Développement de l'enfant

Des enfants… « trop tout » !

On les a appelés surdoués avant de les baptiser « à haut potentiel » ou « HP » (« haut potentiel intellectuel » ou « intellectuellement précoces », précisent les Français). On les appelle aussi « sentinelles » parce qu’ils perçoivent beaucoup de choses avant les autres ». Ou encore « zèbres », car difficiles à apprivoiser. Mais qu’est-ce qui rend ces enfants HP différents des autres tout en leur étant très proches ? Carine Doutreloux, administratrice de EHP Belgique, nous aide à mieux les comprendre

Quand on l’interroge sur le profil des enfants HP, Carine Doutreloux répond qu’ils sont « complexes, subtils, extraordinaires et pleins de paradoxes ! ». Et ajoute : « Ils sont aussi hyper, intenses, trop tout tout le temps, même la nuit ! ».
C’est leur fonctionnement cérébral particulier - leur pensée est en arborescence et non pas linéaire - qui fait de ces enfants de véritables petits capteurs. Avec leurs sens très développés, ils enregistrent énormément d’informations et se posent de nombreuses questions qui, automatiquement, immédiatement, en entraînent un faisceau d’autres. Ce flux permet une compréhension intellectuelle globale et extrêmement rapide de situations parfois très complexes, mais provoque des difficultés à structurer une pensée, un travail.
Tout petits, ces enfants sont vifs et curieux. Bons observateurs, ils sont très jeunes capables d’abstraction. Ils peuvent émettre des remarques pertinentes qui vont parfois déstabiliser, si pas choquer, l’adulte.
Chercheurs de sens, d’explication, de justification, ils sont facilement considérés comme provocants. « Souvent, leurs remarques sont pertinentes sur le fond, vu leur logique, mais la forme n’est pas adéquate, explique Carine Doutreloux. Ils accepteront une autorité si, à leurs yeux, elle a du sens. »

Des intérêts pas de leur âge

Les enfants HP ont tous leurs apprentissages précoces : la marche, le langage, la lecture et ce, sans avoir été particulièrement stimulés. Par contre, ils peuvent être maladroits, avoir une lenteur graphique ou d’expression.
Autre caractéristique fréquente, des intérêts « pas de leur âge » : l’Égypte, la couche d’ozone, la philosophie… une bizarrerie aux yeux de leurs pairs. Et une éventuelle difficulté à se situer dans un groupe, d’autant que leur apparence physique, leur maturité affective sont pareilles à celles des autres enfants. Pas facile à gérer !
Doués d’empathie, les jeunes HP captent informations et ambiances avec facilité, souvent avant tout le monde, ce qui ne signifie pas qu’ils savent les gérer, car ils sont aussi très émotifs.
Créatifs, ils ont facilement une imagination débordante, des idées originales. Lucides, ils sont souvent perfectionnistes, exigeants vis-à-vis d’eux-mêmes comme d’autrui et peu aptes aux compromis. D’autre part, si la compréhension intellectuelle est hyper-rapide, ce n’est pas nécessairement le cas lorsqu’il s’agit de percevoir l’implicite. Ainsi, ils s’attacheront au sens littéral d’un mot. 

Des problèmes scolaires pour un tiers des HP

Ces enfants HP peuvent être bien dans leurs baskets, mais aussi dépressifs, voire, très jeunes déjà, suicidaires, précise Carine Doutreloux.
En classe, un jeune HP sur trois est en échec. Nombre d’entre eux vivent difficilement leur scolarité. Peu stimulés à utiliser leurs compétences et intérêts qui ne trouvent pas leur place en classe, ils s’ennuient facilement. Ils ne voient aucune utilité à des explications répétées et à de multiples exercices d’application pour fixer une notion rapidement comprise. Ils apprécient des recherches, des défis auxquels ils apportent des réponses originales, mais pas nécessairement attendues ni appréciées par les enseignants.
Les garçons qui s’ennuient vont faire le clown, perturber la classe ou bien s’en extraire, rêver. Les filles peuvent aussi s’échapper, perturber le groupe ou au contraire se « sur-adapter » en mettant de côté leurs besoins spécifiques. D’autres jeunes vont renoncer et désinvestir les apprentissages scolaires.
De manière générale, ils n’apprennent pas à travailler en primaire, ils n’en ont généralement pas besoin pour réussir. Et comme ils produisent souvent intuitivement la bonne réponse (en mathématiques, par exemple) sans connaître la démarche y menant, ils peuvent ultérieurement se retrouver face à des difficultés. Enfin, gestion du matériel et organisation du travail ne vont pas de soi pour eux.
Sans réponse à leurs besoins spécifiques, ces élèves peuvent donc très bien rater à l’école, y vivre des problèmes insupportables de mise à l’écart ou de harcèlement, se faire exclure comme perturbateurs invétérés ou rejeter tout enseignement organisé.

Parents, que faire ?

