Société
15 juillet 2021, la Vesdre sort de son lit. Impossible pour Samira de gagner le sien. Il y a trop à faire aux côtés de celles et ceux qui ont tout perdu. La coiffeuse verviétoise lâche peigne et ciseaux pour activer son réseau. Trois ans plus tard, Samira s’affaire toujours. Un engagement chevillé au corps qui lui a valu un prix de la citoyenneté en décembre dernier.
C’est un petit bout de femme haut d’un mètre cinquante qui m’ouvre les portes de son salon de coiffure de l’avenue de Mulhendorf à Verviers. Un salon aux allures de dépôt depuis juillet 2021. Trois ans déjà que les inondations ont déferlé. 1 000 jours que la coiffeuse verviétoise s’affaire pour dégoter ce qui fait défaut aux sinistré·es.
Sur le terrain, la cinquantenaire n’attend pas d’autorisation. Elle y va au culot. « Y a pas trente-six manières de faire. Je rentre dans les maisons, je demande s’ils ont besoin de quelque chose, je prends les numéros, je cherche sur les réseaux, je collecte et j’amène ». Une valse à six temps que Samira répète encore et encore. Balais, torchons, eaux, biscuits, Samira pare au plus pressé.
« Plus que les dons, c’est la présence qui compte, souligne-t-elle. Après le travail, je passais chaque jour, c’était une manière de leur dire vous n’êtes pas seuls. C’est vrai, ça me prenait du temps, parfois au détriment de mes enfants, mais je me disais ça n’allait pas durer. »
« J’peux pas m’arrêter, les messages me rattrapent »
Les premiers jours, la vague de solidarité est à la mesure des besoins. Mais la source se tarit vite tandis que la précarité s’aggrave. « Les inondations ont fait tomber les murs, les familles précarisées retranchées dans leur logement n’ont plus su se cacher. C’est pas les gens qui ont des grosses baraques et vivent sur les hauteurs qui ont été touchés, c’est les petites gens. Il y a des familles marquées au fer rouge, condamnées à vivre dans des logements bourrés d’humidité ».
Parmi les sinistré·es, le nom de Samira circule. Les gens sont mis en confiance, ils savent qu’elle œuvre en sous-marin. Elle adresse des messages ciblés à sa communauté et donne en toute discrétion. La recette fonctionne. Samira récolte. Elle reçoit même ce qu’elle ne demande pas, comme cette fois où les Restos du cœur lui livrent une tonne de semoule devant sa porte. Vivres, meubles, vêtements… Samira est tout-terrain.
« Donner sans compter, sans regarder, sans rien attendre en retour. C’est ça, le vrai plaisir »
Au fil des mois, la fatigue s’installe. À plusieurs reprises, Samira tente de lever le pied, mais les messages la rattrapent. « J’aime bien dormir la conscience tranquille. Je peux pas me coucher en sachant qu’il y a autant de besoins. Le prix de la citoyenneté, je pense que c’est pour ça ». Trois ans plus tard, elle s’active encore pour dénicher, remplacer, colmater.
Maman moteur, maman modèle
Ce n’est pas la première fois que Verviers salue la citoyenne pour son sens de la solidarité hors du commun. En 2019, déjà, la coiffeuse reçoit le prix Marie Mineur pour son engagement avec son association Les enfants d’abord. L’histoire commence six ans plus tôt. Sa maman vient de décéder et Samira se sent orpheline. Pour combler le manque, elle organise des soirées caritatives au profit des enfants placés par le juge. « Je me sentais abandonnée, j’avais besoin de retrouver ma mère à travers les actes que je posais ». Soirée couscous, boulettes-frites, peu importe la recette, Samira mobilise jusqu’à 1 200 personnes et récolte de quoi financer des vacances pour ses petit·es protégé·es.
D’où lui vient ce sens de la solidarité ? « De ma mère. Chez moi, la porte était toujours ouverte ». La matriarche est connue pour son sens de l’accueil. Dans la famille Sridi, le sens du partage s’apprend dès le plus jeune âge. Dans sa besace, la fratrie a toujours plus qu’il ne lui en faut au cas où un copain ou une copine en aurait besoin. Son secret pour y trouver son compte ? « Donner sans calculer, sans regarder, sans rien attendre en retour. C’est ça, le vrai plaisir ».
Une générosité reçue en héritage et transmise en bagage à ses deux enfants de 13 et 21 ans. En plus de son activité professionnelle et de son engagement bénévole, Samira doit aussi composer avec sa casquette de maman. « Je ne suis pas une mère parfaite. J’ai certainement loupé des moments, mais quand je suis avec eux, j’essaye que ce soit des moments vrais. Ils savent qu’ils peuvent compter sur moi, que je serai toujours là. Ils ne m’ont jamais reproché mon investissement ».
La générosité a infusé, les enfants sont d’accord pour partager leur maman. « Quand mon fils me dit, ce T-shirt est trop petit, je peux le donner à untel, je suis contente ». Avoir un œil sur son voisin, garder à l’esprit que personne n’est à l’abri, cultiver la solidarité qui fait notre humanité, voilà ce que la citoyenne au grand cœur souhaite passer en intraveineuse à ses marmots. Les fondements, selon elle, d’une vie en communauté.
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