Vie pratique

Hasard du calendrier ? Toujours est-il que le jour où l’on décide de consacrer un dossier au mal-logement, le Wolf, lieu de littérature jeunesse dans le centre de la capitale, nous contacte. Il organise une conférence avec acteurs de terrain et des auteur·e·s sur l’importante question du sans-abrisme expliqué aux enfants. Vous allez voir qu’il n’est pas simple d’en parler avec justesse.
Une personne dort dehors devant l’entrée de l’école des enfants. Les adultes qui conduisent la marmaille l’enjambent presque, sans en faire cas. Ni les parents, ni les enseignant·e·s, ni le gardien. Cette personne fait partie du décor. Une petite fille, interloquée, demande : « Pourquoi il dort dehors, le monsieur ? ». Comment ne pas détourner le regard et répondre aux innocentes questions bien légitimes ?
Les habitant·e·s de la rue
L’auteure Sarah V. et l’illustratrice Claude K. Dubois, toutes deux Liégeoises et actives au sein d'une association, ont croisé la route de Bruno, ancien facteur. Une rencontre qui aboutira à Bonhomme (l’école des loisirs) qui traite de la question de l’exclusion.
Sarah V. explique : « Je me rendais tous les samedis pour servir la soupe et aider comme je pouvais. J’ai rencontré ce monsieur à l’histoire et au vécu qui m’ont beaucoup marquée. Quand j’y allais avec ma fille, je me rendais compte qu’elle était très impressionnée, qu’elle s’imaginait plein de choses et qu’elle avait plein de peurs infondées ».
L’auteure comprend que cette peur vient des constructions des adultes. Soit ils n’en parlent pas, soit ils le font avec des mots très durs. Ces « clochards » sont « sales », « alcooliques », « toxicos », « assistés ». Quand ils ne sont pas invisibilisés. Bruno a remarqué qu’il était essentiellement regardé par les enfants et les animaux dans la rue. Cela lui redonne un peu d’humanité. Voir des adultes détourner le regard, c’est le quotidien des sans-abri.
Pour l’asbl Diogène, changer le regard, c’est le départ de comportements plus solidaires. Une des travailleuses de rue explique qu’on associe trop souvent ces personnes qui dorment dehors à une forme de nuisance. D’ailleurs, elle suggère de les évoquer comme « habitant·e·s de la rue ».
Chloé*, travailleuse de rue, abonde dans ce sens : « On a tendance à en parler aux enfants comme des êtres faibles ou inférieurs. On croit qu’ils doivent être sauvés. On fait fi de l’histoire de chacun·e ».
Ludovic Flamant et Sara Gréselle, les auteur·e·s de Bastien, ours de la nuit (Versant Sud Jeunesse), un ouvrage sur l’errance dont nous vous avons parlé (Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir lue), rapportent les propos très durs des enfants lors d’animations. « Derrière ces idées, on entend la voix des parents. Et on remarque également qu’il naît beaucoup de fantasmes de ce dont on ne parle pas. Invisibiliser les sans-abri, ça renforce les angoisses des petit·e·s ».
Les intervenant·e·s de l’animation du Wolf se posent eux·elles-mêmes la question : « Pourquoi est-ce si dur d’évoquer la question du sans-abrisme avec les enfants ? ».
Le reflet de notre lâcheté
On retrouve l’équipe de L’Ilot. On leur explique qu’il n’est pas chose aisée pour les un·e·s et les autres de donner des pistes aux parents. Les trois compères sont partagés. Pierre-Arthur de Béthune décortique cet embarras : « Nous, parents, nous avons des comportements que nous n’assumons pas face aux personnes qui dorment dehors. Nous n’aimons pas cette partie de nous-mêmes. En parler aux enfants, ça revient aussi à affronter notre lâcheté. Et disons-le clairement, elle n’est pas toujours facile à assumer ».
