Vie pratique

Comme elle semble révolue l’image de la gentille petite mémé aux cheveux blancs qui passait ses journées en cuisine, tablier noué, sourire aimant. Et celle du petit pépé moustachu qui polissait le bois de sa dernière maquette de bateau dans le fond de son établi. Où sont-ils ? Aujourd’hui, les grands-parents sont jeunes. Ils sont cools. Ils ont fait leur révolution. Ils mettent en ligne les photos de leurs petits enfants sur les réseaux sociaux, vont au boulot à vélo, écoutent Lou Reed et Patti Smith et fredonnent Stromae. Les grands-mères ont brûlé leur soutien-gorge et les grands-pères ont fumé des joints. Mais tout cela ne les empêche pas d’être gâteaux pour autant…
Non seulement ils sont les fruits bénis des Trente glorieuses, ont eu la vie souvent plus facile que leurs parents et que leurs enfants, mais en plus, ce sont de bons grands-parents. Ils sont présents, ils sont justes et on peut compter sur eux. Parfois trop.
► Marie-Claire : « Je n’ai pas pu le faire avec mes filles »
Marie-Claire semble justement en parfaite osmose avec son nouvel ADN. « J’habite en France et je viens aider ma fille dès que je peux pour la seconder avec son fils de 5 ans. La situation est assez délicate puisque le petit a un trouble de l’attention. Le papa vit au Congo, il ne vient jamais. Je suis donc un repère pour le petit. Et j’adore ce rôle. Je n’ai jamais pu le faire pour mes filles car je me suis beaucoup consacré à ma profession. Du coup, je vais le chercher à l’école, je le conduis au parc, je connais tous ses amis. Nous avons de longues discussions avec les jeunes parents. Je suis très intégrée. J’adore Bruxelles. Je préfère m’occuper de lui ici, plutôt que le ramener chez moi à la campagne, en France, où il doit trouver le temps un peu long et n’a pas de copains de son âge. Cet été, je l’ai gardé pendant deux mois et ça a été vraiment super. Je ne pensais pas que le rôle de grand-mère m’épanouirait tant. Moi qui étais tellement occupée à mener de grands combats tout au long de ma carrière. En revanche, mon mari est un peu plus en retrait. Il aime son confort, sa télé. À vrai dire, je ne sais pas trop ce qu’il pense de son rôle de papi. »
► Marie : « Quand elles viennent dormir, c’est la fête »
Pour Marie qui vit seule, ses enfants et petits-enfants sont tout pour elle. Elle cumule les casquettes de mère et de grand-mère avec bonheur. Sans en privilégier une au détriment de l’autre. Elle joue le jeu de la roue de secours et plus encore. « Je suis une maman de deux enfants. Seul mon cadet a deux petites filles de 6 et 2 ans. Il se met en quatre pour sa famille, il est prêt à tout pour elle et je suis franchement admirative de la façon dont il s’en sort. Je vois bien qu’à certains moments il panique. D’autant que sa compagne n’est pas toujours très tendre avec lui. Elle lui en demande beaucoup. Je me suis battue toute ma vie pour l’égalité homme-femme, mais jamais pour que les hommes se mettent à tout faire ! Et quand je vois à quel point mon fils est corvéable, sans jamais se plaindre, je me dis que certaines jeunes femmes d’aujourd’hui ne mesurent pas leur chance. Alors je fonce tête baissée. Je suis devenue une mamie, même si je déteste ce mot. Je sors mes petites-filles dès que j’en ai l’occasion (et l’autorisation). Je les amène au musée, au cinéma, nous mangeons des glaces. Quand elles viennent dormir, c’est la fête. Et dès que maman pointe le bout de son nez, c’est le drame. Je ne suis peut-être pas très objective… »
► Chantal : « J’abandonne toute affaire cessante »
Parfois, ils cautérisent. Ils sont la seule voix de la raison d’un foyer muté en véritable champ de ruine. C’est le cas de Chantal, dont la situation est complexe : « Je suis grand-mère d'un petit garçon de 4 ans et bientôt de sa petite sœur qui doit naître cet hiver. Les parents - mon fils et sa compagne - forment un couple déchiré. De façon chronique, ma belle-fille envoie tout valser et réclame la séparation. Du jour au lendemain, plusieurs fois par mois. Elle a un comportement que je ne comprends pas. Elle me tolère et m’accepte complètement comme grand-mère. Pas par intérêt, puisque sa propre mère est très présente. Elle insiste pour que je passe du temps avec mon petit-fils, au même titre que l’autre grand-mère. Elle sait que c’est important pour lui. Et que c’est vital pour moi. En revanche, il n’a jamais le droit de venir chez moi. En cas de dispute, on m’appelle à la rescousse et il faut que j’abandonne toute affaire en cours. Bien sûr, c’est à moi de me déplacer, même à la dernière minute. Là où ça devient tordu, c’est qu’elle me fait des confidences très intimes (dont je me passerais volontiers), mais refuse que je me mêle de leurs disputes. Par exemple, je n’ai pas le droit de leur dire qu’ils ne devraient pas régler leurs comptes devant le petit. C’est pire depuis qu’elle est enceinte, elle aurait même confié à mon petit-fils qu’il n’aura jamais le droit de venir chez moi parce que je pourrais l’enlever ! On croit rêver. Je suis prête à tout supporter pour mon petit-fils et sa future petite sœur. Mais je dois l’avouer : je suis complètement paumée. »
