Développement de l'enfant

Que faire quand son enfant répète « J’ai mal au ventre » à longueur de journée, mais qu’aucun médecin n’a pu lui diagnostiquer de maladie ? Qu’est-ce que cela signifie et surtout, comment faire en sorte que son enfant s’apaise ? Entretien avec Jennifer Toussaint, docteure en psychologie et spécialisée en petite enfance.
Les douleurs psychosomatiques chez les enfants mettent toujours les parents dans une situation inconfortable. On sent, on voit que son enfant ne va pas bien et, pourtant, rien ne semble l’expliquer. C’est à ce sujet que Jennifer Toussaint, docteure en psychologie, a réalisé une thèse dans le champ de l’oncologie pédiatrique. Spécialisée en petite enfance, elle donne aujourd’hui des consultations auprès des enfants et des parents et nous éclaire ici sur ces questions de somatisation.
Que sont les douleurs somatiques chez un enfant ?
Jennifer Toussaint : « Les douleurs somatiques, ou la somatisation, c'est l’expression d’un symptôme, d’un trouble par le corps en raison du fait que l’enfant ne sait pas mettre de mots sur ce qu’il éprouve. La somatisation est un processus inconscient où l’enfant, ne pouvant exprimer des difficultés affectives ou morales, vient au travers des douleurs physiques interpeller son entourage. L’enfant n’est pas toujours conscient de cette souffrance émotionnelle et, s’il l’est, il ne parvient pas à la partager autrement que par des plaintes physiques qui, progressivement, entraînent des répercussions sur sa vie sociale, scolaire et familiale. Le corps est considéré comme la source des émotions, mais aussi de tout ce qui est inconscient. C’est à travers lui que l’enfant va venir exprimer sa souffrance, soit il ne sait pas encore parler (pour les 0 à 2 ans et demi), soit il n’ose pas en parler. Les douleurs somatiques ou chroniques se définissent avant tout car elles durent dans le temps. »
Justement, combien de temps peuvent-elles durer ?
J. T. : « Généralement, quand on dit qu’il y a un trouble somatique, c’est quand la douleur dure plus de trois mois et que les examens médicaux ont exclu toutes causes organiques. Des traitements médicaux sont parfois entrepris, mais n’améliorent pas l’état de santé de l’enfant. À partir de ce moment, les pédiatres renvoient généralement les parents chez le pédopsychiatre ou le psychologue. »
On parle de mal de ventre, de mal de tête… y a-t-il d’autres manifestations somatiques ? Et varient-elles selon l’âge de l’enfant ?
J. T. : « « Dans leur ouvrage, Enfance et Psychopathologie, les pédopsychiatres Daniel Marcelli et David Cohen ont expliqué, sous la forme d’une ligne du temps, les principales expressions psychosomatiques de l’enfant en fonction de son âge. Entre 0 et 3 mois, elles prennent principalement la forme de coliques du nourrisson, de spasmes du sanglot ou d’eczémas infantiles. Jusqu’à 9 mois, elles peuvent aussi s’exprimer par des vomissements, de l’anorexie psychogène ou du mérycisme (ndlr : trouble alimentaire caractérisé par la régurgitation et la remastication des aliments en cours de digestion). Pour ce qui est des douleurs abdominales, elles arrivent plus tard, vers 2 ans, avec l’acquisition du langage. Et c’est seulement vers 5 ou 6 ans que l’enfant commencera à se plaindre des maux de tête. Attention cependant à ne pas généraliser, tous les enfants qui ont du mal à s’apaiser ne vivent pas forcément une souffrance psychique. »
Les douleurs somatiques peuvent-elles être imaginaires ?
J. T. : « Non, absolument pas. Ces douleurs sont réelles et viennent exprimer par le corps des problématiques d’ordre psychique liées à des affects anxieux, dépressifs ou du stress, chez le tout-petit comme chez l’ado. Rappelons que les troubles psychosomatiques sont liés au fait que l’enfant n’arrive pas à poser des mots sur ce qui est en train de se jouer pour lui. C’est donc le corps qui parle pour dire qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. »
Y a-t-il des enfants qui sont plus à même que d’autres de développer des douleurs somatiques ?
J. T. : « Certains enfants ont une probable vulnérabilité biologique, laquelle vient s’ajouter à des conflits psychiques qu’ils n’arrivent pas à verbaliser. Ces derniers sont générateurs d’anxiété et viennent se déposer sur un organe. C’est ainsi qu’ils ressentiront des maux de ventre ou des maux de tête. En réalité, ces douleurs psychosomatiques sont une manière pour l’enfant de communiquer ses émotions, son angoisse. »