Développement de l'enfant

Elle est obsédée par Belle ou Cendrillon. Elle a tellement fredonné ce foutu « Libérée, délivrée » de la Reine des Neiges qu’elle en a congelé votre cervelle. Elle se pare de robes chamallow, n’est pas loin d’étreindre une grenouille et vous mène à la baguette. Elle, c’est votre petite fille. Toujours mêlée à un imaginaire rose bonbon qui vous amuse… mais vous dépasse. On tente de percer enfin ce mystère vieux comme la pantoufle de vair, avec la psychologue Mireille Pauluis.
« Mais, je veux mettre ma robe de princesse ! », hurlent vos gamines avant d’aller à un anniversaire ou tout autre type d’évènement mondain. Comme s’il s’agissait de leur tenue de soirée. Votre rouge à lèvres, vos talons aiguilles à vous, mamans. Le summum, quoi. C’est de cet ordre-là ? « Je ne dirais pas ça. C’est bien plus important en réalité. Elles ne jouent pas, elles sont des princesses pour de vrai. Vers 3-4 ans, les petites filles se projettent complètement là-dedans », explique Mireille Pauluis.
De votre côté, vous multipliez les arguments… Une vie de princesse, si on y réfléchit bien, c’est nul. On ne vit que pour son prince. Les journées sont un peu creuses. À part Anna, la blonde reine des neiges, pas de superpouvoirs. Les conversations ne se font qu’avec des biches ou des moineaux.
« Quel est l’intérêt ? », rationalisez-vous, un peu inquietés par ce que vous prenez pour une fièvre bling-bling. Aucun moyen de leur faire entendre raison. Et puis, bonjour l’image de la femme. D’ailleurs, est-ce qu’il faut s’en préoccuper à ce point-là ? « Je ne pense pas, rassure Mireille Pauluis. Je n’aime pas trop ces idées où on l’on enferme les petites filles en femmes qu’elles deviendront ou les petits garçons en futurs hommes. Laissons-les faire, laissons-les jouer, sans présupposés. Ils sont en pleine construction. Le champ des possibles est tellement vaste à cette période de la vie ».
Jusqu’au bout du diadème
Certains parents nous ont expliqué qu’ils avaient pris le parti de pousser le jeu jusqu’à saturation. Une stratégie habile ? Mathilde, maman d’une petite porteuse de couronne de 5 ans, préconise : « Nous sommes des punks à l’âme pure, mon compagnon et moi. À presque 40 ans, dreadlocks sur la tête et piercings en tout genre, nous nous retrouvons avec une gamine qui ne pense que nimbes et robes à paillettes. Alors plutôt que de passer notre temps à batailler, nous la laissons aller jusqu’au bout. Elle veut ces fichues chaussettes Blanche-Neige ? Allez ! Jusqu’à l’indigestion. Je me dis que, plus tard, la période ‘pétasse’ que traversent beaucoup de fillettes se déroulera plus en douceur. Elle aura épuisé une bonne partie du stock. »
L’imaginaire des petites filles, les projections ados, pas certain que les deux soient liés. Mireille Pauluis confirme : « Les princesses et les petites ados, ce n’est pas la même chose. Dans l’imaginaire des gamines, les héroïnes de contes de fées, c’est ce qu’il y a de plus séducteur. Chez les ados, la phase que Mathilde qualifie de ‘pétasse’, c’est de l’ordre de la provoc. Elles forcent un peu le trait de la petite fille qui devient femme pour défier et faire suer les parents. »
D’autres sont plus philosophes. Adrien, papa d’une petite de 5 ans, dresse un quotidien parfum rose bonbon. « On sait très bien que ça va passer. On attend. C’est vrai que c’est agaçant, parce que chez notre fille, ça vire à l’obsession. Elle veut sortir habillée uniquement en gâteau de mariage. Cela a pris le pas sur tout le reste. Par exemple, elle ne veut plus de pantalons, mais des robes qui se rapprochent le plus possible de son déguisement. Alors, on lutte. On lui explique qu’elle ne peut se déguiser que dans des circonstances exceptionnelles. Parfois, elle grappille du terrain, parfois on en perd ! »
De vraies terreurs, ces princesses, au final. Notre experte explique : « Ce papa a raison. Avec le temps, ça va passer. La place des parents là-dedans, c’est de jouer le jeu. Parce que c’est un jeu. Il faut donc cadrer et alterner. Parfois avec fermeté. Les moments où l’on joue et les moments où l’on est dans la réalité. Faites la distinction : ‘On ne se déguise pas pour aller à l’école, sauf quand c’est la fête’ ».
Rassurez-vous, les petits font la part des choses. En résumé : de la magie, des gentils, des méchants, des aventures…Tout ceci ne nous renverrait-il pas au fait de rêver ? Aujourd’hui, plus que jamais, pourquoi est-ce si important ?
