Vie pratique

L’infodémie : quand l’actu angoisse les parents

L’infodémie : quand l’actu angoisse les parents

Vu le contexte actuel, les parents suivent les infos avec appréhension. L’actualité va plus vite que la réalité. Impossible de tout absorber avec sérénité. Comment dépassionner, remettre un peu d’ordre et retrouver raison face à ce phénix qui renaît de ses cendres quotidiennement ?

L’actualité de notre monde actuel est tellement intense qu’elle a un nom : l’infodémie, terme reconnu par l’OMS. Nous ne savons même pas de quoi sera fait demain, tant chaque jour est pavé d’incertitudes. Cela dit, une chose est sûre : les parents vont continuer à écouter les infos avec appréhension et avec plus ou moins d’assiduité. Conséquences sur le moral ? Un profond sentiment d’être complètement perdu, plus encore quand on prend conscience que ça déteint sur les enfants.
Comment ne pas se noyer dans cet océan ? On en parle avec l’enthousiasmant Olivier Standaert, professeur à l’École de Journalisme de Louvain (EjL - UCLouvain), pour qui ce désordre informationnel a une solution. On revient avec lui sur l’état dans lequel sont plongés les parents face à cette vague, ce tsunami d’infos, et comment apprendre à y naviguer, sans perdre le cap.

Olivier Standaert : « Je pense que les familles vivent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Ballotées par cette infodémie - étudiée et analysée par Grégoire Lits et Louise-Amélie Cougnon de l’UCLouvain -, elles se posent de plus en plus la question de comment trouver la bonne distance. Une proportion de plus en plus significative de Belges prend ses distances avec le rythme et la tonalité du flux informationnel. On parle beaucoup de l’importance de l’hygiène et des bons gestes depuis le début de cette crise. Il faut adopter la même attitude en ce qui concerne l’info, puisqu’il est ici aussi question de santé, mentale cette fois-ci. Personne ne peut ‘digérer’ une connexion permanente aux infos de la crise sanitaire. Je pense qu’une bonne façon de procéder, c’est de sélectionner drastiquement la qualité de l’information. Comme l’alimentation avec la slow food, privilégier des infos de qualité : factuelles, contextualisées, dans des médias soucieux de leur vérification. Cela permet de lutter contre l’infobésité. Les images, les titres, les angles choisis : tout peut concourir à drainer de l’angoisse inutile dans le contexte actuel. Il faut s’informer en fonction de son rythme de vie : le matin avant de conduire les enfants à l’école ou le soir, ou ponctuer la journée avec le JT, par exemple. Impossible et impensable de se coller à la même cadence que les médias. Pour compléter, sélectionnez des sites ou des titres de confiance qui offrent un contenu diversifié. Cette crise est intéressante aussi parce qu’elle questionne notre hygiène de vie face à l’info permanente. Une critique saine est indispensable. Ni complotiste, ni vindicative, mais constructive. »

Comment ne pas se laisser emporter par ce flux, et surtout comment démêler le vrai du faux ?
O.S. :
« D’abord, il est grand temps de relancer le débat de l’urgence de mettre en place dans les écoles une véritable éducation aux médias : une part croissante de notre rapport au monde se développe dans les médias, littéralement. Il faut apprendre à distinguer ce qui diffère entre l’opinion et l’info, le fait et la rumeur, le promotionnel et l’intérêt général. Observez vous-même dans le texte les articles qui ont le moins de qualificatifs, pratiquent une émotion nuancée, ont le moins de prise à partie. Le traitement doit être contextualisé. Les médias de référence traitent l’info sur ce registre-là : faits et opinions sont séparés. Je pense aussi qu’avec cette crise, il est temps de changer de temporalité. Pourquoi ne pas fermer un temps l’info en continu et aller chercher du contenu dans un mook ou un de ces magazines qui pratiquent ce slow journalisme dont je parlais plus haut. Histoire de croiser les infos, chercher de quoi prendre du recul, ne pas rester dans ce flux incessant, angoissant, démoralisant. Rappelons-nous aussi que les journalistes sont des êtres humains, des hommes et des femmes lié·e·s à la ligne éditoriale de leurs médias. Privilégiez donc ceux qui avantagent l’éthique, le savoir-faire, le travail consciencieux. Ceux qui permettent aussi de changer leur regard, qui offrent au lecteur, à la lectrice la possibilité de voir les choses différemment. Avec intelligence. Avec la forte concurrence des réseaux sociaux, c’est de plus en plus complexe et tout se mélange. Même sur un site sérieux, il existe différents niveaux d’informations où il arrive de plus en plus souvent que du contenu sponsorisé par des marques viennent s’inviter. Il n’existe pas d’indice Nutriscore sur les articles. Il est donc aujourd’hui primordial d’adopter une démarche proactive, histoire de ne pas mettre toutes les infos au même niveau. »

