Développement de l'enfant

« Maman, arrête de faire la cigarette ! »

Aïe, vous fumez et êtes peut-être sur le qui-vive ! Le titre du papier ne vous incite pas à le lire. Ou alors, en diagonale. Marre d’être mis sur la sellette pour « quelques » cigarettes journalières ou même tout un paquet ? Ici, rien de culpabilisant. Mais « impossible, pour un professionnel de la santé, de cautionner un comportement qui est toxique pour soi et ses enfants », plaide le docteur Laurence Hanssens, pédiatre pneumologue et tabacologue à l’Hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola (Bruxelles).

Les enfants en connaissent un bout sur le tabagisme. Théo, 9 ans : « Quand tu fumes, ton cerveau fait krrrrr ». Il voudrait bien que ses parents cessent de « faire la cigarette ». Max, 6 ans, sait que le tabac, « c’est du poison » : ça a boosté son papa de le clamer quand il a arrêté de fumer. Mais celui-ci a rechuté : « Pourquoi tu t’empoisonnes ? », lui a alors demandé Max. Logique !
Contrairement à ses grandes sœurs, Esther, 11 ans, défend ses fumeurs-pompiers de parents, même si elle imagine les montagnes de jouets qu’elle pourrait avoir grâce à l’argent… qui part en fumée. Mais sûr que bientôt elle rejoindra le chœur de ses aînées pour répéter que « ça pue, c’est dégueulasse ».

Tabagisme passif, tabagisme tertiaire

Incontestable : les enfants subissent le tabagisme de leurs parents fumeurs (ou tabagisme primaire). On parle dans ce cas de tabagisme passif, soit « l’exposition involontaire d’un sujet non fumeur à la fumée provenant d’un ou plusieurs sujets fumeurs », rappelle Laurence Hanssens. Mais ce n’est pas tout.
« Depuis 2009, souligne la spécialiste, je tiens compte d’une notion supplémentaire : le tabagisme tertiaire. Des études rigoureuses ont en effet montré les effets néfastes de l’accumulation dans un environnement des substances nocives liées à la cigarette. Par exemple, une voiture peut renfermer des quantités importantes de substances toxiques et celles-ci ne se concentrent pas uniquement sur le volant ou la partie avant, mais se retrouvent dans tout l’habitacle, et donc aussi à l’arrière, là où les enfants sont assis. Et ce, même si, pour fumer, on ouvre la fenêtre ! Les substances nocives s’accumulent et, dès qu’il y a une ventilation, elles interagissent avec les autres substances présentes dans l’air pour développer de nouvelles molécules toxiques. Ceci est vrai pour la voiture, mais aussi pour les espaces dans la maison. »

Conséquence ? « Si on vise, comme l’Organisation mondiale de la santé le souhaite, un environnement 100 % sans tabac pour l’enfant, je ne peux plus simplement conseiller aux parents fumeurs d’aller fumer à l’extérieur, sur leur terrasse ou dans la cuisine sous la hotte en marche : parce que les substances nocives s’accumulent dans les meubles et les murs de l’espace où ils ont cette habitude et qu’elles s’incrustent dans leurs vêtements et leurs chaussures. »
Le tabagisme des parents entraîne pas mal de risques pour les enfants. À court, moyen et long termes. Voyez plutôt : troubles de la fertilité chez les parents fumeurs, complications lors de la grossesse (anomalies du placenta, rupture prématurée de la poche des eaux…), fausse couche, accouchement prématuré, petit poids du bébé à la naissance, perturbations dans son développement pulmonaire, allaitement difficile, mort subite du nourrisson, bronchites et bronchiolites à répétition, pneumonies, asthme, otites, diabète de type 2, troubles du comportement…
« Et puis, si une maman fume pendant sa grossesse et que son enfant se met à fumer à l’adolescence, celui-ci risque deux fois plus de devenir dépendant de la cigarette : c’est qu’il a baigné, fœtus, dans les substances nicotiniques ». À noter aussi : si votre enfant vous voit fumer pendant des années, cela banalise ce comportement. Dès lors, à l’adolescence, il passera plus facilement à l’acte lorsqu’un copain lui proposera de griller une cigarette avec lui.

« Docteur, mon enfant tousse… »

À sa consultation, la pédiatre pneumologue reçoit par définition des jeunes patients ayant des problèmes respiratoires. « Les parents savent évidemment que fumer n’est pas bon pour la santé. Mais ils ne viennent jamais en disant ‘Je fume et mon enfant tousse’, non, ils signalent seulement que leur enfant tousse. À moi de faire une anamnèse (ndlr : une sorte d’histoire de la maladie) fouillée… Quand un enfant fait des otites à répétition, mon travail consiste à explorer le tabagisme éventuel de ses parents avant de multiplier les examens. »
« À chaque parent que je vois, je demande s’il fume, explique encore le docteur Hanssens. Si la réponse est oui, il va falloir argumenter sans culpabiliser : ‘Le fait que vous fumiez n’a que des inconvénients pour votre enfant. Dans son intérêt, je vous conseille d’arrêter de fumer. Vous êtes libre de faire ce que vous voulez. Mais si vous décidez d’arrêter, sachez qu’on peut vous aider’. Je comprends qu’arrêter est difficile : le tabac est une drogue dure qui offre des bénéfices à son consommateur, parce que la vie est dure, parce qu’il y a les enfants, parce que le travail, c’est compliqué - parfois, il n’y a pas de travail - ; et l’addiction au tabac surgit très précocement. Mais mon message est clair : je ne cautionne pas un comportement nocif pour la santé. »

