Vie pratique

Pascal De Sutter y croit dur comme fer : des parents heureux donnent des enfants heureux. Et quand il dit « parents heureux », il pense aussi parents heureux en amour, au lit. Une évidence ? Pas tant que ça. Il propose d’explorer les sens, dans toutes leurs dimensions.
Les sens, il en parle dans ses articles et livres, mais aussi dans ses conférences et dans des week-ends de ressourcement conjugal. Pascal De Sutter est docteur en psychologie, sexologue et thérapeute. Et préside l’École de sexologie et des sciences de la famille à l’UCL.
Pascal De Sutter : « Des études scientifiques ont montré que les enfants heureux étaient des enfants de parents heureux. Conséquence un peu paradoxale : les parents qui sacrifient leur conjugalité à leur parentalité ont des enfants moins heureux. Une femme, par exemple, qui met toute son énergie dans l’éducation de ses enfants et néglige son mari court le risque de voir celui-ci s’éloigner ou d’avoir des relations extraconjugales ou de s’investir exclusivement dans son travail. Pour 50% des femmes, c’est devenu une corvée de faire l’amour avec leur compagnon, parce qu’elles se sont déconnectées de leur sensualité, de leur sexualité. Les hommes, eux, sont plus connectés à leur sexualité, mais négligent plus généralement leur sensualité. Si vous devez attendre la retraite et le départ des enfants, parfois il est trop tard. Il est important de s’arrêter dans notre course folle pour se consacrer davantage à son couple. Certains n’y pensent même plus, parce qu’ils commettent l’erreur de croire que la sensualité et la sexualité sont naturelles, spontanées. Il faut y mettre du temps et de l’énergie, et pas nécessairement de manière coûteuse. 50% des divorces sont liés à une mésentente sexuelle. Des parents qui ont négligé leur intimité, leur sensorialité, leur sexualité pour se focaliser à 100% sur les enfants causent indirectement du tort à ceux-ci. Beaucoup de parents commettent l’erreur de culpabiliser vis-à-vis de leurs enfants parce qu’ils sont très pris par leurs activités professionnelles. Du coup, ils consacrent 100% de leurs loisirs aux activités familiales, oubliant de redynamiser leur couple. Se ressourcer, c’est pour cela que nous appelons nos week-ends des week-ends de ressourcement conjugal, remettre de l’énergie dans son couple, c’est renforcer la famille. Se retrouver à deux, mari et femme, amant, amante, prendre de la distance par rapport aux enfants permet de mieux les retrouver, de mieux retrouver son rôle de père, de mère. »
Une éducation à la sensorialité
Le Ligueur : En tant que parent, a-t-on un rôle à jouer dans une éducation à la sensualité avec ses enfants ?
Pascal De Sutter : « Cela me fait plaisir que vous abordiez cette question. En tant que psychologue et sexologue, je vois les conséquences dramatiques de l’affaire Dutroux suite à la paranoïa qui s’est développée dans notre pays. Toucher un enfant devenait suspect. Prendre son bain avec sa petite fille pour un papa était nécessairement pervers. Mon expérience de professionnel qui travaille avec des adultes qui ont de graves problèmes relationnels m’a montré que ceux-ci souffrent beaucoup plus d’un manque de sensualité que des excès malheureusement dramatiques mais heureusement rares dus à certains comportements incestueux. Il faut toucher ses enfants, les prendre dans ses bras, les caresser, se coller l’un contre l’autre, leur apprendre que c’est bon d’avoir un massage du dos, à travers toute une éducation à la sensorialité qu’ils pourront par après utiliser dans leur vie adulte et amoureuse. Comment voulez-vous vous sentir à l’aise dans votre corps, si vous avez été éduqué dans une famille froide, où l’on ne se prend jamais dans les bras, où l’on ne se tient pas la main, où l’on ne se fait jamais de caresses désintéressées ? Malheureusement, beaucoup d’hommes ne commencent à caresser leur femme que lorsqu’ils ont envie de coucher avec elle. Cette éducation à la sensorialité est indispensable à l’enfant. Des études ont montré que des enfants en bas âge ayant vécu des carences graves au niveau du toucher, dans certains orphelinats notamment, en sortaient avec des conséquences psychologiques dramatiques. »
