Vie pratique

Zoé Suliko Tabourdiot, planteuse de graines sonores

Du plus loin qu’elle se souvienne, Zoé Suliko Tabourdiot a toujours aimé écouter les gens, les lieux, mais aussi le poste de radio qui était branché en permanence durant son enfance. Issue d’une formation de musicienne et de danseuse, diplômée de l’Institut des Arts de la Diffusion (IAD), la transmission et la rencontre par le son lui collent aux oreilles.

En tant que réalisatrice radiophonique, c’est lorsqu’elle devient maman que Zoé se tourne vers la création sonore pour enfants. Aujourd’hui, elle défend l’idée d’une écoute qui se cultive dès le plus jeune âge, anime des ateliers d’éveil au son et est notamment à l’initiative de la future plateforme belge de podcasts dédiées aux petites oreilles.

Pourquoi est-ce essentiel de développer l’écoute dès le plus jeune âge ?
Zoé Suliko Tabourdiot : « L’ouïe est un sens malmené aujourd’hui. C’est pourtant le premier sens que le bébé développe. Au travers du ventre de sa mère, il perçoit tous les sons. Dès la petite enfance, je considère qu’on peut s’attacher à développer l’imaginaire des enfants par le son. Avec le livre, c’est le dernier média qui permet de développer l’imagination des plus jeunes. Je parle souvent de l’importance des images mentales qu’on peut créer. Par exemple, on a tou·tes des souvenirs de livres qu’on a lus et aimés étant enfant. Nous avons accolé des images mentales à ces histoires. Des images qui nous poursuivent encore aujourd’hui si on en vient à relire ces contes. L’imaginaire, c’est donc un terreau fertile qu’on peut cultiver dès le plus jeune âge. Lorsque l’enfant est capable d’imaginer, il peut très vite s’autonomiser, être en sa propre compagnie et au travers de son imagination, s’évader mentalement. Plus on cultive l’imaginaire, plus il est fort. Et le son a toute son importance là-dedans.
Pour moi, être capable d’écouter ce qui nous entoure, c’est une faculté qui permet d’abord de savoir où se placer. C’est primordial lorsqu’on veut vivre en société. Ça donne des clés et ça aide à grandir. On me dit souvent que les enfants parlent fort. Mais si on leur apprend à parler moins fort, il n’y a pas de raison qu’ils n’y arrivent pas. C’est pareil pour l’écoute. On peut leur enseigner à prendre conscience de leur présence au sein d’un espace sonore. »

En tant que parents, comment peut-on justement sensibiliser ses enfants à l’environnement sonore qui les entoure et, plus généralement, au son ?
Z. S. T. :
« Je pense que cela passe par des moments d’écoute. Avec ma fille, par exemple, on a instauré des temps calmes à la maison. On l’invite soit à lire un livre, soit à écouter de la musique ou un podcast. Donner du temps à ces instants d’écoute, ça peut aussi devenir un nouveau rituel d’échange et de partage avec les enfants. Je trouve que les vacances apportent des moments propices à l’écoute, et pas besoin de partir loin pour se retrouver dans un environnement sonore qu’on ne connaît pas bien. On peut alors inviter les enfants à tendre l’oreille : on remarquera une fête de village au loin, des sons étranges la nuit. Même en tant que parents, écouter et décomposer les couches qui constituent notre environnement sonore n’est pas quelque chose d’habituel. On peut faire l’exercice avec son enfant : qu’est-ce qui se trouve à l’avant-plan ? Quels sont les sons plus lointains ? Vers quelles sonorités est-ce que l’oreille est attirée en premier ? Et vous serez peut-être surpris·e : les enfants sont des auditeurs attentifs. D’une part, parce que leur ouïe est plus fine que la nôtre et d’autre part, car ils parviennent facilement à décomposer leur environnement sonore lorsqu’on leur demande. Ils réalisent que l’amalgame sonore auquel ils ne prêtent pas spécialement attention est en fait composé d’un tas de sons qu’ils reconnaissent. Une superposition similaire aux couches d’un oignon. C’est une des choses que j’ai pu remarquer, notamment, au travers des ateliers pédagogiques que je mène dans le milieu scolaire. »

