens, ambiance pesante, atmosphère sereine. Pour tous, c’est l’arène. La scène du quotidien. Que se passe-t-il dans et autour de l’assiette ? Vos enfants chéris vous racontent-ils tout pendant que vous passez les plats ? Immersion dans un repas familial à l’écoute des jeunes et réactions du sociologue Miguel Souto Lopez
TOI, TOI, MON TOIT
Cédric, 15 ans : « L’enfer »
Comment sont vécus les moments en famille dans la vie de tous les jours ? Nous posons la question à Cédric, un grand gaillard. Il est entouré de ses copains et a l’air bien dans sa peau. Il a même des allures de petit chef. Mais visiblement, une fois chez lui, c’est la débâcle. « Je déteste rentrer chez moi. Et plus que tout, je déteste les repas en famille. D’ailleurs, ça se passe tellement mal que maintenant ma mère fait un plat pour la famille et chacun se sert dans la casserole. On ne soupe plus ensemble. Sinon, c’est soit le journal parlé en silence, soit les engueulades. »
Diane, 14 ans : « Un moment important »
Un peu plus loin, Diane ne l’envisage pas de la même manière. Ses parents, ses frères et sœurs sont une sorte de refuge et le repas semble être un moment important pour prendre de la hauteur. « Je n’aime pas l’école dans laquelle je suis. Nous avons déménagé cet été et depuis la rentrée, je n’arrive pas à me faire d’ami(e)s. Alors, le repas du soir, c’est tout ce qu’il me reste. Avec mes parents, on parle de tout. On approfondit la journée, les cours. Les grands conseillent les petits et mon père et ma mère nous racontent des anecdotes de boulot. J’aime bien ce moment. C’est important pour moi de pouvoir parler, moi qui suis si timide à l’école et n’ouvre pas la bouche de la journée. »
Francesca , 13 ans : « Une drôle de place »
Puis pour d’autres, c’est un peu mi-figue, mi-raisin. Francesca nous donne l’impression que les places sont un peu figées chez elle et qu’il est compliqué de sortir du rôle attribué à chaque membre de la famille. « Nous sommes trois frères et sœurs. Je suis au milieu. Mon grand-frère est le héros, ma sœur, la petite star. Les histoires du grand font marrer mes parents. Et dès que la chouchoute dit quelque chose, ils disent qu’elle est ‘trop mignonne’. Moi je suis le vilain petit canard. Je ne finis pas mon assiette toujours trop remplie, c’est un problème. Je ne dis rien, je suis une ado en crise. Je parle, je suis une pipelette. J’ai l’air de me plaindre, pourtant j’aime bien ces moments là. Ce que je préfère ? Quand on m’écoute sans me juger. »
► L’avis de notre expert
Grande question des parents : comment améliorer l’ambiance à la maison, à la table familiale ? Il est peut-être constructif d’identifier où le dialogue est fêlé. Inutile de se mettre autour d’une table et de dire : « Allez, on parle ». Il ne faut pas forcer la discussion. Parfois, les plus constructives sont celles qui arrivent par hasard, lors d’une promenade ou d’une activité. Si forcer le dialogue n’est pas nécessairement la meilleure solution, forcer un peu le hasard n’est pas une mauvaise chose. Cela peut se faire simplement : en multipliant les moments passés ensemble à travers des activités qui vont aider à renforcer le lien et la confiance mutuelle. Il ne s’agit pas non plus d’être envahissant. Tout est une question de dosage et tout dépend de la situation familiale. Quand on observe les témoignages, on se rend compte qu’on est face à deux mondes. Ceux qui sont contents et ceux pour qui c’est l’enfer. Ces univers sont extrêmement contrastés. Le dialogue peut être très dur, parfois impossible. Si des enfants ou leurs proches savent que la discussion est impossible à nouer, mettez en perspective l’histoire avec celle de vos parents. La clé, c’est de se mettre à la place de l’autre, d’essayer de comprendre. Que chaque famille, avec son lot de situations complexes, se mette bien en tête que rien n’est figé. Et parfois, quand on arrive à l’âge adulte, les relations changent. C’est d’ailleurs pour ça que les enfants veulent se mettre à travailler rapidement, ils savent qu’ils seront traités d’égal à égal une fois arrivés sur le marché du travail.
AH, L’EXEMPLE !
Ali, 14 ans : « Ils sont à la masse »
Les règles parentales ne sont jamais tout à fait évidentes à faire appliquer. Mesures drastiques, ligne de conduite, chacun a son truc. Ali, comme beaucoup d’ados de son âge, trouve celles de ses parents injustes. « Mes parents sont des malades mentaux. Mon père ne veut pas que l’on regarde la télé. Jamais. Il dit que ça fait fondre le cerveau. Il le pense vraiment. Mais le truc, c’est que lui, il la mate. Donc à table, on se retrouve avec mes frères et sœurs face à mon père qui est scotché devant la télé. Et ma mère trouve ça normal. Vous imaginez le truc de fou ? »
Luce, 13 ans : « Je suis leur boniche »
Sentiment partagé par Luce pour qui le règlement interne du foyer est souvent excessif. « J’aime bien mes parents, mais ils ne font jamais comme les autres. Je vis seule avec eux. Je n’ai pas la télé, pas le droit d’aller sur l’ordinateur et de me servir de mon GSM le soir. À table, il faut tout le temps que je raconte ma journée. Je débarrasse la table - je suis la seule à le faire - et ils m’ont même proposé de faire la cuisine bientôt. Il faudra que je paye un loyer, si ça continue… »
► L’avis de notre expert
L’éducation doit être cohérente. Il y a les règles qui s’appliquent aux enfants et celles destinées aux parents. L’exemple du père qui dit que la télé « fait fondre le cerveau » est intéressant. Imaginez ce que l’enfant se demande : s’agit-il d’une image ? Le cerveau fond-il vraiment ? L’enfant doit pouvoir comprendre les raisons qui poussent le père à avoir de telles théories et pourquoi les règles qui en découlent ne s’appliquent pas à lui. N’oublions pas que l’exemple fait partie de tout apprentissage !
