Société

Mobilité familiale : « Du changement dans l’air ! »

Voitures, vélos, transports en commun… chaque famille a ses habitudes pour se déplacer. En mettant tout à l’arrêt, le confinement a même permis à certaines de découvrir les plaisirs d’une mobilité plus douce. Aujourd’hui, les trajets domicile-école-travail ont repris. Avec les mêmes moyens de locomotion ? Tout dépend de la famille et du contexte.

Aurélie et Thibaut sont les parents d’Émilie, 1 an, et d’Eliott, 3 ans. Ils vivent à Ottignies, travaillent à Bruxelles et jouissent de deux voitures de société depuis neuf ans. Conscients de leur impact écologique, et n’aimant pas les embouteillages, ils prennent le train depuis un an pour aller bouloter. Les voitures restant souvent dans leur garage.

« J’avais déjà conscience de l’absurdité de la situation avant le Covid. Je voulais rendre ma voiture, mais je ne parvenais pas à concrétiser l’intention », explique Aurélie. Le confinement et le télétravail ont réussi à la convaincre de le faire au mois d’août dernier.

« Je suis un peu l’ovni de la boîte. Personne ne rend sa voiture de société. Je gagne 500 € brut en plus par mois sur mon salaire, ce qui fait environ 250 € net. Mais cette somme n’équivaut pas au réel coût d’une voiture par mois. Par exemple, si je changeais d’avis et que je décidais de m’acheter ma propre voiture, à mes frais, cela me coûterait bien plus que 250 € net par mois. Les 500 € brut ne sont qu’une petite compensation par rapport aux réels coûts d’une voiture de société, avec la carte essence, les assurances et l’entretien. »

Pour l’organisation familiale, « on n’a pas de problème, car les enfants n’ont pas trop d’activités. Le jour où ils en auront, ça sera plus compliqué. Mais on s’est dit qu’avec le train et les Cambio (ndlr : un système de voitures partagées), on trouvera une solution ». Le plus important, cela reste tout de même « qu’Eliott adore aller à la crèche à vélo. Ce matin, j’ai dû l’emmener en voiture. Il râlait, il voulait son vélo ».

Globalement moins de voitures

Aurélie fait partie de ces parents qui ont tiré profit du confinement et du télétravail pour s’orienter vers une mobilité plus douce. Elle est loin d’être la seule : selon l’enquête de l’Institut Vias datant du mois de septembre dernier, l’utilisation de la voiture a fortement baissé en Belgique, et cela majoritairement grâce au télétravail.

Aujourd’hui, en Wallonie, les chiffres Coyote de septembre 2020 indiquent une diminution de 15% de la fréquentation des automobilistes par rapport à l’année dernière. À Bruxelles, elle est de 11%. Le trafic des véhicules motorisés a donc notablement baissé. Ce qui a notamment permis aux vélos de s’imposer.

Nettement plus de vélos à Bruxelles

Lola est Bruxelloise, maman de deux enfants de 2 et 5 ans. À la naissance de son cadet, elle s’est acheté un vélo cargo. Mais elle n’arrivait pas à l’utiliser : « J’avais peur, je n’osais pas à cause des voitures ». Le confinement lui a permis d’apprendre à rouler et de prendre ses marques.

« Comme il n’y avait personne dans les rues, on sortait tous les jours avec le vélo et les enfants. Maintenant, je ne crains plus rien. Je ne suis pas forcément ravie de prendre le vélo quand la météo est mauvaise, mais je ne me vois plus me déplacer autrement. Je vais beaucoup plus vite. En voiture, c’est l’enfer. On l’a d’ailleurs vendue depuis lors. »

Une étude de Bruxelles Mobilité du 1er octobre montre que les déplacements à vélo dans la capitale ont explosé (+ 87% sur le mois de septembre). Comme pour Lola, avant le Covid, le frein principal des citadin·e·s à la pratique était le manque de sécurité. Depuis, le beau temps pendant le confinement, la réduction de la circulation routière et la mise en place de quarante kilomètres de pistes cyclables supplémentaires dans la ville ont permis à plusieurs personnes de se lancer.

Et parmi elles, des familles. Marie Thibaut de Maisières est la porte-parole de la ministre bruxelloise de la Mobilité, Elke van den Brandt (Groen). Elle-même cycliste et maman de quatre enfants, elle explique : « Nous n’avons pas encore de chiffres sur l’utilisation des vélos par les familles, mais en tant que cycliste quotidienne, je vois que sur les pistes cyclables, il y a plus de femmes et plus d’enfants. Le confinement a permis aux plus jeunes de pratiquer le vélo et de les aguerrir à la route. Maintenant, certains peuvent aller à l’école à vélo seuls ou avec leurs parents ».

L’ASBL Pro Vélo, qui organise régulièrement des formations « Parents-enfants » visant à apprendre aux parents comment rouler avec leurs enfants en ville en toute sécurité, va dans le même sens. « Bien qu’on en ait augmenté sérieusement la fréquence, les prochaines formations sont toutes complètes », indique Catherine Legein, porte-parole de l’association.

