Vie pratique

Logement et séparation, entre portes ouvertes et huis clos

Outre un volet psychologique parfois compliqué à gérer, la séparation, c’est aussi des contingences pratiques. Parmi celles-ci, un gros point : le logement. Au-delà du classique une semaine chez maman-une semaine chez papa, des parents vivent d’autres expériences, parfois choisies, parfois subies. On vous présente ici trois exemples parmi d’autres, enrichis du point de vue de la psychologue Yanina Delverne.

La maison des enfants

Sabine, 39 ans, et Alban, 42 ans, se sont séparés en 2013. À l’époque, leurs deux enfants ont 5 et 7 ans. « On avait une chouette maison, explique Alban, on s’est dit que la séparation ne devait pas empêcher les enfants d’en profiter. La solution est venue toute seule : organiser la séparation autour de ce lieu que tout le monde aime. On trouvait aussi que c’était sans doute moins perturbant pour les enfants de n’avoir qu’un seul lieu de vie. En pratique, c’est simple. Chaque vendredi après-midi, la maison change de parent de garde. Les enfants, eux, restent dans leur quotidien. »
Après trois ans de ce mode de vie, quel état des lieux faire ? Première réponse avec Sabine. « C’est une réussite du côté des enfants. Ils ont plutôt bien vécu la séparation et le mode de vie que nous avons organisés pour eux. Ils se sont adaptés très vite à la semaine avec papa et à la semaine avec maman, avec leurs variations de règles. De mon côté, c’est une situation qui n’est finalement pas si facile à vivre. Contrairement à Alban qui gagne bien sa vie et qui a pu s’acheter un nouvel appartement, moi, je vis une semaine sur deux chez ma mère, dans ma chambre de jeune fille. À presque 40 ans, j’avoue que c’est parfois assez déprimant. »
De son côté, Alban reste enthousiaste. Il aime la semaine avec ses enfants, semaine durant laquelle il télétravaille pour être présent le plus possible. « L’école, les activités extrascolaires, les courses, les bains, les repas, les devoirs, etc., je veux être là pour tout et à 100 %. C’est une semaine que je vis intensément, pour et avec mes fils. La semaine sans eux, c’est vraiment très différent, le programme, c’est boulot et vie sociale plus riche. C’est un compromis qui me va très bien aujourd’hui. Mais j’ai une nouvelle compagne depuis peu, elle aussi divorcée avec des enfants mais qu’elle a en garde partagée. Dans les mois à venir, selon l’évolution de notre relation, peut-être faudra-t-il reconsidérer la question. On verra. »

Le point de vue de la psy. Le point de départ des parents est la stabilité pour les enfants. Je ne sais pas si on peut dire que c’est un bon choix, tant c’est difficile de dire que, à un moment donné, une séparation est bonne pour des enfants si jeunes. L’important, c’est que la communication reste présente entre les enfants et les parents, mais surtout entre les parents. Sabine le souligne, les règles ne sont pas les mêmes avec papa et maman, alors que les enfants sont dans la même maison. C’est cela qui peut être perturbants pour les petits. Si c’est juste une histoire de dessin animé à la télé ou de coucher quinze minutes plus tard, ce n’est pas gênant. Mais pour ce qui est des valeurs de base, il faut un socle solide car c’est cela qui structure les enfants.

Ex et voisins

Lucille et Sébastien, 36 ans, se sont séparés en 2012. Ils décident alors que Lucille gardera l’appartement qu’ils ont acheté dix ans auparavant. Dans le même temps, un appartement se libère dans le même immeuble, un étage plus haut. Sébastien en fait l’acquisition. Pour le plus grand plaisir de Stanislas, leur fils de 7 ans.
« Au départ, c’est plus un concours de circonstances qu’un véritable choix, souligne Sébastien. Mais c’est vite apparu comme la solution la mieux adaptée à notre conception de la parentalité malgré la séparation. On est restés très proches, Lucille et moi, avec la volonté d’être à l’écoute des besoins de Stan, de ne pas le priver de la présence de l’un ou de l’autre. Légalement, nous sommes sous un régime de garde partagée, ce qui veut dire que techniquement Stan est chez l’un ou l’autre une semaine sur deux et la moitié des vacances. Dans la pratique, il n’y a qu’une seule règle imposée : il dort chez celui de la semaine de garde. En gros, il saute d’un appartement à l’autre quand il le veut, que ce soit le soir ou le week-end. »
La visite des deux appartements révèle un aspect inattendu… La chambre de Stanislas est totalement différente ! Chez son père, rien ne traîne, les livres sont sur des étagères, les jouets dans des bacs, le lit fait. Chez sa mère, on parle plutôt de joyeux bazar : des feutres qui jonchent le sol, un amas assez indescriptible de Lego et Playmobil, deux BD ouvertes sur le lit. « Ce sont clairement deux univers différents dans lequel Stan évolue un peu selon son humeur… ou la nôtre, je ne sais pas, sourit Lucille. Tous les trois, on se sent bien dans ce fonctionnement, bien qu’il y ait parfois des tensions, des accrochages entre nous. »
Lucille et Sébastien ont tous deux un nouveau conjoint dans leur vie. Sans que cela ne pose de problème ? « Franchement, non. Ça a même fait du lien entre nos nouveaux amoureux, souligne Lucille. Stan est un dénominateur commun des deux couples, par extension je dirais même qu’il a quatre parents. »