Finalement, c’est la même chose pour Luce. Je pense que ses parents lui imposent un règlement qu’elle ne comprend pas. Pourquoi est-il interdit de regarder la télé ? Pourquoi dois-je faire la cuisine ? À trop vouloir bien faire, l’inverse peut se produire. Comme le montre l’exemple de la discussion imposée chaque soir chez Luce. Le sur-dialogue est inutile. Il faut trouver la bonne distance et le juste dosage. Ce qui n’est pas toujours évident. Heureusement, il n’existe ni diplôme, ni formation pour cela !
RÉGIME TOTALITAIRE
Yanis et Ben, 13 ans : « Marre des légumes »
Et dans l’assiette, que se passe t-il ? La génération malbouffe est paradoxalement gavée de lubies parentales de plus en plus sensibles au bien-être alimentaire. On se retrouve devant un fast-food où l’on rencontre deux potes qui ont fait leur plein de graisses et de sucres : « Aaaah, ça fait du bien ! Une fois de temps en temps. Pas tous les jours. Chez moi, on ne mange que des trucs du marché. Ma darone (ndlr : mère), elle est à fond pour les légumes et les soupes. On ne mange presque plus de viandes. Une frite, un gros soda, c’est trop bon. »
Ben ne semble pas tout à fait soumis au même régime. « Chez Yanis, c’est trop chelou, on mange que des trucs bio et tout. Chez moi, c’est plus normal déjà. On a des croquettes, de la viande, des pizzas… ». Yanis le coupe : « Ouais, mais nous on n’est pas des gros porcs ». Ils rigolent. Puis Ben de conclure « C’est vrai que mon daron (ndlr : père), il doit bien faire dans les 200 kilos ! »
Anaïs, 14 ans : « Végétarienne et incomprise »
Alimentation toujours. On croise Anaïs sur un célèbre marché aux produits bio du centre de Bruxelles. La jeune fille choisit scrupuleusement ses légumes et semble même conseiller ses parents. Surprenant pour une ado de cet âge.
« J’ai vu un documentaire horrible sur les abattoirs et, petit à petit, je me suis mise à ne plus manger de viande. Ma résolution pour 2015, c’est de ne plus en manger du tout. Mes parents sont inquiets (Les parents, tout près, opinent du bonnet). Ils sont favorables au fait que je mange de bons légumes, mais disent que je suis trop jeune pour arrêter les protéines animales. Eux mangent de la viande tous les jours. C’est beaucoup trop. J’aimerais bien qu’ils me laissent faire ce que je veux. La viande m’écœure, je ne vais pas me forcer ! Je vais les obliger à arrêter de manger des animaux morts. Des parents, ça s’éduque ! »
Laura 12 ans : « À la carte »
Sur le même marché, on croise Laura qui semble un peu subir les lubies alimentaires de sa mère. La jeune ado n’est pas passionnée par les questions liées à l’alimentation, mais semble comprendre que ce soit important pour sa maman. « Ma mère a décidé de se mettre au régime. Elle fait donc attention à ce qu’elle mange. C’est très bien. Mais je lui ai bien dit que des légumes à tous les repas, c’est hors de question. Je mange des crasses et quand je sens que j’ai abusé, je suis son régime. Et je vois bien qu’elle aussi, elle aimerait bien se taper des pâtes ou des frites. » (La gamine regarde droit dans les yeux sa mère qui, gênée, acquiesce).
► L’avis de notre expert
L’alimentation est une éducation. Effectivement, un fast-food de temps à autre, ce n’est pas très grave. Ce qui est intéressant, c’est que mis à part Anaïs, on voit bien que les enfants adoptent les régimes alimentaires de leurs parents. Il n’y pas trop d’acrimonie dans les témoignages, pas trop de remise en question. On pourrait même dire qu’il y a une sorte de mimétisme. Laura fait comme sa mère : des excès, puis des régimes. Ce qui montre bien votre responsabilité en tant que parents sur ce point-là. L’éducation alimentaire va déterminer en grande partie les réflexes nutritifs de vos enfants.
Yves-Marie Vilain-Lepage
En pratique
Comment manger mieux ?
- Besoin d’aide pour inculquer les bons réflexes alimentaires ? Commençons avec Bien manger pour bien grandir aux éditions De Boeck. Cet ouvrage présente les principes de base d'une alimentation saine pour enfants et grands enfants. Très pratique et pédagogique.
- La ferme du Prévôt propose une formule champêtre pour toute la famille. Dégustation sur place, fabrication de produits et autres surprises. L’idéal pour sensibiliser le fiston qui ne s’alimente que de dürüm aux bons produits ou ouvrir le champ (c’est la cas de le dire) à la jeune fille qui ne rêve que de manger de la salade.