Développement de l'enfant

S’il est un domaine qui mérite récompense à vos yeux, c’est sans doute le bulletin. Tandis que certains parents valorisent la note obtenue, d’autres couronnent l’effort accompli. Une différence significative si l’on en croit les experts que nous avons interrogés.
Aurore, maman de 2 filles, 2 et 8 ans
« Je donne parfois des récompenses quand elles fournissent un effort. Des beaux résultats scolaires en fin d'année méritent un petit cadeau. Les livres sont mes récompenses favorites. »
Patrizia, maman de quatre enfants, entre 3 et 12 ans
« Je lui offre un petit cadeau à l'occasion, mais pas systématiquement, pour un bon bulletin, quand cela suit un effort. Mais leurs premières récompenses restent encore leur propre satisfaction et nos félicitations. »
Fatima, mère de 2 enfants
« Je leur montre que je suis fière d’eux, je le verbalise. Pas de récompenses matérielles, excepté une bricole octroyée aux efforts sur le bulletin scolaire. On les encourage, c’est notre job ! »
Aboude Adhami : « Des enfants compétitifs, pas éduqués à la résistance »
« Certains parents récompensent un enfant qui a de bons résultats scolaires. Mais il ne faut pas oublier qu'avoir de bons points, c’est par rapport à d’autres. C’est entrer dans la société dans ce qu’elle a de plus compétitif. On peut écraser l’autre, on sera quand même récompensé. Ce modèle favorise des enfants aux comportements compétitifs, bien préparés au modèle social qui prédomine dans nos sociétés modernes. Mais pas éduqués à la résistance. »
Des enfants formatés, en quelque sorte. Un formatage davantage accentué lorsque l’enjeu du bon bulletin est l’objet que tout le monde doit avoir.
Autre risque pour les parents qui valorisent ce modèle, faire preuve d’un double discours : « Le jour où leur enfant ne voudra plus aller à l’école, ils lui diront : ‘C’est pour ton bien, pense à ton avenir’. Alors que, jusque-là, l'enfant n'étudiait pas pour son bien, mais pour un iPad ou un smartphone. Il n'avait qu'une vision à court terme. Et puis, en une fois, on lui demande de penser à son avenir... »
Cependant, le psychologue de tempére : « Mais cela ne veut pas dire non plus qu’il ne faut jamais récompenser un enfant qui a de bons résultats. Il y a des nuances à mettre. »
Bernard Filleul : « Le plaisir procuré à ses parents »
«La première récompense que l’enfant peut avoir, c’est le fait de procurer du plaisir à ses parents, un plaisir qu’il reçoit comme une gratification, comme une reconnaissance de ce qu’il a pu apporter, de ce qu’il a pu effectuer, de ce qu’il a pu être. Et c’est dans cette reconnaissance-là qu’il fait ses apprentissages. Au fur et à mesure, il va intérioriser le plaisir et la récompense qu’il s’offre à lui-même. Quand on dit à un enfant : ‘Travaille bien à l’école et tu seras fier de toi’, il n’est pas fier de lui au début. Il est content si ses parents sont fiers de lui. C’est par cette fierté que les parents vont pouvoir lui témoigner à propos de sa réussite scolaire qu’il intériorisera petit à petit la conscience de soi, l’estime de soi. »
Une question de sens
Les deux psychologues s’accordent sur ce point : selon eux, il faut encourager l’effort, qui dépend directement de l’enfant. Et ce, parfois même lorsque le résultat n’est pas atteint : « Un enfant rentre à la maison avec une mauvaise note. Le professeur a sanctionné négativement l’élève, dans son système de cotation, c’est ce qu’il doit faire. Mais le parent peut récompenser son enfant de l’effort qu’il a fourni, même si la note est mauvaise », précise Bernard Filleul.
Il se rappelle d’une scène vécue par l’une de ses collègues, où les parents disaient à leurs enfants : « Si vous réussissez bien vos examens, nous partons en voyage très loin ». Un discours risqué, selon lui, « parce que chacun s’est senti coupable potentiel que la famille ne puisse pas aller en voyage. Ici, c’est une mauvaise utilisation de la récompense comme carotte et ça n’a pas produit de très bons effets. Ce qui est intéressant, c’est de pouvoir proposer une récompense qui soit atteignable. Un enfant qui a eu des difficultés scolaires toute l’année, vous n’allez pas lui dire : ‘Tu recevras tel objet si tu réussis tes examens’. C’est une mise en échec. Il faut qu’elle soit calibrée, qu’elle ait du sens aussi avec le contexte. Dans ce cas, la solution pourrait être de dire à l’enfant : ‘Si on voit que tu travailles, peu importent les résultats. Ce qui est important, c’est que tu fasses de ton mieux’. On est conditionné en tant que parents à regarder les résultats scolaires, ce qui met parfois des familles dans des difficultés vraiment incommensurables par rapport au bulletin. On n’aide plus l’enfant dans son effort, on l’aide pour son résultat. Si un enfant travaille pendant trois heures et obtient une mauvaise cote, le souci est à chercher au niveau du travail. Et donc, peu importe la note, ce qui est intéressant c’est de voir ce qui se passe pendant le travail. Et donc de valoriser un travail d’une meilleure qualité. Et la meilleure récompense, c’est qu’en travaillant mieux, l’enfant va obtenir des résultats qui seront calibrés par rapport à son effort et non pas quantifiés. »
C. V. N. et E. W.
LA RÉCOMPENSE-CAROTTE
« La question est de savoir ce qu’on entend par récompense. Est-ce que la récompense est quelque chose comme une carotte permanente qui perd son sens ? C’est-à-dire qu’on va aller dans un système où, quand on va à l’extrême, la récompense devient l’objet et non pas quelque chose qui vient en apport d’un acte qui a été effectué. Donc si la récompense devient le but en soi, on a des déviations de la valeur qu’une récompense peut prendre : l’enfant va courir systématiquement derrière la récompense et elle ne sera jamais suffisante. Il faudra toujours plus. Et on en arrive à une espèce de perversion dans le lien de ce qu’une récompense doit normalement apporter, à savoir une valorisation, une reconnaissance de l’effort, d’un acte posé. »
LA QUESTION
Quelle est la meilleure récompense à donner à un enfant ?
Des bravos, des félicitations, des friandises, un jeu, une surprise, une sortie ? Parmi toutes les récompenses possibles, nous avons demandé à un psychologue quelle était pour lui la plus belle récompense.
« Aujourd’hui, la meilleure et la plus généreuse récompense, c’est le temps, nous dit le psychologue Aboude Adhami. Avant, les grands-parents étaient très généreux, car ils avaient du temps. Mais aujourd’hui, même les grands-parents n’ont plus le temps. Le plus beau cadeau que l’on peut faire à quelqu’un, c’est lui dire « je suis disponible pour toi cette après-midi. J’ai 36 000 idées mais toute mon après-midi est libre pour toi. On va où tu veux, je fais ton taxi si tu veux, je suis à ta disposition. C’est mieux que d’acheter un cadeau sur internet vite fait, même pas emballé puisque je n’ai pas eu le temps, le déposer et s’en aller vite fait. Prendre du temps ensemble, ça se perd. Et dire l’amour que j’ai pour quelqu’un, ça s’est aussi perdu. »