Au fur et à mesure de la discussion avec l’équipe, les un·e·s et les autres se demandent pourquoi, au fond, il est si important d’en parler. Catherine Colson, maman d’un enfant de 4 ans, agit d’abord par bon sens : « Je ne veux pas que mon enfant se dise qu’il est normal ou acceptable de laisser des personnes vivre comme ça. C’est l’occasion de rappeler que cette situation n’arrive pas qu’aux autres. On peut très vite glisser ».
De l’avis général, il est important d’expliquer qu’il n’y a pas un moment précis dans la vie d’une personne qui la pousse dehors. Souvent, c’est toute une série d’épreuves qui conduisent les individus ou les familles à la rue. « Une résignation aussi, développe Jean-Louis Joiret. Le ras-le bol d’échecs administratifs, des moments traumatisants, des problèmes de santé mentale. Autant de facteurs qui créent une sorte de résignation. Ce n’est pas juste un mauvais choix. Ce que l’on a trop tendance à croire. Peut-être aussi parce que ça nous arrange ».
Autant de propos qui font écho à la pièce de théâtre jeune public Le moment clé, qui propose aux spectateurs, spectatrices de regarder bien en face la trajectoire d’un individu jusqu’à la rue.
Regarder bien en face. Apprendre aux enfants à aller au-delà des idées préconçues. Éprouver de la considération. Sortir de l’anonymat le monsieur qui dort devant l’école ou la dame qui vit dans le parc. Parler. Soutenir. Envisager. Tels sont les mots de toutes les personnes qui ont participé à ce dossier. Et peu importe de quel côté de la rue elles se trouvent. Elles sont unanimes : notre façon d’éduquer les enfants face à toutes ces formes d’exclusion, face à toutes ces injustices est on ne peut plus simple. Il suffit de nous dire, nous parents, que dès qu’il y a prise de conscience ou empathie, c’est gagné.
AGIR
Soutenir les associations de terrain
Vous avez envie de faire quelque chose pour soutenir les personnes isolées et les familles sans logement ? Plusieurs pistes s’offrent à vous.
EN SAVOIR +
De nouveaux publics en besoin de logement
Étudiant·e·s, indépendant·e·s, personnes qui ont perdu leur emploi… de nouveaux publics en besoin de logement émergent suite à la crise. « À une époque, nous hébergions principalement un public issu du ‘quart-monde’. Aujourd’hui, on se retrouve avec des problématiques multiples : assuétudes, (sur)endettement, problèmes de santé mentale, etc. Les situations que nous prenons en charge sont de plus en plus complexes », observe Aurélie Lacaille, directrice pédagogique de la Maison des Quatre vents.
SE MOBILISER
Les acteurs de terrain dans le rouge financièrement
« Il n'est pas dans nos habitudes de nous plaindre de la situation sanitaire. Sachez toutefois que la cinquième vague de la contamination a touché notre maison d'accueil ». Voilà le message sans équivoque que les proches de la Maison des Quatre vents ont pu lire le 23 novembre sur la page Facebook de l’institution.
Didier Gruselin, directeur de l’institution, détaille la situation très compliquée du secteur de l’accueil. « La Région wallonne intervient sur les ressources humaines, mais tous les frais relatifs au bâtiment sont à notre charge. Notre toiture est percée, j’ai un devis de 180 000 € qu’il m’est impossible d’assumer ».
La crise du covid ajoute un lot de difficultés supplémentaires. « Les normes sanitaires nous empêchent de fonctionner à plein régime. Nous avons eu huit hébergés positifs au covid. Pour chaque personne, deux lits sont occupés - un lit vide et un lit infecté - pour respecter le cadre réglementaire. Les lits inoccupés ne sont pas financés ». Voilà les deux raisons qui mettent l’institution dans le rouge et explique l’appel aux dons lancé.
- À quoi sert un don : 40 € correspondent à une prise en charge de deux nuitées (gîte et couvert) pour une personne. Pour soutenir le centre, faites votre don sur le compte BE73 3714 0475 1360 (Pour rappel, les dons sont déductibles fiscalement à partir de 40€).
C. R.