Développement de l'enfant

Dans une société qui roule à du 200 à l’heure, il est important d’avoir le frein à portée de main. C’est valable pour les adultes, mais aussi pour les enfants. Face à l’hyperconnectivité, au stress de la performance, il est bon de se retrouver soi-même. Respirez un bon coup. La pleine conscience se met à hauteur d’enfant.
Fin du mois d’avril, au Quai 10, à Charleroi. En marge d’un dessin animé pour les enfants, Sophie Raynal organise une séance de pleine conscience pour le jeune public. L’occasion, au Ligueur, d’avoir l’attention attirée par cette invitation à une méditation que l’on verrait plutôt réservée aux adultes soucieux de s’extirper de la frénésie quotidienne.
« Aux enfants, je ne leur explique pas vraiment ce qu’est la pleine conscience. On commence directement l’expérimentation avec des jeux, des ateliers, précise Sophie Raynal. Je leur dis qu’on va faire des choses qu’ils n’ont pas l’habitude de faire. S’arrêter, observer, s’écouter respirer. »
Curieux de voir ranger des actions aussi basiques au rang de choses inhabituelles. Et pourtant le rythme imposé par notre société, qui évolue en mode accéléré, prive souvent l’enfant de ces éléments essentiels. Les sollicitations sont tellement nombreuses.
« Dans l’ensemble, ces formations sont assez appréciées. C’est une vraie découverte, à travers des moments de calme, des moments de pause. La perception est plus complexe auprès des enfants qui manquent d’attention, qui sont dans l’hyperactivité. Mais même chez ceux-là, il y a parfois un déclic qui se fait. Et ils prennent goût aux ateliers ». Sophie Raynal a développé une expertise dans cette matière. Lorsqu’elle ne s’invite pas au cinéma, elle accompagne les parents et les écoles. Là, elle travaille dans la longueur, et les effets semblent bénéfiques.
Retrouver une attention de qualité
Isabelle Knecht est directrice d’école. Enfin, était. C’est une jeune retraitée. Juste avant les vacances de Pâques, elle a fait ses adieux à l’école communale d’Uccle qu’elle dirigeait. « Il y a deux ans, sur les vingt-huit titulaires de l’école, dix se sont engagés dans des ateliers de pleine conscience. Et, franchement, l’effet souhaité est arrivé. Généralement, les séances se déroulaient le matin. Eh bien, lors du cours qui suivait, on relevait une meilleure concentration des élèves ».
Sur cette concentration, Isabelle Knecht précise sa pensée. Elle entend souligner l’importance de renforcer la qualité de l’attention. C’est celle-ci qui fait défaut. « Aujourd’hui, vu l’évolution de la société, les enfants peuvent se concentrer sur beaucoup de choses à la fois. Mais lorsqu’il s’agit de se focaliser sur une chose unique, cela devient beaucoup plus compliqué. Il y a une agitation de l’attention, une surexcitation qu’il faut dépasser. Pour moi, l’école doit remplir un rôle de décélération afin de se reconnecter avec cette attention de qualité ».
C’est dans cette mission que se profile Sophie Raynal. « Je ressens un besoin au sein de la société. De plus en plus fort. Christophe André qui a beaucoup fait pour la promotion de la pleine conscience affirme que le numérique est devenu un vrai problème de santé publique. Il a raison. L’omniprésence des écrans a créé des déséquilibres. Les enfants sont sollicités en permanence. D’où des problèmes pour l’étude, pour la concentration. En sept ans, j’ai vu la préoccupation des parents et des profs grandir à ce niveau-là. Bon, les écrans, ils sont là, il faut faire avec, mais la pleine conscience permet de prendre du recul par rapport à tout ça. Elle offre la possibilité de renouer avec des attentions longues ».
Des outils pour retrouver le calme et l’apaisement
Concrètement, comment ça se passe ? « Cette formation à destination des enfants, s’inspire directement d’un protocole pour adultes, précise Sophie Raynal. Dans les écoles, pendant huit semaines, j’assure un accompagnement hebdomadaire d’une heure. Bien sûr, l’organisation diffère en fonction des âges. Les enfants pour lesquels je suis appelée ont de 4 à 18 ans. Pour les plus petits, une méditation ne dépasse pas les trois minutes. Pour les 7-8 ans, on rentre déjà dans un travail plus en profondeur. Ils ont un âge qui leur permet de prendre de la distance, ils peuvent s’observer en train de penser. Avec les grands ados, le projet va encore plus loin, on est pleinement mature pour vivre avec ses émotions ».
