Développement de l'enfant

Le syndrome du bébé secoué (SBS). Si ancré dans les mentalités, pourtant si peu connu. On en parle un peu plus depuis qu’une maman en France a décidé de le mettre en lumière. Objectif : endiguer le phénomène. Faire prendre conscience aux nouveaux parents de la fragilité de leur nourrisson. Et chez nous, qu’en est-il ? On fait le tour de quelques acteurs et actrices de terrain pour bien comprendre.
Vous l’avez peut-être vu passer sur les réseaux. Une maman témoigne dans une vidéo et relate dignement ce moment où sa vie a basculé. Comme à son habitude, elle laisse pour une courte durée son bébé et le père de celui-ci. Quelques heures plus tard, elle reçoit un coup de fil, le nourrisson est aux urgences. Elle y fonce et le découvre les yeux révulsés.
Le papa a pété les plombs et a secoué son enfant parti dans une crise de larmes caractéristique des tout-petits de cet âge. Drame. Effondrement. De sa tragédie, elle a fait un combat de sensibilisation qu’elle compte remonter en haut lieu. C’est que le cas n’est pas isolé. En France, une centaine de bébés vivraient le même type de situation, chaque année. Le phénomène est-il le même chez nous ?
20 à 30 cas par an
Sur les chiffres, nos différent·e·s interlocuteurs et interlocutrices sont prudent·e·s. « Le taux annuel varie de 11 à 24 cas pour 100 000 enfants de moins d’un an, soit 20 à 30 nouveaux cas par an en Belgique », relate Guillaume Goffin, porte-parole de l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE). L’organisme et les équipes de SOS Enfants travaillent activement sur le volet préventif. Il s’agit d’expliquer, clairement, pourquoi secouer son bambin est dangereux. On demande à Dominique Biarent, cheffe de clinique aux soins intensifs et urgences de l’Huderf de nous éclairer, d’un point de vue médical, sur l’origine des séquelles graves dont peuvent souffrir les enfants secoués.
« Le cerveau est fragile. La tête de bébé est lourde et son cou n’est pas assez musclé. Contrairement à ce que l’on entend souvent, non, le cerveau n’est pas plus petit que la boîte crânienne, mais avec les secousses, il peut bouger. La tête se balance rapidement d’avant en arrière, ce qui équivaut à plusieurs coups du lapin successifs. Le cerveau frappe contre la boîte crânienne. Les vaisseaux sanguins autour du cerveau se déchirent, saignent et entraînent des lésions cérébrales. Cette maltraitance, puisqu’il faut insister là-dessus, c’en est une, laisse toujours des séquelles neurologiques lourdes. Allant du retard de développement au décès. »
Maltraitance, maître mot des intervenant·e·s. On essaie de comprendre comment de tels actes peuvent éclater.
« À l’aide, j’en peux plus »
Un bébé qui hurle nuit et jour, qui ne dort pas, quel épuisement, pas vrai ? Mais c’est le lot de tous les parents et rassurons les jeunes papas et jeunes mamans qui nous lisent, ces pleurs finissent par cesser. Néanmoins, il faut le savoir, le SBS naîit souvent d’un ras-le-bol face aux pleurs incessants. Même si les cas médiatisés mettent le plus souvent en scène des nourrices, Dominique Biarent nous apprend que le phénomène touche davantage les hommes que les femmes. La clinicienne insiste plusieurs fois pendant l’interview sur ce point, la volonté, c’est de nuire.
« Ça n’arrive pas au cours d’un jeu entre le père et l’enfant qui tourne mal. Le drame nait d’un acte violent. C’est du sérieux. Les auteurs deviennent fous et agissent violemment comme pour dire ‘mais tu vas te taire, oui’. Cela peut se produire dans tous les milieux. Il suffit d’une fois. Le phénomène est similaire à celui des violences conjugales, il existe des profils à risques. À chaque fois, l’isolement social vient renforcer le danger. Du coup, la perte de sang-froid se retourne contre bébé. »

« Le cerveau frappe contre la boîte crânienne. Les vaisseaux sanguins autour du cerveau se déchirent, saignent et entraînent des lésions cérébrales. Cette maltraitance, puisqu’il faut insister là-dessus, c’en est une, laisse toujours des séquelles neurologiques lourdes »
Que faire si vous vous sentez au bout du bout et que cette petite chose vous attaque jusqu’aux nerfs ? Plusieurs bons réflexes à avoir. Le premier, celui de ne pas présumer de ses forces. Vous êtes fatigué·e, en bout de course ? C’est normal. Mais il faut en prendre conscience et agir en conséquence. En cas de crise, l’ONE explique que l’on peut difficilement calmer le stress d’un enfant si on est soi-même en situation de grande angoisse. On vous le répète les enfants sont des petites éponges à émotions. N’hésitez pas à sortir de la pièce pour retrouver votre calme, en laissant bébé en sécurité. Il vaut mieux qu’il pleure seul dans son lit, quelques minutes, que dans les bras d’un parent à bout. Faites part de vos limites. N’hésitez pas à convoquer l’armada toujours prête à vous épauler en cas de coup dur. Conjointꞏe, voisinꞏe, amiꞏe, famille, service d’écoute téléphonique, Partenaire Enfants-Parents (PEP's) de l’ONE, sage-femme, équipe SOS enfants, médecin traitant… Deux règles priment : ne pas rester seul·e et demander de l’aide. Ce qui permet d’éviter les conséquences qui suivent.
