Vie pratique

Comme chaque année, début juillet marque la parution du classement officiel des prénoms donnés aux nouveaux bébés en Belgique par Statbel, l'office belge de statistique. Les prénoms courts tendant toujours vers plus de diversité que dans le passé seront-ils encore tendance ? Quelles sont les stratégies d’attribution prises par les parents et comment évoluent-elles ? Éclairage avec le sociologue Baptiste Coulmont.
Comment va-t-on l’appeler ? L’attribution du prénom fait partie des premières responsabilités d’un jeune parent. Parfois vite trouvé, révélation évidente et consensuelle, il peut se transformer en véritable casse-tête, entre compromis, débat ou vote à l’assemblée… Avec en trame de fond, des modes que l’on aime suivre ou non.
Ainsi, un tiers des filles nées en ce début du XXIe siècle portent un prénom finissant par « A ». À chaque époque ses préférences «phonologiques » : les terminaisons en «’ette » (Odette, Yvette, etc.) de 1920 à 1940, puis les « ‘iane » (Marianne, Éliane, Josiane, etc.), puis les « ‘ine » et « ‘ie » dans les années 1980 et 1990… Au fil des époques, les tendances se font, puis se défont, attirant l’intérêt des sociologues. Ces deux dernières décennies ont vu l’émergence de deux tendances : des prénoms courts et un choix toujours plus large et original.
« Il y a un siècle, 25 % des filles s’appelaient Marie et un garçon sur cinq se prénommait Jean, il y avait moins de prénoms en circulation, explique le professeur de sociologie français, Baptiste Coulmont, auteur de Sociologie des prénoms (La Découverte). Actuellement, le prénom le plus attribué n’est donné qu’à 1 ou 2 % de la classe d’âge. Jusqu’à la moitié du XIXe siècle, les prénoms étaient transmis par la lignée prestigieuse de la famille. On donnait le prénom du parrain, du grand-père, on choisissait parmi des proches honorables. Ou encore celui du saint patron du village. Un prénom répandu, qui reliait au groupe. »
De l'héritage au goût
Petit à petit, les prénoms ont été décrochés des logiques d'héritage au profit d'une autre faisant intervenir le plaisant. « Et ça, c’est nouveau dans l’histoire ! Le prénom fait l’objet d’un jugement de goût, on le trouve beau. Tandis que les prénoms de transmission se retrouvent en seconde ou troisième position. Les parents peuvent le trouver ‘moche’, mais il est symbolique ou il résout un équilibre de choix entre les parents. Et si c’est le premier prénom qui est transmis d’un·e proche, c’est avant tout pour indiquer la qualité d’une relation ».
Ce nouveau phénomène du goût s’observait déjà dans les romans de Balzac et de Victor Hugo, « qui s’amusaient, via leurs personnages, à critiquer la nouvelle tendance à opter pour des prénoms inspirés de pièces de théâtre, comme Éponine et Azelma, les filles de Madame Thénardier… Un peu comme on pioche aujourd’hui dans des séries télé ».
En 1946, une liste de vingt prénoms pouvait suffire pour nommer 50 % des enfants d’une même classe. Il en faut aujourd’hui 140
Les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas (voir encadré ci-dessous), bien sûr, mais la critique et l’affirmation règnent toujours autour des prénoms. « Car le goût des autres n’est jamais le bon goût ! Pour les parents, à la fois choisir un prénom et critiquer ceux des autres, c’est une manière de dire qui l’on est. C’est renforcer son individualité. Et si cela déplait, on ne le dit pas aux parents directement. On dira plutôt : ‘Ah bon ? Je n‘y aurais pas pensé ! Mais dire ‘C’est laid’, ça ne se fait pas ».
Les prénoms que l’on aime ou que l’on n’aime pas seraient comme un résumé de notre vécu, « de notre vie passée, de nos apprentissages, des personnes auprès de qui on vit. Toutes ces expériences qui nous ont appris que Jennifer, c’est joli ou que Marie-Augustine l’est aussi. C’est dû à ce que les sociologues appellent ‘la socialisation’ ou à notre position dans l’espace social », poursuit l’expert.
« Être original ? Pas forcément »
Désormais, « faire mouche » ou être original semble presque devenu un enjeu pour les parents. Mais la stratégie est plus nuancée et à recontextualiser. « Les parents ne cherchent pas forcément à être originaux. Ils veulent avant tout donner un prénom qui suffise à identifier un individu dans un groupe d’une certaine taille. Les parents disent souvent : ‘Nous ne voulions pas qu’ils soient deux à porter le même prénom en classe’ ».
Serait-ce l’envie de se démarquer, dans une société tendant vers l’individualisme, où les naissances peuvent être mieux planifiées et attendues, qui guideraient vers des prénoms singuliers ? Pour le sociologue, l’actuelle grande variété des prénoms s’explique par un nouvel usage de ceux-ci.
Nouvelles « bonnes manières »
« Les manuels de bonnes manières, jusqu’au début du XXe siècle, expliquaient que le prénom s’utilisait au sein de la famille, et c’est tout, explique Baptiste Coulmont. Quand on était bien élevé, on appelait son cousin par son nom de famille, pas par son prénom. Bien sûr, les prénoms étaient utilisés dans les milieux populaires et la sociabilité ouvrière reposait en partie sur l’usage du prénom. »
Dès les années 60 et 70, des évolutions sociales et mobilisations de groupes ont milité pour l'usage du prénom. « Cet usage du prénom est venu de groupes d’extrême-gauche, contre les hiérarchies, mais aussi des féministes, refusant de signer leurs articles avec le nom du père, préférant leur propre prénom. Et à droite, ce fut aussi instauré par de nouveaux modes de management et par les conseillers en ressources humaines pour horizontaliser les relations en entreprises ».
Petit à petit, le prénom a pris le relais de l’usage du nom de famille. « C’est d’ailleurs amusant de l’observer dans les jeux télévisés… Des chiffres et des lettres ont été les derniers à ne plus appeler les candidats ‘Madame Dupont’ et ‘Monsieur Lefevre’ dans les années 1990 », souligne le sociologue.
Désormais, les prénoms ont une carrière plus courte. Les cycles de mode sont en accélération depuis le début des années 2000, avec des pionniers des prénoms qui sont souvent des parents ayant de nombreux contacts avec les enfants et les faits de société : puéricultrices, pédiatres, sages-femmes ou encore travaillant dans les médias. L’attribution du prénom peut donc faire face à un paradoxe : celui d’être vécu comme un choix personnel, mais qui, finalement, est très conditionné par les phénomènes de mode.
ILS EN PARLENT…
Des histoires de prénoms
« Et pourquoi ce prénom ? » est l’éternelle question posée aux jeunes parents. Car chaque histoire de prénom nous touche, nous émeut parfois.
- « Appelé comme une étoile » : Aldébaro est un petit garçon namurois qui a aujourd’hui 8 ans. Sa maman Pascale sourit et aime se souvenir du moment précis où le prénom de son bébé a été fixé.
« Nous étions en vacances en Afrique, dans un village sans électricité, et donc sans éclairage la nuit venue. Nous faisions donc face chaque soir au ciel étoilé. Avec une application, j’ai cité tout haut le nom d’une étoile qui nous attirait, qui était plus brillante que les autres. C’était Aldébaran. Le futur papa a répété tout haut et déformé le nom par lapsus : Aldébaro. Ça sonnait si bien à nos oreilles ! » - « De mère en fille » : autre stratégie d’attribution, celle de l’héritage, devenue plus rare. Dans la famille de Thaïs, maman de trois filles à Grez-Doiceau, le même prénom est toujours transmis au premier enfant fille. Cette maman a donc appelé sa première fille… Thaïs. La septième du prénom depuis 1829.
« À cette époque, ce prénom d’origine grecque a été donné à mon aïeule en hommage à la victoire des Grecs pour leur indépendance contre l’Empire Ottoman. Un évènement très suivi par la population d’ici, qui n'était pas encore belge. Ensuite, ce prénom n’a plus quitté la famille. Je crois qu’il était habituel à l’époque de passer son propre prénom à son enfant. »
Thaïs poursuit la tradition sans aucune pression de sa mère ni de sa grand-mère, « mais avec fierté et évidence. Mon mari était aussi enthousiaste. Lui a donné son nom et moi mon prénom. Et puis, c’est un joli prénom, peu répandu, et intemporel ! ». Et pour la vie pratique sous le même toit ? « Cela n’a jamais posé problème. Avec les intonations ou petits surnoms, j’entends très bien à qui on s’adresse. C’était ainsi chez moi quand j’étais petite ».
EN SAVOIR +
« Le prénom d’un mort »
« Jusqu'au début du XXe siècle, il était fréquent, dans un contexte de mortalité infantile élevée, de transmettre le prénom d'un enfant mort à l'enfant suivant », raconte Anne Piret dans ses cours de sociologie aux futures sages-femmes de l'HEPN. Une anecdote qui surprend les étudiantes, les choquent parfois.
« Face aux théories psychologiques actuelles et à l'individualisme, cela peut nous sembler horrible pour le développement de ce nouvel enfant. Mais dans un contexte non-scientifique et non-individualiste, les parents lui donnent la protection d'un ange, un lien pour veiller sur ce bébé vulnérable. C’est un acte de soin et d'amour. »
Une façon de rappeler que chaque processus de prénomination est à replacer dans son contexte, qu’il soit historique, culturel ou encore géographique, « et pour éviter l’ethnocentrisme en projetant ses propres représentations ».
ET ENCORE...
Tester sa popularité
Envie de connaître la popularité du prénom de votre (futur) enfant ou du vôtre ? Rendez-vous sur le site de Statbel qui met à disposition son outil de recherche statistique de population. Chaque prénom y figure, à condition qu’il ait été donné à cinq bébés minimum dans le courant de l’année concernée. En un clic, vous connaîtrez le nombre de bébés portant un même prénom en Belgique et l’évolution de sa tendance, en hausse ou en baisse.
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