Le suivi de ces formations dépend évidemment de la motivation du corps professoral. Parfois, l’adhésion est totale. Isabelle Knecht peut en témoigner. « Trois des enseignants ont poursuivi, de façon régulière, la pleine conscience avec leurs élèves. Ils sont parvenus à concilier certains exercices dans leur quotidien de titulaires, les autres se sont fait rattraper par leur charge de travail. Pour prolonger l’expérience, j’ai intégré des ateliers de pleine conscience les jeudis après-midi, lors de séances qui regroupent des enfants de 5 à 8 ans venus de différentes classes. À chaque fois, j’ai pu constater les bienfaits de l’expérience. Les enfants sortent de là avec des outils pour se recentrer face à leurs émotions, dans le calme et l’apaisement ».
C’est que la pleine conscience, c’est quasiment une philosophie de vie à intégrer dans son quotidien. Les formatrices et formateurs en pleine conscience ne disent pas autre chose. En Province de Liège, Jennifer Gianotti organise des ateliers pour permettre aux enfants de 10 à 14 ans d’aborder les examens en toute sérénité. « Tout passe par le corps et l’esprit. Les deux sont liés et il faut en prendre conscience. Je donnerai des trucs et astuces ». Voilà ce qu’on peut lire sur la page Facebook qui vante les mérites de ces ateliers.
Ces trucs et astuces sont essentiels dans la démarche : « Ce sont autant d’outils pour gérer conflits et tensions, explique Sophie Raynal, les parents me donnent d’ailleurs souvent des feedbacks positifs sur ces ‘trucs’. Petit exemple, ce papa qui m’a expliqué que son fils avait le réflexe de contrôler sa respiration dans des moments de stress. Ce qui l’aidait énormément ».
De la grenouille à la navette spatiale
La pleine conscience ne s’exerce pas qu’à l’école. Des parents aussi font appel à des formatrices pour aider leur·s enfant·s à la maison. Stéphanie Porteman témoigne : « Au début de l’année scolaire, l’institutrice a attiré mon attention sur les difficultés de concentration de Tugdual, mon fils. Il s’ennuyait au cours, trouvant les matières abordées trop faciles. C’est là que je me suis décidée à faire appel à Sophie Raynal pour avoir un suivi, des séances plus construites. Et l’effet a été bénéfique. Désormais, il a toute une série de petits trucs qu’il peut appliquer lorsqu’il se retrouve en situation de stress, par exemple. S’il est traversé par un sentiment de panique, il se concentre sur sa respiration. C’est tout bête, mais il faut avoir le réflexe et l’expérimenter pour se rendre compte que ça marche. Pour retrouver une certaine sérénité, il y a aussi cette navette spatiale imaginaire qui traverse chaque partie de son corps et sur laquelle il doit se concentrer. Cela permet de prendre du recul, de se recentrer sur lui-même ».
Dans l’approche pour les enfants, le côté ludique est essentiel. « C’est pour ça que ça marche, que mon fils a accroché, analyse Stéphanie, qui avait déjà approché la pleine conscience en mode batracien de papier. Personnellement, j’avais déjà été convaincue par la pleine conscience que j’avais pratiquée moi-même. Lorsque j’ai vu que mon fils avait besoin d’être canalisé, je me suis dit, ‘Pourquoi pas la pleine conscience ?’. Pour m’aider, au début, j‘ai acheté un livre : Attentif et calme comme une grenouille. Cet ouvrage met la méditation à portée des enfants, je l’ai beaucoup lu avec mon fils. Et j’ai ressenti des effets bénéfiques ». D’où l’appel, ensuite, à une formatrice pour prolonger l’initiation.
« On a vraiment l’impression d’apporter quelque chose aux enfants, souligne Sophie Raynal. Lors des premières séances, il y a toujours une période d’apprivoisement. Mais je peux vous dire qu’à la quatrième séance, le calme s’installe d’office. C’est le fruit d’un développement. On apprend à prendre conscience de ses pensées, de sa respiration, de ses sensations. On cultive aussi la bienveillance. »
Thierry Dupièreux
En pratique
Le conseil de base de Sophie Raynal
« Il faut réguler les temps d’écran au sein de la famille. Essayer de se reconnecter avec la nature, d’apprécier ces moments-là. Laisser les enfants s’ennuyer, ne pas les bombarder d’activités. Apprécier ces petits bonheurs simples de la vie préservés des dérives de la société de consommation. »
Un livre conseillé
Attentif et calme comme une grenouille, Eline Snel (Les Arènes). Un vrai succès de librairie pour aider les enfants à entrer dans le monde de la méditation. Des dizaines de milliers d’exemplaires de cet ouvrage ont été vendus dans plus d’une trentaine de pays. Thérapeute d’origine néerlandaise, Eline Snel a fondé il y a quelques années l’Académie internationale pour l’enseignement de la pleine conscience. Son constat ? « L’attention consciente et bienveillante est quelque chose d’exceptionnel, de précieux et de fragile ». Elle présente son livre comme un moyen de retrouver ou de préserver cette attention.