Vie pratique

La transmission a toujours été la grande affaire des grands-parents. Une enquête française datant de décembre 2013 le confirme. Interrogés sur les activités prioritaires envers leurs petits-enfants, 95% se prononcent en priorité pour leur transmettre un savoir-faire et raconter des souvenirs de leur vie de famille. Gageons que les papys et mamys belges sont sur la même longueur d’onde que leurs voisins français. Le Ligueur a rencontré une dizaine d’entre eux et a voulu aller un pas plus loin en leur demandant s’ils transmettent à leurs petits-enfants ce qu’ils ont fait ou tenté sans succès de faire avec leurs propres enfants. Ou au contraire, s’ils ont choisi de transmettre quelque chose de tout à fait différent.
► Marianne, 58 ans
Je prends un plaisir fou à organiser des sorties culturelles avec mes petites-filles de 8 et 11 ans. Elles s’en amusent beaucoup aussi.
Mais ma fille ne regarde pas du tout ça d’un bon œil : elle trouve que j’outrepasse mes « missions » (quel mot pompeux !), que c’est à elle de les éduquer !
Jean, 72 ans, à distance
Je suis assez d’accord avec la fille de Marianne. Je ne me sens pas investi du tout d’une responsabilité de transmettre quoi que ce soit. Ceci est une image, bien entendu, mais comme grand-père, je suis invité à une table où je n’ai pas choisi la nappe ni les couverts et où on me dit de m’installer à un endroit précis. Autour de cette table, il y a notamment mes petits-enfants : mon seul devoir, c’est d’être bien éduqué et de manger proprement. Mes petits-enfants mangent leurs frites avec les doigts et me demandent pourquoi je ne fais pas comme eux ? Je leur réponds que je n’aime pas avoir les mains grasses ! Après, je quitte la table.
Martine, 66 ans, mamy conteuse
Moi, je trouve que mon rôle est de faire le joint entre deux mondes en transmettant l’histoire familiale. L’autre jour, j’ai raconté à ma petite-fille la vie très dure de ma grand-mère qui allait, par monts et par vaux, offrir ses services dans les fermes pour filer la laine. Mon fils n’a jamais su cette histoire : quand on est parent, on n’a pas le temps de raviver la mémoire, on est entièrement plongé dans le présent.
Danny, 72 ans, témoin d’une époque
Mes petits-enfants (ils ont entre 5 ans et demi et 15 ans !) vivent d’une façon moderne et très confortable qui est à mille lieues de ce que j’ai vécu. Alors, je raconte… que le soir, on jouait au puzzle, faute de télé, qu’il n’y avait qu’une radio pour tout le monde, qu’à la Saint- Nicolas ou à mon anniversaire, je ne recevais qu’un seul objet que j’étais priée d’user jusqu’à la corde ! Je veux qu’ils mesurent la rapidité des changements, qu’ils ne pensent pas que le monde a toujours été comme celui d’aujourd’hui. Je veux qu’ils prennent conscience de leur chance sans tomber dans la leçon de morale.
Lucas, 75 ans, chacun son tour
Pour moi aussi, la transmission se fait par les parents. Je n’ai aucun devoir en direct vis-à vis de mes petits-enfants sauf répondre à leurs questions s’ils veulent savoir qui je suis. Ce que j’ai transmis a été fait, bien ou mal, avec mes enfants. À eux d’en faire quelque chose aujourd’hui avec leurs propres enfants.
Léa, 63 ans, sans aïeux
Est-ce parce que je suis une grand-mère ? (Les femmes sont toujours un peu plus romantiques…). J’ai beaucoup regretté que mes fils n’aient pas de grands-parents pour faire le lien entre les différentes générations. Mes jérémiades agaçaient mon entourage incrédule, trouvant au contraire que ne plus avoir charge de vieux, c’était plutôt mieux. Pourtant, il m’a toujours semblé qu’il manquait une sorte de colonne vertébrale à ma petite famille.
