Loisirs et culture

Le choix d’Yves-Marie
Caillasses - Joëlle Sambi (L’arbre de Diane)
Le poids des mots. Ceux qui grattent, ceux qui s’entrechoquent, ceux qui se réinventent. Ici, ils vous montrent tout leur potentiel. Ils font rougir. Ils hurlent. Ils apaisent. Ils invitent à se regrouper. À se réfugier les un·e·s auprès des autres, de sa famille, de son clan. Il n’est toujours question que de horde. De sa force. De sa fierté. De sa lutte. Notre monde malade a accouché de toute cette poésie que forme Caillasses pour se réapprendre. Pour se soigner de ses maux, avec ces mots. Ils doivent être bruts, être lancés avec intelligence et force. C’est comme ça qu’on les aime. Sans artifice. Dans la splendeur de leur nudité. Vous aussi, caillassez le quotidien de leur beauté. Libérez-les.
Le choix de Martine
Une farouche liberté - Gisèle Halimi avec Annick Cojean (Grasset [2020], Le Livre de Poche [2021])
Enfant en Tunisie, Gisèle Halimi (1927-2020) répétait constamment « C’est pas juste ! », tant elle était révoltée par les inégalités entre garçons et filles, déjà au sein de sa famille. C’est ainsi qu’elle entreprit une grève de la faim à 10 ans. La justice a été la « grande affaire » de sa vie. Devenue avocate, elle voulait changer le monde en plaidant. Ce petit livre de dialogue avec la journaliste Annick Cojean, imaginé peu avant sa mort, nous la raconte avec une folle humanité. Engagée, féministe, intègre, libre. Quelques-uns de ses combats essentiels sont retracés, par exemple pour l’avortement et pour la reconnaissance du viol comme un crime. Et c’est impressionnant. À lire, alors que les livres (de) féministes abondent.
Le choix de Thierry
Le Grand vide - Léa Murawiec (éditions 2024)
C’est un album de BD qui donne à réfléchir sur le besoin de reconnaissance et la culture du paraître. L’héroïne de ce livre évolue dans un monde régi par la « présence ». Celle-ci, alimentée par votre notoriété, vous permet au minimum de rester en vie, au mieux de devenir immortelle. Ballottée entre rébellion et opportunisme, l’héroïne fonce, doute, se perd (au point de perdre sa famille de vue) et se retrouve. Léa Murawiec signe là un premier ouvrage d’une inventivité graphique remarquable. Il n’est pas parfait, mais même ses imperfections lui apportent une dimension fascinante, intrigante. Sans aucun doute un des dix albums BD essentiels à avoir lu en 2021.
Le choix de Romain
La Clause paternelle - Jonas Hassen Khemiri (Actes Sud)
Si les liens familiaux sont un sujet vieux comme le monde en littérature, Jonas Hassen Khemiri en a fait un drôle de livre. Drôle de livre par la narration de ce presque huis-clos sans jamais nommer les personnages par leur prénom (ils sont « le père qui est aussi un grand-père », « le fils qui est aussi un père », « la sœur qui est une mère »…). Drôle de livre par les caractéristiques des personnages entre le grand-père irascible, centré sur lui-même et aussi présent qu’absent, le fils perfectionniste qui se pose toujours mille questions et la fille coincée entre son passé et son présent. Drôle de livre, enfin, par toutes les questions qu’il remue en nous quant à notre relation à notre propre père ou à notre paternité. Prix Médicis étranger de l’année, La Clause paternelle est un roman qui saura vous surprendre, vous dérouter tout en finesse et en humour.
Le choix de Michel
Lire - Lorenzo Terranera (Thierry Magnier)
Voici un petit bijou à placer sous le sapin et à savourer au coin du feu : Lire (éditions Thierry Magnier). Un titre sobre pour un ouvrage qui l’est tout autant, dans un petit format à l'italienne. Une trentaine de croquis esquissés en noir et blanc par Lorenzo Terranera célèbrent les petits bonheurs qu’offre la lecture sous toutes ses formes et dans toutes les positions. Lecture de recettes, poésies, menus, textos, lecture en cachette, à voix haute, au lit… Le tout introduit par un texte de Daniel Pennac. Peu de mots à… lire, mais une ode à toutes les lectures.
Le choix de Clémentine
Les enfants sont rois - Delphine de Vigan (Gallimard)
Quel est le rapport au réel et à l’intime lorsqu’on a été biberonné aux émissions de téléréalité ? Dans son dernier livre, Delphine de Vigan interroge la place des réseaux sociaux dans nos vies à travers l’histoire de Mélanie. Jeune mère isolée, elle se fait happer par les réseaux sociaux. De fil en aiguille, la maman entre dans la course aux likes. Ses vidéos se professionnalisent exhibant toujours plus ses deux enfants. Jusqu’où cette mère influenceuse ira-t-elle ? L’attrait du livre tient à sa capacité à captiver lecteurs et lectrices par l’intrigue policière autour du rapt d’enfant tout en posant une réflexion sur la place des réseaux sociaux dans nos vies de famille.
Le choix podcast de Marie-Laure
Le cœur sur la table - Victoire Tuaillon (Binge Audio)
Pas de livre ici, mais un podcast dans lequel, au premier épisode, Victoire Tuaillon compare la vie affective à un escalator. « On a tou·te·s grandi avec l’idée que la relation de couple était l’ultime idéal amoureux, quel que soit notre genre ou notre sexualité », écrit-elle dans le pitch du premier épisode. « Ce modèle comporte des étapes censées nous mener au mariage, à la parentalité, à la propriété - ce qu’on appelle ‘l’escalator relationnel’. L’amour ne peut-il être vécu que dans ce schéma ? ». Si la métaphore parle beaucoup à la trentenaire que je suis, le propos m’a aussi un peu agacé au début. Quid des personnes qui veulent monter sur cet escalator sans pour autant entrer dans des relations amoureuses inégalitaires ? On fait quoi ? Ce n’est qu’après plusieurs épisodes qu’elle aborde la question. Et elle le fait drôlement bien en montrant à quel point l’amour, lui aussi, est politique.