Bébé hospitalisé
L’Huderf nous explique que pour bien comprendre le phénomène, il est important de le voir par le prisme de la pédopsychiatrie. Et cette première question : que se passe-t-il lorsqu’un bébé secoué est admis aux urgences ? Et d’ailleurs, a-t-on une vision précise du phénomène ou ne voit-on que la face visible de l’iceberg ? Dominique Biarent explique : « Le SBS est assez évident à dépister. Le bébé va mal très vite. Il développe de grosses fièvres, un trouble de la vue, un coma, tout ce qui appartient à la sphère neurologique. On comprend tout de suite d’où ça vient, contrairement à d’autres formes de maltraitances ».
Après les soins intensifs et les examens spécifiques, que se passe-t-il ? La doctoresse Vildan Goban du service pédopsychiatrie de l’Huderf répond : « En plus d’établir le diagnostic et d’entamer la prise en charge, les médecins s’interrogent sur les raisons de ces symptômes. Ils relaient aussi les explications des parents tout comme les interrogations et les incohérences dans le récit de ceux-ci à l’équipe SOS Enfants ou à d’autres interlocuteurs psychosociaux. Ces services-là vont prendre le relais pour comprendre ce qui s’est passé. Comment va l’enfant ? Comment se développe-t-il et quel est son contexte familial ? L’évaluation médicale et pédopsychiatrique de l’enfant et des parents est systématique pour contextualiser et voir si un travail est possible avec les parents ».
La suite ? Si une collaboration avec la famille est envisageable, les enfants retournent chez eux. Dès qu’il y a une crainte par rapport à la sécurité de l’enfant ou sa prise en charge après l’hospitalisation, on procède à un signalement. La justice peut entrer en jeu. L’objectif consiste alors à protéger l’enfant et à envisager plusieurs pistes. Comment reconstruire un projet de vie à moyen et long terme pour l’enfant qui ne peut pas retourner chez lui ? Les questions peuvent se poser dès l’hôpital et se poursuivre en concertation avec les services d’aide à l’enfance dans une approche multidisciplinaire. Se pose la question du placement au sein d’une famille d’accueil. Les interlocuteurs interrogés privilégient cette piste. Vildan Goban explique qu’accompagner les familles d’accueil avec des équipes spécialisées est la piste qui lui semble la plus constructive : « Dans l’intérêt des enfants et des équipes de première ligne, cela permet de bénéficier rapidement de relais adaptés en aval de la prise en charge ».
ZOOM
Plus de prévention, toujours plus de prévention
Nous n’avons pas manqué de demander aux différents services interrogés si le volet préventif sur le syndrome des bébés secoués était suffisant. Il existe par exemple en France, une journée consacrée au phénomène. De l’avis général, on n’en parle pas assez. La maman que nous évoquions au début de cet article veut obliger le gouvernement français à imposer aux parents la consultation d’une plaquette institutionnelle avant de quitter l’hôpital. Une bonne idée ? De l’avis général, oui. Vildan Goban, de son côté, constate aussi qu’il existe des difficultés psychiques parentales qui ne peuvent toujours pas être nommées et partagées. La faute toujours à cette pression sociétale qui veut que la naissance et les moments qui suivent soient pastel et rose bonbon. Il faudrait rappeler aux parents que la naissance n’est pas qu’un moment joyeux. Les difficultés de ces derniers devraient pouvoir être entendues, par tou·te·s, sans jugement. D’autant que de plus en plus de familles sont isolées socialement, avec des relais familiaux ou amicaux quasi inexistants, la crise sanitaire n’ayant fait que renforcer le phénomène. Organiser une prévention de façon précoce pourrait enrayer le phénomène des maltraitances périnatales. Cette sensibilisation passe sans doute, en partie, par chacun·e de nous. En parler autour de soi permet de sauver des vies. Répétez-le autour de vous, le phénomène ne concerne pas que les autres.