Avant de claquer la porte pour de bon de la société des médias, cherchez peut-être à envisager la façon de s’informer différemment, sous une autre facette, avec une autre pratique, à un autre rythme

Vous comprenez cette angoisse des parents ? Que dit-elle ? Que l’info est plus forte que nous, que nous ne sommes pas armés à recevoir autant de données ?
O. S. : « L’écrivaine Delphine de Vigan parle d’errance numérique pour décrire le fait de traîner par défaut dans cette déferlante de contenus. Et sur son côté hyper addictif. À l’ennui, on préfère le fait de se brancher. C’est en réalité une vieille problématique. Celle de la sur-présence aux médias. C’était déjà une crainte avec la télévision. Aujourd’hui, le phénomène est devenu permanent. L’info continue, personne n’est psychiquement constitué pour absorber tout ça. Dans les grands moments de tension, comme les attentats, le lockdown, il faut occuper le temps d’antenne. Les parents et encore moins les enfants n’ont la capacité cognitive de tout ingérer. Le moindre évènement fait tressaillir. Alors on meuble le temps d’antenne en transformant des faits peut-être insignifiants en actu chaude. Mais si on se laissait un peu de recul, est-ce qu’on en parlerait toujours avec le même élan ? Ça semble important à expliquer aux enfants. Nous n’avons plus de recul. On ne se l’autorise plus. L’info focalise son attention sur toute une série de menaces potentielles. Ce qui révèle aussi des sociétés occidentales très braquées sur le besoin de contrôle. Dans ce contexte, il semble important de s’aérer et de s’informer de manière plus ponctuelle. Je m’adresse aux parents : ne laissez pas vos enfants absorber l’info telle quelle. Reformulez, recontextualisez, ce qui ne veut pas dire cacher la vérité ! Apprenez-leur à décoder une image, exercez votre esprit critique ensemble. C’est aussi une manière de vous sortir de ce flux anxiogène incessant. »