« Pas besoin de parents HP pour élever des enfants HP, affirme Carine Doutreloux, même si ce n’est pas simple ! Mieux vaut être un adulte humble, savoir se remettre en question, faire preuve de souplesse, être ouvert à la différence et surtout créatif ! Et chercher de l’aide. »
Première étape : disposer d’un diagnostic réalisé et détaillé par un professionnel compétent. Cela soulage déjà beaucoup les parents qui peuvent mettre des mots sur un comportement auparavant peu compréhensible et apprendre, peu à peu, à adopter une manière d’être plus efficace et plus serein avec l’enfant. L’enfant aussi comprendra pourquoi son fonctionnement est différent de celui du petit copain. Surtout si ses parents l’aident à décoder ses relations, lui expliquent comment les autres le ressentent, explicitent aussi l’implicite pour donner du sens aux règles comme aux comportements.
Il est en maternelle et son institutrice vous dit qu’il pose des questions qui ne sont pas de son âge ? Ou encore, vos proches le trouvent bizarre ? Vous pouvez demander à un neuropsychologue ou un psychologue clinicien de poser un diagnostic dès 5 ans.
Mais le jeune HP sera souvent diagnostiqué plus tard. Lorsqu’il fera face à de sérieuses difficultés ou parce que le clinicien préférera attendre que l’enfant ait plus de 6 ans pour pouvoir utiliser certains outils dont il ne disposerait pas pour les plus jeunes.

Diagnostic : où s’adresser ?

Les centres PMS, dont les consultations sont gratuites, sont en première ligne. Mais tous ne possèdent pas nécessairement les batteries de tests et les outils les plus utiles ou n’en ont qu’une expérience limitée.
Les neuropsychologues et psychologues cliniciens indépendants sont nombreux, mais le coût peut, hélas, être une barrière pour certaines familles (au départ : 4 consultations à plus ou moins 50 €, non remboursés par une mutuelle).
Par ailleurs, l’asbl EHP met en garde les parents en recherche de réponses rapides : « Lors d’un premier rendez-vous, restez critiques, posez des questions. Vérifiez que vous recevrez bien un bilan détaillé, écrit. Informez-vous auprès d’autres parents. »
Le bilan doit proposer des pistes tant pour la vie quotidienne que pour le temps scolaire où des aménagements dits raisonnables (autrement simples, pratiques et à des coûts limités) doivent être mis en place. Muni de ce dossier, les parents pourront alors prendre contact avec l’école pour aboutir à un indispensable partenariat avec le directeur, le titulaire et le centre PMS s’il est concerné. Le suivi est indispensable !



T. J.

En savoir +

  • L’asbl EHP-Belgique rassemble des parents d’enfants et jeunes HP. Ses objectifs : informer, faire comprendre le haut potentiel, partager de bonnes pratiques, passer ensemble des moments sereins.
  • apeda.be : pour tout ce qui est difficultés d’apprentissage.
  • tdah.be : spécialisé dans les troubles de l’attention.
  • enseignement.be : pour tout ce qui est aménagements raisonnables à l’école.
  • Zebraska d’Isabelle Bary (Luce Wilquin). Ce roman d’une maman décrit un héros qui semble bien incarner, simultanément, les profils de plusieurs enfants HP !

Zoom

Quelle école ?

En Belgique francophone, il n’existe pas d’école pour enfants à haut potentiel. Mais, concrètement, certaines institutions peuvent mieux leur convenir, notamment des écoles à pédagogie active, en immersion linguistique (offrant un défi supplémentaire) ou à classes verticales.
Autre piste : le saut d’une année, en primaire, parfois utile sans être la panacée universelle. Cela dépend des connaissances acquises, des relations tissées avec les pairs et l’enseignant, de la maturité affective de l’intéressé. Ce saut de classe n’est plus possible en secondaire.
Enfin, si le sort des enfants HP a longtemps été méconnu, la Fédération Wallonie-Bruxelles s’en préoccupe actuellement. Comme les élèves souffrant de troubles de l’apprentissage, les jeunes HP ont droit à un Pass Inclusion, autrement dit « ils doivent, pour progresser dans leurs apprentissages, obtenir des adaptations pédagogiques, tant durant leurs apprentissages qu’à l’occasion de leurs évaluations ». Pour mettre celui-ci au point, le bilan différentiel et le partenariat famille-enseignants sont indispensables.
De manière générale, ces élèves ont besoin d’une pédagogie différenciée qui leur permette de trouver un intérêt à la vie scolaire (ils doivent avoir « des bulles d’oxygène », précise Carine Doutreloux) : recherche personnelle à présenter à tous, préparation d’un projet collectif, participation à une réalisation d’une classe supérieure, tutorat, apprentissage d’une matière non prévue… Pas évident pour des enseignants pas nécessairement bien informés ni formés.

Des parents en parlent…

Des questions, sans cesse

« Notre fille savait lire avant 5 ans, nous l’avons découvert subitement, sans comprendre comment elle avait appris. Cette fillette nous étonnait par sa curiosité incessante et… pas vraiment de son âge, disait son institutrice. Elle posait de très nombreuses questions qui nous laissaient pantois. Par contre, elle ne s’intéressait guère aux coloriages, découpages, piquetages. Maintenant en primaire, elle s’ennuie, refuse d’effectuer des exercices qu’elle a compris avant tout le monde et dérange par des interventions intempestives. »
Laurence, maman de Maïté, 10 ans

Une passion pour le Moyen Âge

« Entre mon fils et les autres, c’est un vrai problème. Il est seul, à l’écart ou bien il est moqué, voire harcelé. De son côté, il trouve les élèves de 2e primaire ‘bébés, nuls avec des jeux inintéressants’. Quand il s’énerve, il emploie d’autres mots moins léchés qui lui valent remarques et punitions. Sa passion, c’est le Moyen Âge : il recherche et compulse tout document qui peut lui en apprendre davantage. Selon son instituteur, il chantonne ou est absent, ou encore pose des questions impertinentes mettant en cause un devoir, une sanction. À la maison, il discutaille sans cesse, cherche à braver les limites. C’est aussi un hypersensible qui dort mal et cauchemarde. »
Gilles, papa de Gabriel, 8 ans

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