Liliane, 70 ans, jadis…
Tout le monde m’appelle Lili, mes petites-filles et petits garçons compris. Ces derniers sont toujours étonnés quand je leur parle de mon enfance. Ils ne peuvent imaginer la distance qu’il y a entre leur façon de vivre et la mienne, quand j’étais petite. Peut-être que si je me faisais appeler Mamy ou Bobonne, ils comprendraient mieux que je suis le témoin d’une époque pas si lointaine quand même. Je n’ai pas l’air si fossile !
Thierry, 66 ans, papy inquiet
Les parents ont-ils bien compris le monde dans lequel ils sont ? C’est ma vraie angoisse. En tant que grand-père, j’ai davantage de points de comparaison et je trouve qu’en cinquante ans, il y a eu de tels bouleversements que je ne suis pas toujours sûr qu’ils soient prêts à bien bâtir leurs mômes pour la société à venir. Mais c’est à eux d’avoir l’éducation en main.
Pierre, 65 ans, subversif
Moi, je suis bien décidé à continuer à transmettre mes valeurs qui vont, certes, à contre-courant de notre société marchande. Qu’importe ! Les parents sont là pour outiller mes petits-enfants à faire face à l’avenir qui semble décidément conditionné par le néolibéralisme. Je refuse d’adapter mon discours, quitte à prendre le risque de me fâcher avec mon fils et ma belle-fille. Comme grand-père, je n’ai pas à éduquer, je reprends donc ma liberté de parole…
Carine, 60 ans, inspirée
J’ai rencontré une dame brésilienne qui se rendait au Canada pour fêter le passage à l’adolescence de son petit-fils. Une belle idée ! Elle m’expliquait que pour marquer le coup, toute la famille se rassemblait autour d’une grande table et que chacun à son tour racontait un événement de sa vie, exposait une valeur, un principe auquel il tenait particulièrement. J’imagine reproduire le même rituel avec les miens…
Patrick, 55 ans, rêver c’est créer
Comme père ou grand-père, j’ai toujours transmis la même chose sur le fond mais pas dans la forme. J’aime faire passer l’idée à mon petit-fils qu’il peut réussir ses rêves. Mieux ! Qu’il peut se réaliser dans ses rêves et réaliser son rêve. Il s’imagine au volant d’une voiture ? Je lui demande comment il la voit, quelle couleur elle a, si elle est grosse, petite, rapide… je l’accompagne dans son rêve.
David, 72 ans, l’indicible
J’ai vécu profondément dans le judaïsme et je n’ai pas voulu que ça se perde. J’ai transmis donc à mes enfants certains rituels, certaines attitudes… Mais face à mon petit-fils qui a 11 ans, je me sens démuni. Mon histoire a trop d’aspects tragiques et je ne peux plus les dire. Alors, j’essaie de transmettre une culture : nous allons ensemble au musée juif, on écoute ensemble de la musique klezmer… Mais l’aspect tragique me rattrape malgré tout et je crains de lui faire peur, je ne sais pas comment il reçoit ça dans sa tête…
Paul, 74 ans, résigné
La transmission se fait aussi par des silences, des gestes, des mots qui nous échappent consciemment ou inconsciemment… Beaucoup de non-dits aussi. Elle se fait donc souvent malgré nous et à travers le côté répétitif du quotidien. Parce qu’on peut être dans le paraître un certain temps, se surveiller mais tôt ou tard, l’être s’impose…
Myriam Katz
En CHIFFRES
CÔTÉ PAPYS ET MAMYS, CÔTÉ PETITS-ENFANTS
Une étude, Regards croisés des grands-parents, parents et petits-enfants sur la place et le rôle des grands-parents a été réalisée en décembre 2013 par Opinion Way en France. Quelques chiffres éloquents : 93% des papys et mamys jugent prioritaire de donner à leurs petits-enfants le goût de la lecture, 90% estiment que leur tout premier rôle est de les garder pour dépanner les parents, 44% citent parmi les valeurs à transmettre le respect de l’autre, 39% le sens de la famille, 38% l’honnêteté, 21% la tolérance et 21% le respect de l’autorité.
Et côté petits-enfants ? 49% aiment que les grands-parents aient du temps pour eux, 46% qu’ils leur apprennent beaucoup de choses, 40% qu’ils leur font des cadeaux et 29% aiment qu’ils leur donne de l’argent.