Développement de l'enfant

On dit qu’ils n’aiment pas lire, surtout les garçons. On dit qu’ils n’ont plus la patience de rester tranquilles et concentrés plus de quelques minutes. On dit que la télé, les écrans, internet, les jeux vidéo et les copains prennent tout leur temps. On dit beaucoup de choses. On oublie qu’ils ont l’impression de lire déjà assez à l’école. Que lire devrait rester un loisir, un plaisir. Et qu’en réalité, les jeunes utilisateurs d’écrans consacrent beaucoup de temps à la lecture.
À l’adolescence, on boude un peu les livres. C’est normal, c’est une période de décrochage. L’intérêt s’érode dès l’entrée en secondaire. Selon les récents résultats PISA, les jeunes Belges sont parmi les moins engagés dans la lecture, la proportion de faibles lecteurs se retrouvant plus particulièrement chez les garçons. Avec des inégalités : les résultats des élèves au parcours scolaire sans anicroche ou favorisés sur le plan socioéconomique sont meilleurs.
Pour certains, il est difficile de lire, les ouvrages sont trop longs, trop ardus, il leur faut encore découvrir ce qu’ils aiment. Par ailleurs, pour un ado, ne pas lire, c’est aussi s’affirmer : c’est rejeter le monde des parents, qui ont tendance à valoriser les livres.
Littérature spécifique
À l’Université de Liège, le cours de « Littérature pour la jeunesse » de Daniel Delbrassine s’adresse en priorité à des étudiants qui se préparent à enseigner le français de la 4e à la 6e secondaire. « Il faut avoir une connaissance du parcours de lecture antérieur des enfants, c’est important. Et prendre en compte le fait que nous avons affaire à des œuvres qui ont des spécificités particulières ».
Une littérature parfois dénigrée comme étant gnan-gnan par certains parents : « Je dirais que le marché est arrivé à maturité et s’est polarisé. Pour faire simple, on opposera une littérature commerciale vendue dans les supermarchés, qui fonctionne en séries, basée sur le répétitif, à un pôle qui recherche plus de qualité et l’approbation d’une institution comme l’école. On peut revendiquer le statut d’œuvre littéraire pour des romans publiés notamment par des auteurs ‘mixtes’, comme Olivier Adam, qui écrivent aussi bien pour des ados que pour les adultes ».
Le rejet de l’idylle ?
Utopies négatives, mondes post-apocalyptiques : les lecteurs de cet âge n’ont que faire d’une littérature gentillette. Ils s’intéressent à des lectures au caractère pessimiste, qui correspondent aux tourments de leurs âges.
« Ce phénomène n’est pas neuf, il a été précédé par des courants qui ont touché des pays très innovants, poursuit Daniel Delbrassine, comme la littérature suédoise ou allemande, qui ont rejeté le modèle de l’idylle. Ce sont des textes au caractère symbolique important, qui invitent à l’aventure dans un contexte difficile et qui prônent des valeurs essentielles de générosité, de respect, etc. Ici, la fiction est protectrice : elle permet de vivre l’aventure sans risque pour soi, mais elle peut aussi aider les ados à affronter des situations réelles parfois difficiles. »
Aller en bibliothèque…
Rassurez-vous, la situation ne s’est pas dégradée. Et on constate que dans leur culture des écrans, les jeunes lisent et écrivent énormément. Par ailleurs, certains romans proposent une interaction entre le numérique et le support papier, les lecteurs étant invités à poursuivre l’histoire ou à en découvrir certains aspects sur internet.
Pour amener ou ramener vos ados à la lecture, n’hésitez pas à faire confiance aux librairies ou aux bibliothécaires. Ce sont des experts du conseil, formés pour guider les jeunes lecteurs dans leurs choix.
C’est l’avantage, en bibliothèque : le choix est étendu. Et finalement, le plus important, ce n’est pas qu’ils lisent uniquement des grands classiques. « L’école est là pour cela, souligne Marie-Madelaine Deproost, coordinatrice du prix Ado-Lisant organisé par le Réseau des bibliothèques francophones de Woluwe-Saint-Pierre (voir encadré). L’aventure est un des point d’accès, pour les garçons surtout. Oui, des sagas comme Cherub de Robert Muchamore marchent du tonnerre : chez nous, ils ne sont jamais en rayon. Les parents sont en général ravis : les jeunes lisent enfin ! Pour moi, à partir du moment où on accroche, on lit ». Privilégier la lecture plaisir pour provoquer le déclic. Il ne lit rien ? Pas si sûr…
3 questions à...
Robert Muchamore, écrivain star des ados
Que lisent-ils ? Quand lisent-ils ? Rencontre avec la star des ados, l’écrivain britannique Robert Muchamore, lors d’une séance de dédicaces de Commando Adams, dernier opus de la célèbre saga Cherub. C’est l’auteur qui peut se vanter d’avoir amené des millions de jeunes à la lecture. Quelques ingrédients de la recette du succès…
Robert Muchamore : « Mon inspiration originale, c’était Jared, mon neveu, qui avait 12 ans à l’époque. Pas vraiment un grand lecteur, plutôt sportif et cool. Je voulais écrire pour des gamins comme lui : il ne trouvait jamais rien à lire. C’est ainsi que tout a commencé. »
Les ados qui suivent la saga se sentent très proches des personnages : d’où les connaissez-vous si bien ?
R. M. : « C’est plutôt facile : je me fie à mon oreille ! J’écrivais la journée et, à 15h, j’étais dans le bus à l’heure des sorties d’écoles. Il suffisait de se faire discret et d’écouter. Cherub, ce sont les gamins que j’épiais dans les transports en commun ! Je n’ai pas de secret particulier : je leur parle du monde dans lequel ils vivent. Dans Commando Adams, James doit récupérer deux ingénieurs anglais capturés par Daesh. Avec son groupe d’agents, il va suivre un entraînement spécifique pour mener un raid sur l’installation, c’est de l’aventure, c’est de l’actualité, c’est aujourd’hui : ça les concerne. »
Le langage que vous employez est cru : les personnages parlent de drogue, de sexe. Des parents s’en offusquent.
R. M. : « Oui, certains se plaignent, mais c’est le langage des ados. Et dans l’ensemble, les parents se réjouissent plutôt que mes livres aient amenés leurs enfants à lire. »
Quel message pour les parents des ados qui peinent à lire ?
R. M. : « Je pense que ce n’est pas que les jeunes n’aiment pas lire, a priori. C’est qu’il leur faut trouver les livres qui les intéressent, qui leur parlent. Il y a un livre pour chacun d’entre eux qui les attend quelque part ! »
A. K.
En pratique
Les droits imprescriptibles du lecteur
- Le droit de ne pas lire.
- Le droit de sauter des pages.
- Le droit de ne pas finir un livre.
- Le droit de relire.
- Le droit de lire n'importe quoi.
- Le droit au bovarysme (maladie textuellement transmissible).
- Le droit de lire n'importe où.
- Le droit de grappiller.
- Le droit de lire à haute voix.
- Le droit de nous taire.
Comme un roman, Daniel Pennac, Gallimard.