L. L. :Quand vous dites qu’un papa doit pouvoir prendre un bain avec sa fille, est-ce vrai à tous les âges ?
P. D. S. : « Non, bien sûr. Le parent doit respecter la pudeur de son enfant, ne pas attendre que l’adolescente se sente gênée, prendre petit à petit la distance, afin de lui apprendre l’autonomie et l’intimité, comme se laver seule. Mais leur faire croire qu’il y a du mal à prendre un bain avec son enfant de 2 ans est plus toxique. La société souffre plus de papa ou de maman qui se sont trop éloignés de leur enfant physiquement que de quelques graves dérapages de pères ou mères incestueux. Les gens sentent qu’il y a des limites sans devoir se former. Si une mère doit décalotter le prépuce de son petit garçon, elle ne va plus le faire à 12 ou 13 ans. Le parent doit anticiper la pudeur de son enfant. Il y a une grande différence entre pudeur et puritanisme : la pudeur consiste à respecter l’intimité de l’enfant, par exemple en n’entrant pas brusquement dans la chambre d’un adolescent où il doit pouvoir pratiquer de l’autoérotisme, passage sain dans le développement de la sexualité. Il ne faut pas pour autant tomber dans le puritanisme, sexualiser continuellement les choses. Ainsi, la nudité n’est pas la sexualité. Il n’y a pas de mal pour un enfant de courir nu, mais il faut lui apprendre qu’il y a des lieux où la nudité n’est pas appropriée, qu’on ne se caresse pas les organes génitaux en public. »
Sortir de la misère sexuelle
L. L. :N’y a-t-il pourtant pas une hypersexualisation de notre société ?
P. D. S. : « C’est une illusion. Des enquêtes sérieuses ont montré que l’âge du premier rapport sexuel n’a pratiquement pas changé en cinquante ans. Les jeunes, contrairement à ce que certains imaginent, ne sont pas tous des obsédés sexuels qui se jettent les uns sur les autres. Ils sont encore très romantiques. Ce qui a changé, c’est un accès aisé aux films à contenus sexuels ou pornographiques, surtout sur Internet. On oublie que dans les villages d’autrefois, les fêtes de la Saint-Jean étaient l’occasion d’une sexualité généralisée. En temps que sexologue, je suis plutôt témoin de la misère sexuelle des gens d’aujourd’hui. Ils font moins l’amour qu’il y a cinquante ans, car ils sont stressés, pris par de multiples activités. »
L. L. :Dans le jargon pédagogique, est apparu un nouvel acronyme : l’EVRAS, à savoir éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle. Ne regrettez-vous pas que le mot sensualité n’y apparaît pas ?
P. D. S. : « Soulignons l’effort positif des gens qui organisent une éducation sexuelle en y associant l’affectif et le relationnel. Cela a du sens. C’est autre chose qu’une éducation à la peur de la sexualité, des maladies, des viols, des agressions, des abus, des grossesses précoces, etc. On met malheureusement parfois de côté le fait que l’éducation à la sensualité, c’est-à-dire à comment mieux faire l’amour, mieux s’embrasser, mieux se caresser, permet d’accéder à plus de bonheur et à un meilleur vivre ensemble. Cela devrait être obligatoire. Cela permet de rappeler que l’on ne coupe pas le clitoris des petites filles dans nos cultures, qu’on ne frappe pas les femmes, que les femmes vierges ne sont pas des pures et les autres des putains, qu’il y a une égalité entre l’homme et la femme et qu’il y a une sexualité respectueuse de l’un comme de l’autre. Il devrait y avoir une éducation civique à la sexualité. Et c’est important que ce soit obligatoire. Les jeunes ont plus besoin que jamais de points de repères liés à la sexualité. Quand on est épanoui dans sa vie sexuelle, on est beaucoup moins porté à l’abus, à l’agressivité sexuelle. Beaucoup d’hommes qui violent, qui agressent sont des hommes frustrés. Une bonne éducation sexuelle vise au respect de l’autre, à exprimer de manière saine et respectueuse son désir sexuel. »
L. L. :Est-ce que vous pensez que les parents sont les mieux placés pour aborder la vie sexuelle de leurs enfants ?
P. D. S. : « Paradoxalement, ils ne sont pas toujours les mieux placés. Il est bon de respecter l’intimité du jeune. Les parents ne doivent pas tout savoir de la vie sexuelle de leur enfant, pour éviter ce que j’appellerais une forme d’inceste psychologique, comme les parents n’ont pas à raconter leur vie sexuelle à leurs enfants, surtout quand on est de sexe différent. C’est pour ça qu’il est important que le couple de parents puisse se retrouver en pleine intimité, ailleurs que dans la maison, car ce n’est pas toujours facile de vivre sa sexualité si la maison est mal insonorisée par exemple ou si les chambres sont très proches. Il faut pouvoir se créer une bulle. »
Des découvertes extraordinaires
L. L. :Dans vos séminaires de ressourcement conjugal, vous abordez tous les sens comme l’ouïe. Peut-on aussi sensibiliser les enfants à ce sens ?