Le point de vue de la psy. Cette formule est vraiment très chouette et semble ici marcher à merveille. Mais, là encore, elle ne peut fonctionner que si les parents restent complices. Pour l’enfant, cette proximité est intéressante, parce que ses besoins ne peuvent pas toujours être assurés par l’un et l’autre. Le cas de la chambre le montre d’ailleurs, ce garçon s’adapte selon qu’il est chez son père ou chez sa mère ou en fonction de ses propres besoins. La seule limite que je mettrais, c’est qu’un enfant un peu malin pourrait tirer profit de ce système pour obtenir à coup sûr ce qu’il veut en jouant le petit malheureux chez l’un quand l’autre lui aura refusé quelque chose.

Séparés, mais ensemble 

Cela fait deux ans et demi que Natacha et Cyril, 42 et 43 ans, ont divorcé. Et cela fait aussi deux ans et demi qu’ils vivent toujours sous le même toit avec leurs trois enfants de 3, 9 et 13 ans. Un choix ? Pas vraiment. Mais une vraie nécessité économique, la faute à des emplois précaires et donc deux tout petits salaires.
« Nous sommes propriétaires de la maison, mais elle ne vaut pas grand-chose. La revendre n’est pas une bonne opération, ni pour l’un, ni pour l’autre, explique Natacha. On n’a pas d’autre choix que celui de cette cohabitation forcée. C’est forcément compliqué quand on s’est séparés parce qu’on ne pouvait plus communiquer autrement qu’en hurlant. On a essayé de trouver le meilleur compromis, de délimiter des espaces privés - ce qui n’est pas facile quand on n’a qu’une seule salle de bain, par exemple -. Ça, ce n’est qu’une partie de l’iceberg, on doit aussi toujours prendre sur nous pour que jamais cette situation compliquée ne rejaillisse sur les enfants. C’est un combat de tous les jours, vraiment ! »
« Je suis bricoleur, c’est bête, mais ça aide, ajoute Cyril. On a deux chambres bien séparées, des espaces bien délimités, on peut presque vivre l’un à côté de l’autre sans se croiser. Mais je peux vous dire que deux ans et demi comme ça, c’est long, très long. On essaye de faire bonne figure devant les enfants quand on est tous au même endroit au même moment, mais ça reste une situation quasi invivable. D’ailleurs, notre aîné n’est pas dupe, il voit bien que nous sommes constamment sur un fil. Il fait lui aussi des efforts pour arrondir les angles. Les deux plus jeunes sont bien plus insouciants et c’est très bien comme ça. J’espère simplement qu’ils ne devront pas subir cela encore trop longtemps. »

Le point de vue de la psy. Évidemment, c’est la pire des solutions pour un couple séparé que de vivre sous le même toit. Et cela même si l’entente entre les ex-conjoints est bonne. Pour les enfants, là, c’est extrêmement compliqué. On le voit avec cet ado de 13 ans qui se retrouve dans un rôle qu’il ne doit en aucun endosser : celui de l’adulte tiers ou de médiateur familial. En ce qui concerne les plus petits, cela entretient l’illusion d’une possible réconciliation, de papa et maman qui se remettent ensemble « pour de vrai ». Et cela en dépit du ressenti qu’ils ont des tensions. On dit assez souvent que les enfants sont des éponges. Dans ce cas de cohabitation forcée, ils perçoivent très bien le négatif de la situation, ce qui vient se confronter très fort à leur espoir de voir à nouveau leurs parents ensemble. On comprend aisément que des perturbations psychologiques peuvent poindre, même si la situation a été parfaitement et clairement expliquée aux enfants.



Romain Brindeau

Zoom

La protection du logement familial

La notion de protection du logement familial est assez technique et complexe. Elle relève de l’article 215 du Code civil et prévoit des dispositions particulières en cas de séparation pour ne pas que l’un ou l’autre des parents se retrouve sans toit. Mais attention, ces dispositions prennent fin suite à la prise de « mesures urgentes et provisoires » du tribunal des familles ou après prononciation du divorce.
Pour en savoir + : www.notaire.be et l’article 215 du Code civil.

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