Vie pratique

Ils sont parents et ont décidé de louer une maison avec d’autres adultes, avec ou sans enfants. Ce qu’ils y gagnent ? Un loyer attractif, la solidarité et parfois plus de confort… Mais ils perdent une partie de leurs avantages sociaux. En cause : le statut de cohabitant, inadapté à cette nouvelle réalité.
Une grande maison au milieu des champs, juste à la sortie de l’E411. À l’avant, des vaches qui ruminent tranquillement sous le soleil encore ardent de cette fin août. À l’arrière, un grand jardin avec une pelouse tout juste tondue. L’odeur de la ferme d’à-côté est à peine perceptible.
« Je n’aurais jamais pu offrir un tel cadre de vie à ma fille si je ne vivais pas en colocation », réagit d’emblée Virginie devant notre émerveillement pour ce petit coin de paradis. Elle a 37 ans, est maman solo une semaine sur deux. Elle vit là avec sa fille Juliette, 10 ans, mais aussi avec Julie, Éric, Talia et Michaël, tous travailleurs entre 30 et 49 ans. Il y a aussi Loulou, le chien et Aria, le chat.
Maman divorcée, cette désormais Éghezéenne a décidé il y a un an de louer cette maison avec quatre autres personnes et ne regrette absolument pas son choix. « Avant, je payais 900 € par mois hors charges pour une maison à Braine-l’Alleud bien plus petite que celle-ci. Aujourd’hui, je paye 688 € charges comprises ! ». Juliette, sa fille de 10 ans, a sa propre chambre, en enfilade avec celle de sa maman. Elles ont aussi leur salle de bain rien qu’à elles, comme tous les autres habitants de la maison. « Je ne sais pas si je l’aurais fait si on avait dû se partager la salle de bain », avoue-t-elle.
Les trois autres chambres sont occupées par d’autres travailleurs, solo ou en couple, tous sans enfant. Ce petit monde se partage la cuisine, le salon, le jardin… et bien plus encore. « On a organisé un petit concert dans le salon il y a quelques mois, c’était génial ».
Moins cher, plus chaleureux
Le rapport qualité-prix et la chaleur d’une grande famille sont les deux avantages d’une coloc’ pour cette maman. « Ça faisait dix ans que je portais tout toute seule. Ici, ça allège la solitude. Même si, parfois, c’est difficile pour moi d’accepter l’aide des autres, car je n’en ai pas eu l’habitude ».
Par exemple, les colocs jouent aux baby-sitters. « La dernière fois que je n’ai pas trouvé de solution pour garder Juliette, c’est Éric qui m’a dit qu’il s’en occupait. Ils sont allés au cinéma. Ça s’est organisé naturellement. On peut dire qu’une relation fraternelle s’est construite entre ma fille et les colocataires ».
Pour Virginie, c’est une véritable famille qui se construit, « une famille de cœur ! Et en même temps, c’est structuré. On se rassemble, il y a une hiérarchie d’âges. C’est notre tribu ».
La famille se redéfinit donc. « Peu importe qui se retrouve sous le toit d’une maison, si ces personnes décident qu’elles sont une famille, ce sera le cas », analyse Salvatore D’amore, enseignant et chercheur à la faculté de psychologie et de sciences de l’éducation à l’ULB. Chaque famille décide si elle en est une ou non et comment elle veut se construire ».
Pour le spécialiste de la psychologie de la parentalité, il n’est pas étonnant de voir des mamans monoparentales emménager dans une colocation. « Cette habitation communautaire permet aux mères de recevoir du soutien de la part des colocataires. C’est l’idée de communauté que la famille nucléaire a fini par perdre au fil du temps ».
À noter que pour le spécialiste, la colocation reste une solution temporaire pour certains monoparents jusqu’au moment où ils peuvent s’en sortir économiquement. Il y a aussi des familles qui choisissent des immeubles communautaires pour donner à l’enfant un « village » à sa mesure.
Davantage en ville qu’à la campagne
Si le phénomène de la colocation est en expansion, Virginie reste une exception, surtout en Wallonie. Moins de 1 % des habitations sont des coloc’ et la plupart sont dans les villes selon les chiffres du Centre d’études en habitat durable (CEHD). Parmi les gens qui vivent dans ces maisons partagées, très peu sont parents.
À Bruxelles, par contre, en 2018, 11 % des logements étaient occupés par des colocations contre 6 % en 2012. Un dixième de celles-ci étaient occupées par des couples avec enfants et 6 % par des familles monoparentales. C’est le cas de Rosa, 30 ans, et Nikita, 8 ans, dans les Marolles.
Changement de décor. Ici, pas de jardin, mais une grande terrasse qui donne sur le patio d'un groupe de maisons. À l’intérieur, une guirlande de cœurs en papier traverse la spacieuse pièce de vie. C’est ce qu’il reste de la fête organisée pour les 8 ans de Nikita. « On a une belle surface de 145 m²… sans la terrasse ! », se réjouit Rosa, la maman. Elles vivent là avec Émilie et Sophie, 33 et 34 ans. Là aussi, chacune des coloc’ a sa salle de bain.
Comme pour Virginie, trouver un appartement à Bruxelles avec une telle surface aurait été mission impossible sans être en coloc’. Son loyer s’élève à 535 euros, mais elle partage sa chambre avec sa fille. « Avant je payais 750 euros hors charges. Quand les factures tombaient, c’était trop difficile de tenir le coup financièrement ».
Pour descendre à un loyer si bas, elle a tout de même dû sacrifier une partie de son intimité une semaine sur deux. « On se partage la chambre avec la petite, mais on envisage de faire des travaux pour installer une mezzanine et y installer le lit de Nikita ».
Isolée ou cohabitante
Rosa, comme Virginie, y a gagné sur le prix du loyer. Par contre, les deux mamans y ont perdu dans leurs avantages sociaux. « Quand j’ai emménagé en colocation, j’ai perdu 50 € d’allocations familiales par mois, explique Rosa. On m’a envoyé un courrier pour me prévenir et me donner la procédure de contestation. Trop de paperasse, je ne l’ai pas faite ».
Allocations familiales, mais aussi allocations de chômage, revenus d’insertion sociale, aides juridiques, indemnités d’incapacité de travail ou encore garantie de revenus pour personnes âgées (Grapa)... toutes ces aides sociales se voient réduites quand une personne décide de vivre en coloc’ car elle passe en statut de cohabitant. « Pourtant, même si on partage les charges comme l’eau et l’électricité, explique Rosa, on n’a pas le même portefeuille. Nos courses se font séparément. Par exemple, jamais mes colocs ne vont intervenir dans les frais scolaires ».
Marie-Laure Mathot
Pour aller + loin
À propos du statut de cohabitant, la Ligue des familles plaide pour une individualisation des droits. « On voudrait que ces personnes puissent vivre sous le statut d’une personne isolée, explique Alexandra Woelfle, chargée d’études à la Ligue des familles. Il y a une multiplicité de législations qui complique la vie et la compréhension du système. Il faudrait uniformiser les taux, mais aussi revoir la façon dont les agents de quartier estiment si quelqu’un est isolé ou non au moment de la domiciliation. Ceci dit, la Sécurité Sociale est une compétence fédérale donc, c’est plutôt là, à la racine, qu’il faudrait changer les choses ». À condition bien sûr d’avoir un gouvernement pour le décider.
Vous voulez en savoir + sur le statut de cohabitant, rendez-vous sur souslememetoit.be. Et prenez également le temps de signer la pétition pour la suppression du statut de cohabitant !