Société

Une note annuelle aux conséquences beaucoup trop salées pour les enfants et les familles qui vivent dans « le trop peu permanent » ! Le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté réagit par la voix de Christine Mahy, sa secrétaire générale.
« Lorsque que les enfants m’ont remis la note pour les deux voyages scolaires fin septembre, alors que j’avais postposé le paiement du loyer pour payer les frais de la rentrée scolaire, ma réaction a fusé… Zut, comment est-ce que je vais faire pour encore payer ça ! Quand j’ai entendu : ‘Pas grave, maman, on n’a pas envie d’y aller…’, je me suis écroulée, me disant que je ne suis plus capable de me réjouir avec mes enfants pour quelque chose qui leur fera du bien. C’est d’abord et avant tout le problème d’argent qui prend chaque fois le dessus. J’ai eu un coup de déprime terrible. Je leur ai dit : ‘Je trouverai cet argent et vous irez en voyage scolaire’ », témoigne cette maman de cinq enfants.
D’autres parents parlent des frais liés aux fruits ou aux produits laitiers suivant le calendrier de la semaine, du théâtre ou de la piscine, des photocopies ou des livres, de la garderie ou de l’accès au réfectoire pour manger ses tartines, de la facturation automatique de la garderie pour quelques minutes de présence de l’enfant, des frais de transport ou de l’internat, de la marche parrainée ou de la fête de l’école pour voir ses enfants sur la scène, des anniversaires fêtés en classe avec l’implication des parents, des gants ou bonnet ou de la seule veste perdus et à remplacer, de la valise et son contenu pour le voyage scolaire, etc.
Un marronnier qui doit porter ses fruits
L’indispensable marronnier médiatique, à juste titre inlassablement remis sur la table par la Ligue des Familles à cette période de l’année, sur les coûts de la rentrée scolaire ne peut toutefois être l’arbre qui cache la forêt ! En effet, alors que les discussions sur ces frais scolaires sont dans toutes les bouches, y compris dans les familles où cette charge financière et organisationnelle n’est pas un problème, l’inquiétude et le stress qu’ils engendrent pour les parents qui connaissent la pauvreté ou l’appauvrissement est énorme et ce durant toute l’année.
À la fonction parentale habituelle s’ajoutent l’énergie pour trouver des solutions, la peur des jugements, l’invisible épuisant pour tenter que les enfants ressentent le moins possible « ces différences injustes », l’obligation de déballer sa vie attestant de l’état de pauvreté suffisant pour être aidé ou compris, le déploiement de l’intelligence de survie donc les actes sont parfois mal compris, le repli sur soi par peur de l’intrusion dans la vie privée et des interprétations hâtives, le conflit lié à la stigmatisation des enfants ou à la mise en concurrence des « dettes scolaires » avec les examens ou une activité, la fatigue de quémander suivie de l’épuisement et du renoncement qui sera souvent objet d’interprétation, l’usure qui affaiblit…
Ces parents hurlent les renoncements injustes et l’autocensure très vite inventée par les enfants qui cherchent à ne plus faire mal en ne réclamant plus ce qu’ils savent trop difficile pour leurs parents. Ces parents essayent de se faire entendre, en l’exprimant parfois maladroitement, que l’attention qu’ils accordent au parcours scolaire de leur enfant est très fortement ramenée aux aspects financiers. Les mêmes qui mangent leur temps et leur énergie déjà entamés par la gestion quotidienne de la traversée de la vie dans le trop peu de tout !
Des conséquences pour les enfants et pour les parents
Si la non-gratuité scolaire n’est pas la cause unique à laquelle s’attaquer pour combattre les inégalités par l’enseignement et pour que l’école réussisse avec tous les enfants, les nombreux témoignages de parents confirment qu’elle est toutefois majeure pour les familles qui vivent dans la pauvreté ou qui connaissent l’appauvrissement. La non-gratuité scolaire peut véritablement polluer la construction d’une relation triangulaire positive entre le personnel de l’école, les parents et les enfants, avec des conséquences désolantes sur le parcours scolaire de l’enfant et sur la disqualification ou l’auto-disqualification parentale.
Lutter contre les inégalités, c’est éliminer les obstacles pour que les familles qui vivent « dans le trop peu de tout » bénéficient pleinement des contenus organisés dans le cadre des politiques publiques, singulièrement ici dans l’enseignement, précisément pour qu’elles accèdent à diverses richesses pour quitter la spirale de la pauvreté. La pauvreté des enfants n’est pas une fatalité, pas plus que le fait de l’éradiquer.
L’accès à l’enseignement gratuit : un devoir constitutionnel pas appliqué
Alors que nous savons que près d’un enfant sur quatre en Wallonie et quatre sur dix à Bruxelles vit dans une famille sous le seuil de pauvreté et subit la déprivation matérielle…
Que notre enseignement est reproducteur des inégalités…
Que la formation est un des éléments déterminant pour voir s’éloigner l’exclusion et la pauvreté…
Que l’égalité est meilleure pour tous et pour la collectivité…
Que la gratuité scolaire n’est pas un privilège…
A-t-on encore le droit de tergiverser ? Est-ce responsable de ne pas décider et de ne pas organiser la gratuité scolaire ? Non.
Il existe aujourd’hui des initiatives louables, mises en place de façon volontaire par certaines écoles, par des associations de parents, mais ceci ne garantit pas une équité sur l’ensemble de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Et parfois l’usure gagne les acteurs les plus motivés lorsqu’ils ne sont pas soutenus. Si des évolutions législatives positives ont vu le jour au bénéfice de tous (l’annonce des frais et la facturation, par exemple), quelle garantie a-t-on que ces dispositifs facilitent véritablement la vie des parents qui vivent la pauvreté ou l’appauvrissement en tenant compte de leurs réalités ?
Il appartient donc à l’autorité publique de s’engager dans la construction d’un plan stratégique ayant pour but final la gratuité totale, dans un délai raisonnable et fixé. Le Pacte pour un enseignement d’excellence offre l’opportunité d’y travailler concrètement avec les populations et les associations concernées. Nous ne pouvons que soutenir les recommandations de la Ligue des Familles qui invitent fortement à aller dans ce sens.
Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté