Vie pratique

Au fil des rencontres avec des parents et leurs enfants, nous avons appris plein de choses dont une information sur laquelle nous nous étions promis de revenir : nos petits ne sentent pas assez écoutés. « COMMENT ? », entend-on hurler chez certains parents. Le comble, pas vrai ? Nous, si impliqués ? Mais écoutons leurs doléances. Avec l’écoute attentive de Béatrice Tichier, pédagogue, et Éric Tamara, psychologue.
Premier réflexe de parent lorsque l'on entend nos petits se plaindre du fait qu'on ne les écoute pas assez ? Minimiser. Peut-être même s'offusquer et se convaincre qu'ils ne savent pas vraiment de quoi ils parlent. Pourtant, – même si c'est loin d'être une étude scientifique – lorsque nous avons rencontré les enfants pour les besoins d'un dossier, ces derniers nous ont donné des exemples très concrets. Et si nous n'ouvrions que partiellement nos écoutilles ?
« Mes parents sont tout le temps sur leur téléphone »
Nous aurions pu y consacrer tout un article. C'est d'ailleurs le principal rival de nos petits. Quel adulte en fin de journée n'a pas tendance à avoir le regard qui glisse vers son appareil électronique une fois que le récit quotidien de son petit se fait sans ponctuation, ni respiration ? C'est humain, n’est-ce pas. Et vous n'êtes visiblement pas les seuls… puisqu'un opérateur français nous apprend même que 70 % des mômes sont favorables à une limitation de l’utilisation du téléphone portable à la maison ! Le parent est-il vraiment scotché à son écran et, du coup, moins disponible pour jouer, discuter, passer du temps de qualité et regarder ses petits grandir ?
► Les experts. L'écran distrait. Il peut servir d'échappatoire. Pire que tout, il est devenu un réflexe. Dès qu'un utilisateur perd un peu de concentration, il se rue sur son smartphone. Dans ce cas de figure, l'enfant ne se sent évidemment pas écouté. Il se sent frustré, voire quasi transparent ou inexistant. Il ne fait pas le poids face à ces outils technologiques tout-puissants qui semblent donner tant de satisfactions à ses parents. Il faut donc vite redresser la barre. S'en rendre compte, c'est déjà agir. Les mauvais réflexes se perdent vite. Pourquoi ne pas ranger les joujoux numériques l’espace d’un instant ? Les laisser flotter dans la poche de sa veste. Isoler les tablettes dans le tiroir de la commode jusqu'à ce que les petits dorment. Limiter le wifi. S'imposer un vrai moment ensemble, déconnecté. Et si les discussions sont assommantes ou, au contraire, inexistantes, menez une activité en commun. On cuisine, on joue, on lit... ce que vous voulez, loin des écrans.
« Dès que je parle, mes parents me disent : 'Allez, sois sage' »
Très récurrent dans les témoignages. Le problème n'est évidemment pas de prononcer ce sentencieux « Sois sage », mais bien de le brandir un peu à la va-vite. Comme si ce « Sois sage » que le parent ponctue plus qu'à son tour serait le nouveau « Tais-toi » plus ferme que l'on servait dans les générations précédentes. Testez-le chez vous. Un petit qui joue avec trop de véhémence, des gamins pleins de fougue, des décibels qui dépassent les 60... le parent dégaine vite un premier : « Allez, sois sage », avant de passer à d'autres formules qui vont faire montre d'un énervement croissant. Est-ce qu'on le dit trop ? Serait-ce le bouton off du parent quand son enfant se mue en moulin à paroles ?
► Les experts. Il est terrible, ce « Sois sage ». Les enfants ont raison de s'arrêter dessus. Comme beaucoup d'expressions, si on creuse sa signification en fonction de la circonstance où elle est dite, on peut y déceler des choses terribles ! Quand on dit « Sois sage » à son enfant, celui-ci peut entendre « Sois sage, sinon… ». Il est, par exemple, en train de raconter sa journée, il s'emporte et finit par épuiser son parent. « Hey, hey, allez, sois sage », va amorcer un adulte. L'enfant se dit : « Mon parent ne m’aimera plus si je ne suis pas sage ». Mais qu'est-ce que ça veut dire « être sage » ? Ce n’est pas un objectif en soi. Que le parent se demande bien quel comportement il attend que son enfant adopte pour « devenir sage ». Il doit arrêter de parler ? Il doit ne plus bouger ? Il doit parler plus doucement ? Comme le smartphone plus haut, c'est un mauvais réflexe qui se corrige vite. Votre enfant s'emballe, formulez une demande précise et expliquez ce que vous attendez de lui et surtout pourquoi. « Houla, tu parles trop vite. Prends ta respiration. Je t'écoute, tu n'as pas besoin de parler à cent à l'heure ». Vous pouvez même lui dire : « Attends, je ne comprends pas, reprends l'histoire parce que je suis perdu·e là ». Plutôt que de le couper dans son élan, reprenez le récit là où il a dérapé et recommencez sur une base plus compréhensible.
« Ils font semblant de m’écouter »
Là, il faut bien être honnête, on l'a tous fait. On pourrait tous se faire prendre. Le regard qui part dans le vide, la tête qui bouge machinalement. À notre connaissance, il n'existe pas d'étude sur la moyenne de mots qu'un enfant prononce. Mais il doit être au minimum le double de celui des adultes. Et si c'est merveilleux d'avoir des petits têtards qui devisent autant, multipliez les propos par le nombre d'enfants de votre tribu et vous obtiendrez une masse d'informations que le cerveau éreinté du parent ne peut pas absorber. Les frasques de Juliette à la récré, les embrouilles avec Lucas, les histoires de cœur de Tarik, les leçons de la maîtresse, les mille et un petits riens du quotidien... Génial. Mais notre pauvre conduit auditif en prend un sacré coup. En plus, comment réussir à se montrer attentif à ces récits de trente kilomètres de long tout en multipliant les innombrables travaux du quotidien ?
► Les experts. Ce n'est pas grave d'avoir l'esprit occupé et de se perdre devant un récit un peu long. Ce qui est plus embêtant, c'est quand son enfant s'en rend compte. Là encore, comme pour les deux points précédents, c'est une question de mauvais réflexe. Attendre d'un adulte qu'il enchaîne les tâches domestiques, la journée de travail, qu'il s'occupe de ses enfants et qu'en plus, il soit attentif à 100 %, c'est beaucoup demander. Alors, pourquoi ne pas le dire plutôt que d'essayer de tout mener de front ? Votre enfant déborde d'histoires, mais la marmite du soir ne va pas se faire toute seule. Rien ne vous empêche de glisser un très simple : « Attends, je t'écoute, mais il faut que je cuisine sinon vous allez vous couchez trop tard. Viens avec moi dans la cuisine, on va continuer en préparant le repas ». Ces récits sont trop importants pour être mal écoutés. Un enfant a besoin de se sentir entendu. Comme il a besoin de se sentir aimé. Cela lui procure un sentiment de sécurité. Il se cache tout un tas de petits trésors dans ses histoires. Beaucoup d'indices sur le vécu de vos petits.
« Ils ne parlent que d’eux »
Abordons le point délicat de ce panorama. Si, dans l'ensemble, les enfants nous ont donné l'impression de former une bonne équipe avec leurs parents, quelques-uns ont parlé, avec leurs mots bien à eux, de comportements un peu narcissiques de leur cher papa ou de leur chère maman. L'exemple classique étant le parent qui se réfère tout le temps à soi. Sur un air de « Attends, moi, quand j'étais petit... ». Certains enfants nous ont expliqué que les adultes ne parlaient que de leur boulot, que de leurs récentes acquisitions, que de leurs projets… Même si l’impression des petits est certainement très exagérée, voyons si nous, parents, sommes à ce point autocentrés.
► Les experts. Cette génération de pères et de mères n’est pas plus narcissique que les crus précédents. Au contraire. Le couple se répartit de plus en plus le rôle de parent de façon équilibrée. L’un est à l’écoute de l’autre et, contrairement à ce que pourrait laisser entendre l’impression générale de cet article, le parent est plus à l’écoute de l’enfant qu’il ne l’a jamais été. De façon perfectible, bien entendu. Ce qui peut donner l’impression à l’enfant que le parent est égoïste, c’est peut-être le conflit des besoins. Un enfant que l’on somme de ranger se dit qu’il le fait pour le bien-être de ses parents. Un petit à qui l’on parle de son enfance à titre d’exemple n’y voit pas forcément une analogie dont il doit tirer des enseignements. S’il existe évidemment des individus hyperconcentrés sur eux, dans l’ensemble, les parents auraient plutôt tendance à tout (trop ?) sacrifier pour leurs rejetons. Il n’est peut-être pas négligeable de préciser parfois son propos par des phrases comme « Si je dis ça, c’est pour toi / Si je te demande ça, ce n’est pas pour moi », histoire d’éviter toute confusion. Quoi qu’il en soit, c’est toujours sain de se poser la question de sa capacité à écouter son enfant. L’attention va être un enjeu phare dans l’éducation de demain. On l’a vu, les outils numériques, la cadence effrénée, la consommation, etc., sont des facteurs qui isolent. Dans ce contexte, l’écoute est plus qu’un outil d’éducation, bien plus qu’un arsenal, c’est tout simplement la preuve de l’existence de l’autre. Donc quelque part, la preuve de l’existence de soi.
À LIRE
Savoir écouter un enfant
Savoir écouter un enfant de Françoise Peille, psychologue clinicienne (Publibook - collection Sciences humaines : pédagogie, sciences de l'éducation). L’auteure travaille à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris où elle multiplie les rencontres avec les enfants. De ces entrevues, elle en tire des conclusions qui vont dans le sens de ce que nous ont appris les experts interrogés pour cet article. Nos petits ont besoin d’une reconnaissance de leurs besoins, de respect et de satisfactions dans leur vie quotidienne, clés selon la psy d’un véritable équilibre pour toute la famille.