P. D. S. : « Il faut pouvoir laisser les enfants exprimer à pleine voix leurs joies, leurs enthousiasmes dans un jardin, dans un parc, plutôt que de leur dire de ne pas crier trop fort et, à la fois, leur apprendre à parler de temps en temps plus lentement, sans être dans un flot de paroles, en s’exprimant moins fort. On est dans une société bruyante, il n’est pas nécessaire d’avoir une télévision ou une radio allumée en permanence. C’est bien de danser avec la musique à fond, mais c’est important aussi de savourer le silence. L’ouïe est un sens parfois saturé dans nos sociétés occidentales. En même temps, beaucoup d’adultes sont coincés dans la vocalisation de leurs gémissements, de leurs cris de plaisir, ce qui contribue à diminuer leur satisfaction sexuelle, notamment parce qu’ils ont la crainte que leurs enfants les entendent. Pourtant, cela ne va pas les traumatiser. »
L. L. :Le toucher est aussi très important. Qu’en diriez-vous ?
P. D. S. : « Prenons l’exemple concret des chatouillements entre parents et enfants, qui provoquent rires, excitations, jeux et c’est très bien. On peut aussi en venir à d’autres formes de toucher, par exemple une caresse plus douce dans le dos, des touchers qui procurent de l’apaisement, du calme, un bien-être différent. »
L. L. :Et du côté de l’odorat ?
P. D. S. : « De ce point de vue, notre société est aseptisée, veut tellement camoufler les odeurs, en ajoutant parfums et déodorants. On en oublie les différentes odeurs de la vie, comme celle d’une peau sans savon. De façon spontanée, beaucoup de jeunes mères adorent l’odeur naturelle de leur bébé, alors que se développent de plus en plus les parfums pour bébé. Des odeurs d’excrément, celle du lait caillé, du vomi sont des odeurs de la vie. Quand je vais à la campagne, j’aime retrouver l’odeur du purin qui me rappelle plein de souvenirs positifs de mon enfance. On met beaucoup de connotations négatives sur les odeurs, à tel point que certains adultes ont un rejet face aux odeurs du sexe, alors qu’elles pourraient être connotées positivement. Une odeur de transpiration, de sexe peut être codifiée de manière positive et cela passe par les mots que l’on utilise, par la verbalisation. Une des choses les plus importantes que nous apprenons durant nos week-ends de ressourcement est de ne pas systématiquement juger le sens qui est stimulé. Il faut d’abord le recevoir avant de le juger d’emblée, ce qui permet de faire des découvertes extraordinaires. Le goût par exemple, c’est culturel ou personnel. J’ai une petite fille qui n’aimait pas le chocolat, mais qui adorait les olives. Nos goûts évoluent aussi, y compris en matière de sexualité. Le drame de certains couples, c’est qu’ils sont restés bloqués à un moment de leur vie sexuelle. Ils ont goûté à une expérience sexuelle qu’ils n’ont pas aimée et ont définitivement rejeté le tout. C’est comme si, parce qu’on avait découvert le vin blanc en goûtant une piquette, on s’interdisait de savourer un jour un excellent chablis ! »
Propos recueillis par Michel Torrekens
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Chers parents, voici quelques conseils de lecture et autres adresses utiles :
- educationsexuelle.com : véritable foire aux questions, ce site regorge de conseils, de témoignages et de vidéos en tous genres. Un parent nous a confié qu’il se servait de ce site pour évoquer la sexualité avec ses ados.
- aaah.be : l’Académie des arts de l’amour. En voilà un nom éloquent. Destiné aux parents, ce site n’a qu’une seule ambition : permettre aux adultes dont les sentiments sont en péril d’apprendre ou de réapprendre l’art d’aimer. Finalement, n’y a-t-il pas que cela qui compte ?
- loveattitude.be : le portail des centres de planning agréés en Wallonie et à Bruxelles regorge d’infos fiables et pratiques, de dossiers.