Face à tout ce que l’on décrit, on entend de plus en plus de parents déclarer décrocher, fermer les écoutilles et se couper des bruits du monde.
O. S. : « La déconnexion totale peut ressembler à une porte de sortie. On peut comprendre les parents qui font ce choix. C’est d’ailleurs un phénomène très étudié et commenté chez les Anglo-Saxons qui parlent de news avoidance, littéralement ‘évitement des nouvelles’. On se dérobe, on s’octroie la liberté de se couper de l’actualité quotidienne. C’est à interpréter comme une forme de ras-le-bol ou d’intolérance à des opinions que nous ne partageons pas et qui s’expriment massivement, sur les réseaux principalement. Nos vies sont devenues très médiatisées et ce phénomène de rejet s’explique aussi par cette inflation : notre consommation de l’info a significativement augmenté. À tel point que l’on estime que cette activité occupe entre 20 et 30 % de notre quotidien. C’est dire si le rôle de l’information dans nos vies est devenu prépondérant. J’entends que ça puisse provoquer une réaction de rejet radicale.
Mais se couper du monde est-il une bonne chose ? N’oublions pas que les médias jouent aussi un rôle capital dans la production d’un certain savoir et d’un lien social. J’en reviens à la nécessité de trier. On le voit au moment où l’on parle, les écoles ferment, les bulles (re)passent de 10 à 4 (ndlr : l’interview s’est déroulée le jour de l’annonce des nouvelles mesures de confinement, le 24 mars). Ce ne sont pas les Communes ou les écoles qui délivrent les infos en premier lieu, mais bien les médias. Dans l’idée de déconnexion, il y a aussi cette volonté d’échapper aux sollicitations omniprésentes. Je pense aux notifications. Là encore, comme l’info continue, personne n’a la santé psychique d’absorber tout cet assaut. Face à ce phénomène d’intense consommation, il faut alterner les rythmes et les contenus : il existe des formes de journalisme plus tournées vers les solutions, plus collaboratives aussi. Un journalisme qui souhaite mettre le lecteur, la lectrice au centre du jeu, qui propose de voir comment se construit une info. Qui intègre la voix de celles et ceux qui le lisent dans son processus éditorial et propose un journalisme dit ‘de solution’. Avant de claquer la porte de la société des médias pour de bon, cherchez peut-être à envisager une façon de vous informer différemment, en alternant le chaud et l’immédiat, nécessaires, au froid, plus reposant, créatif. »

Quel rôle jouent les médias dans cette crise ? Pensez-vous qu’ils l’alimentent, d’une certaine façon?
O. S. : « Ils jouent un rôle indéniable, comme dans toute crise. Même si la responsabilité de cette angoisse collective n’est évidemment pas leur seul fait. Il faut sortir du ‘médiacentrisme’ qui ramène tout ce qui se passe à la seule responsabilité des médias. C’est excessif et réducteur. Seulement, ils ont une force de frappe constante et régulière. De manière générale, la crise est tombée sur tout le monde et questionne les pratiques journalistiques. Les médias réfléchissent à leurs pratiques, aux effets de leurs productions sur le public, comme lors de certaines annonces à fort impact (le décès d’une enfant de 3 ans lié au Covid, à l’été dernier, par exemple). Il existe un fossé entre ce genre de remises en question salutaires et tous les documentaires à charge que l’on voit fleurir sur le web, sans prise de recul. On peut citer Ceci n’est pas un complot ou Hold-up, par exemple.
Cette critique n’est pas nouvelle. Elle remonte à l’industrialisation du métier à la fin du XVIIIe. Là, les élites se sont dit qu’il y avait danger, car il y avait un vrai contre-pouvoir potentiel. Aujourd’hui, les médias sont toujours perçus comme une menace par ces élites, mais aussi par le peuple. Que l’on remette en question l’actionnariat, que ça pose des questions, oui. En effet, il faut toujours interroger le conflit d’intérêts. Même si je pense qu’en Belgique, on est loin de la situation française, où quelques grands industriels se partagent l’ensemble de la presse et des médias. Le véritable problème est encore humain. Les journalistes sont restés trop longtemps porte close et ont mis trop de temps à réaliser qu’une information doit être compréhensible et assimilable. Ce n’est que trop récemment qu’ils ont remis en question tant leur public que leur système économique. Ils ont tout à gagner à dévoiler un peu l’arrière cuisine. Aider les un·e·s et les autres à comprendre les pressions qui s’exercent sur une rédaction : le temps, les sources, la parole des experts, le réseau, la pertinence… On comprendrait déjà mieux. Ce qui n’empêcherait pas de les questionner. Parce que tout ce dont on parle est passionnant. C’est un enjeu clé de notre société. C’est toujours enthousiasmant de remettre en question la façon dont on s’informe. Et ça peut même faire l’objet d’une discussion passionnante en famille. Loin des écrans, de la télé, de la radio et des journaux. »

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