► Robin : « Pas besoin de les couvrir de cadeaux pour montrer qu’on les aime »
Robin, 68 ans, n’aime pas l’étiquette « gâteau ». Selon lui, le rôle de grand-père est avant tout basé sur le don de soi. « J’ai des amis qui adorent l’idée d’être grands-parents. Ils me montrent des photos de leurs petits-enfants, me parlent des cadeaux qu’ils comptent leur faire. En revanche, dès qu’il s’agit de s’en occuper, de se déplacer ou de consacrer un peu de temps, il n’y a plus personne. Je suis opposé à ces relations matérialistes. Pour moi, le fait d’être présent et que la famille puisse compter sur moi, c’est le principal. Mes parents l’ont fait pour mes enfants, à mon tour d’être le patriarche sur qui on peut s’appuyer. »
► Murielle : « Je ne sais pas dire non »
Au moment de son témoignage, Murielle nous suggère - non sans ironie - une nouvelle catégorie : celle des grands-parents pigeons. « Je fais partie de ces mamies ‘chicouf’. ‘Chic’ les voici, ‘ouf’ ils repartent. Je suis la maman d’un grand enfant de 36 ans qui ne sait pas se débrouiller… sans sa maman ! Dès qu’ils sortent, lui et sa compagne, j’ai la garde des deux petits de 5 et 3 ans. Comme je vis seule, ils doivent se dire que je suis en demande. Mais je n’en peux plus. Ils me demandent d’effectuer des déplacements impossibles, de remplir le frigo et même de promener le chien ! En bonne poire que je suis, je dis toujours oui, comme si ça m’emballait. Je dois avouer très franchement que je regrette d’être pensionnée, j’avais une vie bien plus tranquille à l’époque où je travaillais. Grand-mère à plein temps est un boulot bien plus fatigant. »
♦ Clara : « J’étouffe »
Pour Clara, mère d’un petit garçon de 7 ans et d’une petite fille de 2 ans, la situation est ingérable : « Mes beaux-parents sont omniprésents et me contredisent sans arrêt devant mes enfants. ‘La façon d’éduquer était complètement différente à notre époque’, ou alors ‘On était moins sur le dos de nos enfants’. Ils passent tout à mes petits et me font passer pour une psychorigide. Et comme mon mari est fils unique et 100 % acquis à leur cause, impossible de discuter calmement sans que je passe pour la chieuse de service. Chaque visite est un calvaire. Et elles sont de plus en plus fréquentes. Chouette… »
Yves-Marie Vilain-Lepage
L’avis de notre experte
Du grand-parent gâteau au grand-parent aidant ?
« Dans cette relation qui se joue à trois générations, il y a une dimension très importante : celle de la place des uns et des autres, héritée du passé. Vous étiez absent en tant que parent, vous avez le sentiment de devoir vous rattraper. Comme le montre certains témoignages, le rôle de grand-parent peut compenser des difficultés de la vie de tous les jours que vos enfants doivent affronter. L’éducation, le marché du travail, la logistique quotidienne. Du rôle de ‘gâteau’ que l’on croyait révolu, vous voilà aidant. Dans les couples qui se déchirent par exemple, le grand-parent est un repère fixe. Car c’est aussi cette place que vous occupez, celle de l’élément fondateur, du pilier, entre autres représentations. Et si le déclic ne se fait pas tout de suite pour tous, cela peut se jouer à un moment-clé de votre vie. Un passage à la retraite, par exemple. D’un coup, vos petits-enfants donnent du sens et vous voilà à assurer un rôle de continuité de maternage. »
Ils osent le dire !
- Acceptez que l’on soit parent à notre tour.
- Évitez les mots qui rendent fous. Toutes les phrases qui commencent par « Moi, à ta place » ou pire « Quand j’étais parent »… Ah bon, tu ne l’es plus ?
- Ne jugez pas nos enfants comme s’ils étaient le simple fruit de notre éducation (défaillante, bien sûr).
- Soyez juste vis-à-vis de tous vos petits enfants et ne les comparez ni entre eux ni avec nous.
- Mais merci quand même de les aimer de façon inconditionnelle comme vous le faites.
Parents, autant savoir !
Facile, le rôle de grands-parents gâteaux ? Peut-être pas tant que ça. D’abord, parce que vous, parents, vous ne leur facilitez pas toujours la tâche. Ils ne contredisent jamais vos enfants et prennent systématiquement leur défense. Vous avez le sentiment que tout cela est injuste. En plus, ils vous mettent en porte-à-faux : « Allez quoi, tu vois bien qu’il n’a pas sommeil » où « Oh, ce n’est qu’un petit chocolat de rien du tout ! ». À ce moment-là, la moindre phrase de travers peut déraper. Ils se la jouent adultes parfaits, équilibrés… Ce n’est pas le souvenir que vous aviez d’eux quand vous étiez petits. Ils ont la meilleure part : ils débarquent, et pour vous les parents, c’est la foire. Alors que vous vous tapez le travail de fond au quotidien. C’est peut-être le moment de leur rappeler que ce serait sympa de vous appuyer dans l’éducation de votre marmaille. Et de leur tirer un coup de chapeau quand vous les voyez faire des efforts surhumains pour se calquer sur votre ligne éducative. Ils ont besoin, eux aussi, d’être encouragés.