Parce qu’ils ont en général un « court » vécu de fumeur (dix, quinze, vingt ans), ces parents rencontrés se situent souvent au stade de fumeur heureux et satisfait. « Les premières années, le plaisir domine. Ce n’est qu’après un temps qu’on se transforme en un fumeur ambivalent, conscient des avantages de fumer mais aussi des inconvénients : quand des symptômes apparaissent (essoufflement…), qu’un proche est atteint d’un cancer… Mais quand, lors d’une visite, je leur pose ces questions simples - ‘Fumez-vous ?’ et ‘Êtes-vous prêt à arrêter ?’ -, je les mets dans cette ambivalence. S’ils sont fumeurs mais ne sont pas prêts à arrêter, pas de souci : je le note dans leur dossier. Et à chaque nouvelle visite, je les questionne de nouveau. »
Pour le docteur Hanssens, « en matière de tabagisme, tous les professionnels de la santé (le généraliste, le pédiatre…) ont un rôle à jouer. Un rôle d’aide, d’accompagnement. Le fait même de poser les deux questions élémentaires a un effet sur l’arrêt du tabagisme. Un effet minime. Mais un effet tout de même. »

L’enfant : un coach, pas un thérapeute

En cas de tabagisme passif subi par l’enfant, la prise en charge est parentale, mais pas seulement. « J’évoque aussi avec la famille les grands-parents et, éventuellement, la personne qui garde l’enfant en journée, souligne Laurence Hanssens. Il arrive que la nounou fume, et pas les parents ! »
Comment agir face à des grands-parents fumeurs ? « Je parle à l’enfant dès qu’il est en âge de comprendre. Il doit saisir que papy et mamie ne vont pas arrêter de fumer parce que le docteur l’a demandé ! Mais, quand il est chez eux, c’est important qu’il leur explique que la fumée n’est pas bonne pour SA santé et que, même si c’est compliqué pour eux, ils doivent au moins faire l’effort de ne pas fumer en sa présence. »

De façon générale, il ne s’agit pas de faire de l’enfant le thérapeute de l’adulte, insiste la spécialiste. « Quand des papas, des mamans viennent à la consultation de tabacologie, je leur précise que leur premier coach, c’est leur enfant. Je dis à l’enfant qu’il peut aider ses parents à arrêter de fumer s’ils sont motivés. En étant moins stressant, par exemple. Mais son but n’est pas de les faire arrêter. Il ne doit pas non plus être déçu si ça ne marche pas. Les parents doivent prévenir leur enfant qu’ils risquent d’être désagréables et que ça ne signifie pas qu’ils en ont contre lui. Et s’ils rechutent, ils ne doivent pas fumer en cachette de leur enfant, de peur de le décevoir : ils doivent simplement lui spécifier que les rechutes font partie du processus de sevrage. »

Les mômes d’aujourd’hui (comme les adultes d’ailleurs) sont bien mieux informés sur les dégâts du tabac que ceux d’hier. Grâce surtout aux campagnes de sensibilisation tous publics et aux actions menées lors de la Journée mondiale sans tabac (le 31 mai). Mais est-ce assez ? « Je rêve que tous les enfants, vers 9-10 ans, quand ils sont en 5e et 6e primaire, reçoivent une information sur les substances toxiques licites (tabac, alcool). Ce rôle pourrait revenir aux écoles. Cela se fait déjà ici et là, mais ce n’est pas systématisé. »
À côté de l’information, les actions fortes des pouvoirs publics comptent dans la lutte antitabac, comme l’interdiction de fumer dans les lieux collectifs. « À quand une augmentation drastique du prix du paquet de cigarettes ? ». Ainsi que les aides proposées aux fumeurs qui souhaitent arrêter : « Certains patients m’ont déjà dit : ‘C’est cher, votre consultation !’, même si elle est en partie remboursée » (mais continuer à fumer coûte plus cher !). « Pour être efficace, la lutte antitabac doit être globale », conclut le docteur Laurence Hanssens.



Martine Gayda

EN SAVOIR +

Besoin d’infos ? Besoin d’aide ?

  • Tabac-Stop est un service gratuit qui renseigne, conseille, aiguille, accompagne les personnes qui veulent arrêter de fumer : tél. 0800 111 00 (de 15 à 19 h).
  • Le site naitreetgrandirsanstabac.be, à l’initiative de l’asbl Fonds des affections respiratoires (Fares), s’adresse spécialement aux futurs et nouveaux parents.
  • Les Centres d’aide aux fumeurs (Caf), coordonnés par le Fares, sont implantés dans les hôpitaux. Leur atout : une prise en charge par une équipe multidisciplinaire (médecin, tabacologue, psy, diététicien, kiné…).
  • Alliés précieux, les tabacologues sont des professionnels de la santé (médecins, infirmiers…) ou des psychologues ayant suivi une formation en tabacologie. Ils exercent comme indépendants ou dans un Centre d’aide aux fumeurs.
  • Le Fares est une véritable mine d’infos et d’aides : 56, rue de la Concorde à 1050 Bruxelles, tél. : 02/512 29 36. À contacter si on veut organiser une action dans une école.
  • À visiter aussi, le site de la Fondation contre le cancer.
  • Les consultations d’aide à l’arrêt tabagique auprès d’un médecin ou d’un tabacologue sont partiellement remboursées.

Consultez, aujourd'hui c'est gratuit

Aujourd'hui, 70 hôpitaux ouvrent gratuitement leurs portes aux 23% de fumeurs belges. Pour obtenir un aperçu des hôpitaux participants, il suffira de consulter le site journeesanstabac.be. Vous y retrouverez toute l’information pratique concernant la journée ainsi qu’un localisateur par province avec la majorité des hôpitaux participants. Sur place, les actions sont visibles grâce aux stands d’information.

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