Le son en tant que média éducatif doit être revalorisé par l’enseignement ?
Z. S. T. : « Bien sûr. Aujourd’hui, lorsqu’on regarde quels enfants consomment des podcasts, on se retrouve confronté majoritairement à des enfants issus de familles privilégiées d’un point de vue socio-culturel. Élargir la tranche de jeunes qui se tourne vers le podcast et vers le son, ça passera forcément par une revalorisation de ce média par les écoles, les bibliothèques ou encore les maisons de la culture. Surtout qu’en globalité, et même si cela soulève des enjeux en termes d’économie du podcast, le son est gratuit. Je plaide pour une présence plus importante du podcast et du son dans le milieu éducatif, il doit être mis à disposition de tous les enfants. »

Que proposez-vous aux enfants durant vos ateliers ?
Z. S. T. :
« Il m’est déjà arrivé d’intervenir en classe dans le cadre des cours de philosophie et de citoyenneté, par exemple. Concrètement, je leur demande d’écouter ce qu’il se passe dans la classe, d’abord à l’oreille nue, et puis avec un enregistreur et des casques. On se déplace ensuite dans la cour, voire en dehors de l’école. La plupart du temps, les enfants en redemandent. Ils sont même critiques sur ce qu’ils entendent. Je me souviens d’une bande d’enfants qui a pris conscience que leur classe n’était vraiment pas un lieu calme. La proximité d’un aéroport et une soufflerie ultra bruyante rendait leur environnement de travail assez turbulent.
Ce qui est intéressant dans le cadre pédagogique, c’est que peu importe l’âge ou la situation socio-économique des enfants, la première chose qu’ils remarquent dans leur environnement sonore, c’est la voix. Il n’y a pas un enfant qui ne m’ait pas dit qu’il était très étonné de s’entendre dans le casque. En tant qu’enfant, la première fois qu’on prend conscience de sa voix peut être une expérience déroutante. Sinon, je dois avouer que les bambins sont friands de tous les sons percussifs. Lorsque je leur laisse les enregistreurs pour qu’ils prennent du son par eux-mêmes, ils vont aller frapper tous types de surface : les tables, les murs, le métal. Il faut aussi leur expliquer de prendre soin de leurs oreilles car la santé auditive est tellement déconsidérée aujourd’hui. C’est très compliqué de réparer des oreilles. Ce n’est pas pour être alarmiste, mais je suis bien consciente que nous courons vers une génération de personnes atteintes d’acouphènes, et ça, de plus en plus tôt. Il faut aussi expliquer aux enfants que les oreilles sont un organe dont il faut prendre soin, et dès la plus tendre enfance. »

L’éducation au sonore chez les plus petit·es a donc aussi quelque chose de très citoyen ?
Z. S. T. :
« L’autre existe par le bruit qu’il fait, la voix qu’il porte. Apprendre par le son, c’est aussi une manière d’apprendre à vivre ensemble, à respecter le temps de parole des autres ainsi que le niveau de sa propre voix par rapport au groupe. Ainsi, on écoute le monde autour de soi pour partir à la rencontre de l’altérité, d’un autre environnement, de thématiques qui sont encore de l’ordre de l’inconnu. Le podcast permet d’aborder des problématiques contemporaines, qu’il s’agisse de questions de genre, de sujets d’actualité, de légendes ou d’écologie. À partir d’une histoire, on crée une discussion entre des personnages, et on déroule le fil autour d’une thématique en particulier. La fiction sonore est donc vectrice d’enseignement.
On parle aussi de plus en plus d’écologie sonore (ndlr : on peut définir ce concept comme le domaine qui étudie les influences d’un environnement sonore sur les caractères physiques et le comportement des êtres qui l’habitent). Prendre pleinement conscience de l’environnement sonore au sein duquel on vit, qui plus est lorsqu’on habite en zone urbaine, c’est aussi un acte citoyen. Cela donne des clés de lecture aux plus jeunes pour que plus tard, ils puissent œuvrer pour un mode de vie plus sobre. On peut trouver des alternatives pour tendre vers une écologie sonore en ville aussi. »

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