Un peu plus de vélos en Wallonie

Nancy habite un village dans le sud du Luxembourg. Elle a quatre filles de 7, 9, 11 et 13 ans. « Je ne fais pas de télétravail et mon boulot est à vingt-cinq kilomètres. Donc le vélo, très peu pour moi. J’utilise toujours la voiture. Les bus TEC ne sont pas du tout fréquents. Donc après le travail, c'est maman-taxi tous les jours pour les activités des enfants. Rien n'a donc changé pour nous, la voiture reste indispensable ».

Comme la Wallonie ne dispose pas comme Bruxelles d’un observatoire du vélo, on ne trouve pas de chiffres sur l’éventuelle augmentation de son utilisation. « Néanmoins, tous les vendeurs et producteurs de cycles étaient en rupture de stock pendant le confinement », constate Mickaël Scholze, porte-parole de l’Agence wallonne de la sécurité routière. Des vélos ont donc été achetés en quantité, mais il n’est pas possible de présager de leur utilisation pour le loisir ou pour le déplacement domicile-travail.

Un peu moins de transports en commun

Genildo vit à Bruxelles et a trois enfants de 9, 11 et 15 ans. Ne possédant ni voiture, ni vélo, il a l’habitude de se déplacer en transports en commun. Le Covid n’a pas changé ses pratiques. « Je prends toujours le tram. Mais ce n’est pas très agréable. On doit mettre le masque, faire attention à l’hygiène et les gens sont beaucoup plus agressifs les uns envers les autres ».

À Bruxelles, la surface de fréquentation de la STIB a atteint 71% des chiffres pré-Covid, qui étaient de 400 millions de voyages par an. En Wallonie, celle du TEC est de 80% des 150 millions de voyageurs transportés annuellement avant le covid. Face à ces chiffres, les pouvoirs publics se réjouissent de constater que la confiance des usagers remonte. Mais s’agit-il uniquement d’une question de confiance ?

Genildo n’a pas eu d’autre choix que de réutiliser les transports en commun. À l’inverse, d’autres Bruxellois ont préféré reprendre leur voiture alors qu’ils se déplaçaient auparavant en transports publics. « Ce qui explique que nos routes sont quand même denses alors que beaucoup de Bruxellois sont en télétravail ou ont commencé à pratiquer le vélo », communique la ministre bruxelloise de la Mobilité.

Pour Céline Nieuwenhuys, secrétaire générale de la Fédération des services sociaux, « rien n’a changé pour la mobilité des familles précaires. Avec la crise qu’on a connue, jamais elles n’auraient pu acheter un vélo. Aujourd’hui, personne ne s’inquiète des transports en commun qui redeviennent pleins et de leur fréquence qui n’a pas été augmentée. Certes, le port du masque est obligatoire, mais il n’est pas suffisant, car les usagers sont trop nombreux pour maintenir la distance physique recommandée ».

 


Alix Dehin

 

 

Et ensuite ?

Les changements en matière de mobilité chez les familles ont donc lieu à échelles variables selon les Régions et le contexte socioéconomique de ces dernières. Le prochain enjeu consiste à maintenir ceux qui sont en cours et à en susciter de nouveaux pour y inclure le public précarisé.

À ce propos, à Bruxelles, la ministre de la Mobilité Elke Van den Brandt compte continuer à appliquer les mesures prévues dans son plan de mobilité « Good Moove ». « Pour ce qui est des transports publics, le plan est en train d'augmenter la capacité des bus de la STIB de 30% d’ici 2022. Sept nouvelles lignes de tram sont aussi à l’étude et les travaux d’infrastructure lourde de la ligne du Métro 3 vont bientôt commencer. Pour ce qui est des pistes cyclables, nous sommes en train d'évaluer les flux sur les quarante kilomètres de pistes supplémentaires que nous avons installées à la sortie du confinement. Là où c’est nécessaire, nous ferons des adaptations et nous les améliorerons. Troisièmement, la Région a aidé les communes, pendant le confinement, à installer des zones de rencontre où le piéton est prioritaire. Améliorer le confort et rendre plus agréable la marche est crucial, car on oublie souvent que la marche est le premier moyen de transport des Bruxellois. Par ailleurs, dès janvier 2021, exceptés les axes régionaux, toutes les rues de notre Région seront limitées à 30km/h. Enfin, nous attendions avec impatience un Gouvernement fédéral pour améliorer l’accès à Bruxelles en transports publics pour nos navetteurs et navetteuses. Ça y est, il est là, et avec un accord de majorité qui souligne l’importance du train ».

En Wallonie, « le TEC est en plein déploiement d’un nouveau réseau express adressé aux travailleurs et travailleuses, explique Stéphane Thiery, directeur du marketing et de la mobilité du TEC. Nous avons augmenté l’amplitude de seize lignes de bus en octobre dernier et allons en ouvrir une dix-septième le 1er janvier. Cette augmentation de l’offre va continuer jusqu’en 2024 ».

Concernant le vélo, le cabinet du ministre wallon de la Mobilité, Philippe Henri (Ecolo), prévoit d’instaurer des primes aux particuliers et aux entreprises pour l’achat d’un vélo - vélo cargo compris - pour les déplacements domicile-travail. Des parents pourront en bénéficier pour déposer leur enfant à l’école à condition que leur destination finale soit leur travail. Cette mesure devrait entrer en vigueur d’ici la fin de l’année.

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