Rêve de baguette
Pourquoi ces fichues héroïnes font-elles briller le regard des petites filles ? La question mérite réellement d’être posée à l’heure où un parc d’attractions bien connu, tenu d’une main de maître par un souriceau en futal rouge, communique sur ses chiffres. Plus de 15 millions de personnes s’y rendent chaque année à la recherche de bonheur, de simplicité, d’amour et d’images simples. Là où les crapauds officialisent leurs relations aux dindes. Ce qui en fait la destination la plus importante d’Europe.
Pourquoi ces clichés marchent-ils toujours ? Mireille Pauluis l’affirme haut et fort et insiste sur ce point capital : on a besoin de rêver. « Il ne faut pas que les parents soient mal à l’aise ou s’inquiètent de l’obsession des petits pour leur imaginaire. Au contraire. Cultivons ce rêve. Il faut élever les enfants avec cet esprit de jeu. Il existe trois ères chez les petits : le monde intérieur, la réalité et l’inter-psychique, l’entre-deux si vous préférez. C’est lui qui nous intéresse. Parce que c’est là que se logent des choses importantes comme la rêverie, l’humour, l’empathie, entre autres. C’est vraiment hyper-important dans la construction de l’enfant. »
Le rêve, d’accord. Néanmoins, la princesse n’est plus du tout un stéréotype. Fini, la jeune fille à la peau laiteuse qui chante pour faire pousser les fleurs. Aujourd’hui, elle est rebelle. Elle a des superpouvoirs. Elle tire à l’arc. Elle a même parfois les traits typés qui changent enfin de la blondinette aux cheveux crème vanille allégée. Eh non, ce n’est plus une petite chose fragile, sauvée par une baltringue en collant sur un cheval blanc ! C’est elle qui tient les rênes et qui sauve la baltringue, justement. Elles sont des superhéroïnes. Elles prouvent que l’image de la femme a radicalement changé.
Et vis-à-vis des parents, il n’y aurait pas quelque chose d’oedipien là-dessous ? Après tout, la princesse incarne aussi le regard protecteur du roi-papa. Sa petite fille, si précieuse à ses yeux. Elle a le privilège d’un statut fait sur mesure où chacun a une place qui lui est propre. La reine, le roi, et elle. « En effet, elle s’identifie énormément. Elle est la plus belle du monde. La petite reine de papa. Elle colle tout simplement à ce qu’elles ont dans leur psychisme. Et en plus de ça, il y a le rose, les paillettes, les aventures et les chaussures qui font clac-clac. Elles adorent les chaussures qui font clac-clac. »
N’oublions pas que tout ceci n’est qu’un déguisement. Le roi-papa et la reine-maman ne doivent pas céder à tous les désirs de cette petite princesse aux pleins pouvoirs. « Bien sûr, il faut qu’elle soit cadrée. C’est important pour sa construction. ‘Non, tu ne mets pas ta tenue aujourd’hui’. Elle boude. Elle attend les bras croisés. Elle rêve à sa belle robe. Elle ressent le manque. Et c’est justement là que se consolide cette fameuse ère dont je parlais plus haut, celle de l’inter-psychique », appuie notre psychologue.
En gros, il faut que les parents soient suffisamment clairs. Par la suite, une fois plus grande, le vrai boulot pour les petites filles, ça va être de renoncer à la toute-puissance que leur procure toute cette panoplie. « En primaire, l’effet princesse s’estompe. Et, d’elles-mêmes, elles vont quitter cette période pour d’autres codes. Un jour, sa maman portera une couronne chez le boulanger pour jouer et sa fille aura un peu honte. Elle sera passée à un autre effet de mode, à d’autres rêves. »
On parie combien que, à ce moment-là, vous serez nostalgique de cette période magique et sucrée ? Rassurez-vous, elles n’en demeureront pas moins pour toujours des petites princesses, fidèles et admiratives à la Reine-Maman, le cœur tambourinant toujours un peu en secret pour le valeureux Roi-Papa.
Yves-Marie Vilain-Lepage
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Et les petits garçons et les princesses, alors ?
Un papa chez nos cousins Outre-Atlantique a fait le tour de la webosphère, au moment d’Halloween. Que s’est-il passé ? Il a tout simplement posté des photos et vidéos de son petit garçon de 3 ans, déguisé en Reine des Neiges. Il en rêvait, papa l’a fait. Si ce dernier a assumé, ce n’est pas le cas de tout le monde. Beaucoup de parents sont gênés de voir leur petit garçon se déguiser en fille. Ils le sont moins quand leur fille se déguise en pirate.
Mireille Pauluis rassure : « Ils jouent à se déguiser. Pour comprendre l’autre. Essayer de se glisser dans sa peau. Cela permet autre chose ». Laissez faire. Et si c’est trop systématique à votre goût, rien ne vous empêche de glisser un petit : « C’est rigolo de te voir en princesse. Mais je t’aime bien aussi avec des bottes de cow-boy. Tu me montres pour me faire plaisir ? ».
Mettez de côté tout présupposé. Le seul problème est là : les stéréotypes et les représentations d’adultes. N’oubliez pas que cela reste un jeu, purement transitoire. Il faut alors bien se dire qu’à cet âge-là, rien ne laisse présager de l’orientation sexuelle future de l’enfant. Après, vous verrez bien.