
« Après tout ce qu’on a écrit et voté sur les violences conjugales, je pensais que les choses allaient bouger pour moi. Pas du tout. Toutes ces campagnes, c’est du pipeau. C’est donner de faux espoirs. Tant que les violences ne sont pas avérées, que vous n’avez pas été vitriolée ou eu les dents cassées, vous n’êtes pas reconnue comme victime. Et les violences psychologiques ne sont jamais prises en compte. Je suis furieuse. »
Fabienne (prénom d’emprunt) ne peut retenir sa colère. Ce qu’elle a vécu, et vit encore, l’a complètement submergée. Ne manquant pas d’atouts et d’assurance dans la vie, elle sort épuisée d’une relation amoureuse épanouissante qui a tourné à l’enfer. Une relation qui, commencée de la meilleure des façons, n’annonçait rien de la suite.
« J’étais seule, divorcée, mes enfants étaient grands et presque partis, quand j’ai été séduite par un homme charmant et généreux. Nous nous sommes mariés après un an. J’ai vécu dix années de grand bonheur. »
Un monde qui bascule
Bien que dotée d’une longue expérience et d’une grande maturité, Fabienne va voir sa vie basculer sans l’avoir anticipé. « On vivait peu ensemble, car il travaillait dans l’HORECA. S’il avait bu, je ne le remarquais pas parce qu’il rentrait tard. Quand il a eu quelques premiers gestes de violence, je les ai mis sur le compte de la fatigue, du manque de communication, etc. »
Fabienne a un réflexe que beaucoup de victimes ont en pareilles circonstances : « Même si c’était inadmissible, je passais et lui trouvais des excuses, d’autant qu’il séduisait tout le monde par sa gentillesse. Et moi, je voulais retrouver le mari charmant avec qui j’étais tellement heureuse. »
La spirale de la violence, cependant, est lancée, selon un mécanisme classique où se mêlent jalousie, méfiance, chantage, dénigrement de l’autre, etc. « Il a fait un burn out, à la suite duquel il s’est senti de plus en plus mal. Il trouvait qu’il manquait d’autonomie. Il m’accompagnait de plus en plus au travail, faisait des remarques perfides sur mes copines et mes proches, était jaloux. Il me faisait passer pour la pire des salopes. Insensiblement, les choses se sont mises en place. Ce fut la grosse désillusion. Il a essayé de me couper de mes proches, mais il n’est pas parvenu à m’isoler. Heureusement, car on a besoin d’être reconnu comme une personne drôle, agréable à fréquenter. Cela m’a permis de garder une bonne image de moi. Sinon, on en vient à douter de soi. Chaque fois, on espère que l’on va retrouver l’homme qu’on aimait, en qui on faisait confiance. Il avait aussi des idées suicidaires, j’appelais son psychologue, mais je tombais sur un répondeur, laissais des messages qui restaient sans réponse. »
Une escalade s’est mise place jusqu’à arriver à un point de non-retour : « Un jour, une voisine a fait venir la police car il hurlait. Tous les jours, il y avait des éclats avec des menaces de suicide. Il y a un an, il est revenu un soir très énervé d’une visite dans sa famille. Il avait bu, le ton est monté, il m’a injuriée, bousculée, m’a tordu le nez, les poignets. Je suis allée me réfugier chez une connaissance. Les résistances de chacun aux violences sont personnelles et relatives. Il y en a qui, après la première baffe, prennent leurs cliques et leurs claques. D’autres vont supporter des coups pendant vingt-cinq ans. J’ai commencé à m’inquiéter quand une amie m’a demandé si j’allais bien. J’ai compris que ce n’était pas moi qui me faisais des idées.»
Prendre les bonnes décisions
Arrive un jour, ou plutôt LE soir, du point de non-retour : « Le comble, ce soir-là où tout a basculé, quand j’ai à nouveau reçu des coups dans la voiture et que deux personnes m’ont aidée à en sortir, c’est lui qui a été considéré comme un homme blessé, car je l’avais mordu pour qu’il cesse de me frapper et me lâche. »
Fabienne hésite encore, ne prend pas la décision radicale de la rupture. « Je n’ai malheureusement pas suivi le conseil d’une amie qui m’avait dit d’aller en justice de paix afin de pouvoir réintégrer mon domicile. »
Plus étonnant, alors que les violences conjugales ne sont plus ce phénomène méconnu comme il y a vingt, trente ans, Fabienne ne trouve pas de réponses à ses inquiétudes grandissantes, malgré ses nombreuses démarches : « J’ai appelé le médecin de famille qui ne m’a pas vraiment écoutée, l’assistante sociale de ma commune m’a dit que ce n’était pas de son ressort. Elle m’a envoyée chez le commissaire de police, qui m’a orientée vers le procureur du Roi. Celui-ci n’a répondu que lorsque j’étais déjà partie du domicile. Tout le monde me disait que mon mari était connu pour son côté nerveux, agressif, mais personne n’agissait. »
D’un côté, et ce sera sa chance, Fabienne bénéficie du soutien de plusieurs amis : « J’ai découvert un réseau de solidarité et de générosité que je n’imaginais pas et qui m’a fait un bien fou. J’ai été soutenue d’un point de vue moral, je ne me suis pas sentie seule, je savais que j’aurais toujours un toit, un lit. Mais, dans des cas pareils, la solidarité ne suffit pas. On a besoin d’être reconnue par la justice en tant que victime. »
Et sur ce plan-là, notre interlocutrice va vite déchanter : « J’ai eu le tort d’agir dans l’urgence et cela s’est retourné contre moi. J’ai pris de mauvaises décisions. Quand votre compagnon vous frappe, il faut être certain que c’est visible quand on dépose plainte. Une simple déclaration ne suffit pas. Il faut pouvoir montrer des traces. La violence psychologique compte pour du beurre. De plus, pour peu que vous soyez mal défendue et que votre avocat ne fait pas intervenir les témoins des violences, alors qu’il a accès aux dossiers, vous vous retrouvez sans preuves. »
Résultat des courses : aujourd’hui, c’est son mari qui passe pour une victime, à telle enseigne que Fabienne va peut-être devoir lui payer une pension alimentaire.
