Développement de l'enfant

Le harcèlement scolaire à la loupe des sentiments

Dans Raisons obscures (XO éditions), la Lilloise Amélie Antoine nous plonge dans l’engrenage du harcèlement scolaire. Des enfants qui se taisent, des parents et des profs incapables de déceler ce qui se joue pourtant sous leurs yeux : une chronique au tragique parfum de « Si on avait su »…

Elles ont 13 et 14 ans. C’est la rentrée des classes pour Orlane Kessler et Sarah Mariani : l’une rejoint un nouveau collège après un déménagement, l’autre retrouve ses copines après les vacances. Mais il ne s’agit pas seulement des enfants : dans son roman, Amélie Antoine raconte aussi l’histoire de deux familles, les tracas et les rebonds qui émaillent le quotidien des parents. Des soucis, des joies, des familles comme nous en connaissons tous, si proches car, somme toute, assez semblables à n’importe laquelle. Sauf que.

Une histoire presque banale

D’elle, ses ami·e·s diraient qu’elle est particulièrement empathique et résiliente. Fine et élancée, entre liane et roseau, Amélie Antoine porte sa grâce précédée par un grand sourire. À la fois timide et entièrement présente à l’entretien, elle raconte aimer « étudier la psychologie des personnages, chercher comment, pour n’importe qui, quelqu’un qui nous est très proche peut en arriver à un point de bascule ».

Effectivement, dans le roman, à l’ombre des secrets soigneusement dissimulés, la dynamique du harcèlement se met doucement en place : tout se joue là, devant les uns et les autres. Dans le silence implacable des victimes et la cécité des proches. Alors que la tension va crescendo, l’auteure éclaire de sa plume tous les angles et les moindres recoins du drame qui se joue.

« Ce qui me vient en premier, ce sont des personnages. Ce sont eux qui m’inspirent leur histoire. Ensuite, je cherche à la raconter de la meilleure façon. J’aime faire en sorte que le lecteur soit toujours en alerte, qu’il ne sache pas où il va, qu’il soit acteur à part entière de l’intrigue, je le tiens en haleine jusqu’au bout. »

Sans manichéisme

Dans le livre, tout va bien jusqu’à ce que cela devienne une catastrophe. À la question de savoir ce qui l’animait au temps de l’écriture, Amélie Antoine s’accorde un petit temps de réflexion. « Ce que je voulais traiter, c’est comment on peut passer totalement à côté du harcèlement vécu par son ado. Et ce, sans pour autant être un parent qui ne se préoccupe pas de son enfant. Simplement voir qu’il est possible de se réveiller un matin et réaliser alors qu’il est trop tard ».

Le découpage des chapitres prend la forme d’un balancier. Une première partie centrée sur les parents, d’une famille à l’autre, et la seconde sur les enfants, pour montrer exactement ce que les parents n’avaient pas vu. « J’aime alterner les points de vue, précise Amélie Antoine, j’aime que le lecteur puisse se mettre à la place des protagonistes, y compris celui qu’on ne pourrait ne pas comprendre de prime abord ».

Quand on entend la voix des jeunes filles, des scènes racontées au préalable prennent une tout autre dimension, on réalise ce qui se jouait réellement, « que c’est à tous ces moments qu’il aurait été possible d’agir, mais que cela n’a pas été le cas ». Et ce qui ajoute de la force au récit, c’est que le lecteur réalise que lui non plus n’a rien vu venir. À travers le personnage de la harceleuse, Amélie Antoine précise qu’il ne s’agit pas d’une méchante contre une gentille, « c’est beaucoup plus complexe que cela : celle qui harcèle, elle a ses propres problèmes, ses propres secrets, elle se trouve elle aussi prise dans un engrenage. À son âge, elle n’a pas encore le recul pour mesurer les conséquences de sa cruauté. Mes personnages ne sont pas manichéens ».

Côté pile, côté face

Dans son livre, l’auteure s’adresse principalement aux parents, même si des ados lisant l’histoire pourraient retrouver des caractéristiques de ce qu’ils vivent. « Je ne juge pas, ce n’est pas mon propos : il s’agit d’un puzzle, d’un engrenage qui se met petit à petit en place ». Quelles raisons obscures poussent à ne rien dire ? C’est comme à pile ou face : un tout petit détail pourrait changer la donne, une parole au bon moment, le courage de parler, la force de dire la souffrance, une pièce qui tombe du bon côté. « Il suffirait de pas grand-chose, et malheureusement cela ne se fait pas ».

Pour autant, l’intention d’Amélie Antoine n’est pas de donner des conseils aux parents : « J’écris des romans, je fais de la fiction, je ne suis pas psy, je ne cherche pas à faire de la prévention, ce n’est pas mon rôle. Mais s’il y avait un message à retenir, c’est d’alerter les parents sur l’universalité du phénomène : personne n’est à l’abri, cela peut arriver à tout le monde, notre enfant peut subir du harcèlement ou être enfermé lui-même dans un rôle de harceleur ».

Avant de nous quitter, Amélie Antoine s’avoue amoureuse de romans psychologiques, « j’affectionne la littérature plutôt sombre ». Maman de trois enfants, elle écrit la plupart du temps chez elle, installée derrière son ordinateur. Elle explique dans un rire en être aujourd’hui à voler du temps là où c’est possible, profitant « des moments où [son] fils de 6 mois fait la sieste, le matin. J’espère de toutes mes forces qu’il parvienne à dormir deux heures d’affilées ».

 


A. K.

 

 

En savoir +

Difficile à détecter

Le harcèlement est une forme de violence invisible et souvent perçue par les adultes comme de simples conflits ou taquineries entre enfants ou adolescents. Souvent, les victimes n’osent pas en parler à leurs parents de crainte d’aggraver la situation, pour ne pas les inquiéter, parce qu’ils ont honte et se sentent coupables. Les signes à surveiller sont multiples :

► Troubles du sommeil, irritabilité, repli sur soi, anxiété, colère, dépression…
► Troubles liés à l’anxiété, au stress (maux de ventre, eczéma, etc.).
► Absentéisme, baisse des résultats scolaires, troubles du comportement.
► Tentative de suicide.

En pratique

Se faire aider

► Composer le 103, le numéro d’urgence gratuit d’Écoute-Enfants (7/7, de 10h à minuit).
Plateforme harcèlement scolaire : des infos pour les élèves, pour les parents, mais aussi pour les directions d’école et les enseignant·e·s.
► harcèlement.eu : un portail qui s’adresse aux victimes et à leurs proches.

À lire

► Dis, c’est quoi le harcèlement scolaire ?, Bruno Humbeeck (Renaissance du livre).
► Je me défends du harcèlement, Emmanuelle Piquet (Albin Michel jeunesse).
► Harcèlement à l’école, lui apprendre à s’en défendre, Marie Quartier (Eyrolles).
► Le harcèlement scolaire vu par le prisme parental : une analyse de l’Ufapec réalisée par Bénédicte Loriers.

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