Comme si les coups ne suffisaient pas, s’ajoutent à sa situation des coûts qui ne font qu’accentuer son désarroi : « Avec les frais d’avocats, je n’ai plus rien. Mon avenir est noir. Je vis au crochet de mes amis. Je devrai travailler après ma pension. Je n’aurai plus de vacances. Et je ne vous parle pas des dettes. Cette situation me coûte une fortune. Même mon avocate me conseille désormais de ne plus me présenter comme une victime de violences, mais de me battre pour préserver mes droits dans la séparation. Je crois que la violence ne sera jamais reconnue. »
Un combat inachevé
On peut s’étonner, à la lecture du témoignage de Fabienne, que les aides dont peuvent bénéficier les femmes prises au piège de la violence conjugale laissent encore bien des femmes désorientées. On s’en étonnera peut-être mais c’est seulement en septembre dernier que la Belgique a signé la récente Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes, qui en appelle à une réponse… efficace (!) à ces faits.
Mais si les professionnels sur le terrain ainsi que les politiques ont encore du chemin à faire, chaque citoyen a aussi sa responsabilité engagée. S’informer, ne pas fermer les yeux sur certains signaux, être à l’écoute de la personne concernée : nous pouvons tous contribuer à diminuer ces faits de violence, notamment en découvrant les conseils proposés par les organismes spécialisés (Lire En savoir +).
Michel Torrekens
EN SAVOIR +
- En cas de violences entre partenaires, vous bénéficiez d’une information abondante sur l’assistance professionnelle, tant ambulatoire que résidentielle, via le 0800/30 030 (n° gratuit et anonyme), du lundi au samedi de 9h à 20h. Mais en cas d’urgence, il faut faire le 101 ou le 112. Si vous souhaitez obtenir une aide avant 9h ou après 20h, vous trouverez des infos utiles sur www.ecouteviolencesconjugales.be
- www.fredetmarie.be : des vidéos lancées dans le cadre de la journée internationale de lutte contre la violence entre partenaires le 25 novembre, jour de distribution des « Rubans Blancs », symbole du refus de ces violences.
- Dépendance matérielle et affective, isolement social. Violences physiques, psychiques, sexuelles… Honte et culpabilité. Les violences conjugales ont de multiples dimensions qu’explore une pièce très éclairante sur le sujet : Entre-temps, accompagnée d’un dossier pédagogique remarquablement fait.
Rens. : info@lrvproducties.be - Centre de Prévention des violences conjugales et familiales à Bruxelles : avenue des Casernes, 29 à 1040 Bruxelles - 02/539 27 44.
- CIVIF (Centre d’Intervention pour les Violences Intrafamiliales) : centre ouvert aux couples, parents, ados, enfants et professionnels de la Région de Bruxelles-Capitale. Entretien gratuit sur rdv. Place A. Payfa, 12, Fosséprez à 1170 Bruxelles (02/660 96 84).
- Fédération des Centres de Planning Familial des Femmes Prévoyantes Socialistes : campagne intitulée La grossesse ne protège pas des violences entre partenaires ! avec dossier, brochure et affiche. L’association a également créé un nouveau site, www.stopviolenceconjugale.be, bourré d’informations.
- Violence conjugale, que faire ? Une campagne d’Amnesty International qui propose un guide pratique avec des conseils succincts et des adresses.
UNE BELGE SUR SEPT
Selon l’Organisation mondiale de la santé, au moins une femme sur trois dans le monde a déjà été maltraitée et, dans la plupart des cas, il s’agit d’un proche. Aux États-Unis, une femme est battue par son partenaire toutes les 15 secondes. En Belgique, une femme sur sept a été confrontée à au moins un acte de violence commis par son (ex-)partenaire au cours des douze derniers mois. Entre 2005 et 2011, le nombre de plaintes pour cause de violence conjugale a augmenté de 38 %. En 2010, une femme est morte environ tous les trois jours à cause de la violence conjugale.
NOUVEAUTÉ
Depuis ce 1er janvier 2013, un procureur du Roi peut obliger une personne responsable de violence domestique à quitter immédiatement la résidence commune lorsqu’elle représente une menace grave et immédiate pour la sécurité des autres habitants. Il lui sera aussi interdit d’entrer en contact avec les personnes désignées dans l’ordonnance et qui résident avec elle. Cette mesure est d’application pendant dix jours maximum à partir de sa notification, mais pourra être prolongée par le juge de paix durant trois mois supplémentaires maximum. Le non-respect de la mesure pourra être punissable d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à six mois.