Loisirs et culture

Juste avant de prendre le large, de savourer le ralentissement du temps, ce serait pas mal de régler une bonne fois pour toute ce petit problème qui vous préoccupe au quotidien : tous ces jouets qui encombrent la chambre de vos enfants. Comment réorganiser tout ça et faire en sorte que ces beaux joujoux soient enfin… joués ?
C’est un mal lié à notre société de surconsommation : se retrouver encombré, dépassé, voire même possédé par de trop nombreux objets. Nos enfants n’y échappent pas, leur chambre regorge de jouets avec lesquels ils ne jouent pas. Ou avec lesquels ils jouent trop peu. Le tri régulier ? C’est une solution. Mais même en réduisant drastiquement et régulièrement la quantité de joujoux en tous genres, rien n’y fait, l’enfant se lasse trop vite de ses possessions ludiques. Une fatalité ? Voyons voir.
Dans une récente infographie (voir encadré), nous mettions en évidence un chiffre interpellant : un enfant possède en moyenne 200 jouets, mais n’en utilise que douze. Comment établir une ronde des jouets ?
Aby Camara : « Le vrai problème, je trouve, c’est que les parents ont trop de choses en tête. Et que tout cet encombrement rajoute à une certaine forme de charge mentale. Quand je dis à mon enfant : ‘Tu dois ranger ta chambre’, ça crée illico une mauvaise ambiance. Nos gamin·es ne savent pas comment s’y mettre. On perd beaucoup de temps sur d’autres activités que l’on pourrait mener ensemble. Moins de jouets, mieux répartis, c’est aussi une manière de donner des consignes plus claires à son ou sa petit·e. : ‘Tu veux bien ranger ta poupée ?’, ‘Il te reste quoi ? Les doudous. O.K., tu t’en occupes ?’. On induit sans donner d’ordre. On accompagne. Comme pour le salon, par exemple. J’entends souvent des parents dire : ‘On s’est fait envahir, il y en a partout’. Cette phrase, ça ne veut rien dire pour l’enfant. Ce n’est pas clair, il ne sait pas par quel bout commencer. Il faut qu’il puisse intégrer l’idée de l’espace commun. L’idéal : il utilise une chose, c’est fini, il arrête, il range. Idéalement, la répétition doit se faire dans les actions, pas dans les ordres. L’idée, c’est de viser la gestuelle et la sensibilisation au rangement. Plus que la corvée. »
Comment les parents peuvent s’y prendre pour impliquer leur enfant dans l’aménagement ou le réaménagement estival ?
A. C. : « D’abord, on peut répéter au parent combien c’est important de s’y prendre, en effet, avec son enfant. Non pas profiter du fait qu’il soit parti de la maison – en camp ou autre – pour le faire. On peut attaquer par un simple constat : ‘Bon, tu vois comme moi que tu as quatre-cinq étagères qui sont très encombrées. Qu’est-ce qu’on fait ? Tu veux rajouter d’autres jouets ? Alors on n’a pas le choix, comment on va trouver de la place à ton avis ? On va devoir donner’. Bien sûr, en énumérant les jouets un par un, les enfants vont vouloir tout garder. Mais vous pouvez profiter de ce gros réaménagement pour voir ce à quoi ils tiennent. On va regrouper un temps ensemble. Sentir, toucher, explorer, entendre. Voir comment les enfants se situent vis-à-vis de leurs jouets. Ça va orienter le parent. Cette étape de tri et de don est importante parce qu’elle fait travailler des aspects essentiels à l’enfant. La sociabilisation. Le partage. Oui, le rangement, ça peut aussi être un temps de qualité. »
Une fois que c’est fait et que la chambre est correctement ordonnée, que faut-il avoir en tête pour procéder à cette fameuse rotation de jouets ?
A. C. : « Une rotation de jouets, ça se fait dans le choix. Pour moi, il faut viser l’évolutif. C’est-à-dire choisir en priorité les jeux qu’on peut détourner pour faire autre chose. Rappelez-vous, parents, que la stimulation - puisqu’avec l’autonomie, c’est ce à quoi les adultes font le plus attention - ça ne part pas nécessairement d’un jouet. Observez plutôt les bambins. Un bac à linge, une casserole, un bol, des feuilles dans un parc… je crois que c’est pas mal de garder en tête que ça ne passe pas toujours par un achat. C’est important à rappeler, parce que je rencontre trop souvent des parents qui ont le sentiment que s’ils ne choisissent pas le bon produit, ne font pas le bon acte de consommation, ils risquent de ne pas développer les bonnes compétences. C’est faux. Dans cet ordre de choses, on voit beaucoup d’arnaques. Des pseudos coffrets Montessori, par exemple. Les évolutions du jouet, ça va vite. Et dans cet exercice du réaménagement estival, je ne me soucierais pas trop de savoir ce qui se joue à tel ou tel âge. Ça ne veut rien dire. Les enfants évoluent de façon tellement différente. Leur contexte est tellement variable et les influence tellement. C’est important d’avoir tout ça en tête. »
« Le meilleur jouet pour un enfant ? C’est celui qui se joue avec son parent »
C’est quoi le meilleur jouet pour vous ?
A. C. : « Les parents sont beaucoup trop désinformés sur les conséquences psychomotriciennes des jouets qu’ils achètent à leurs enfants. Des familles achètent encore aujourd’hui des trotteurs, alors qu’on sait qu’ils induisent des catastrophes sur le développement de la marche, par exemple. On connait les dysfonctionnements et on se dit : ‘Bon, ça lui fait tellement plaisir, c’est vrai qu’il est sympa ce jeu’. Le meilleur jouet pour un enfant ? C’est celui qui se joue avec son parent. Celui qui fait que l’on produit quelque chose ensemble. Qu’on fabrique, qu’on personnalise, qu’on cuit. Celui qui nous fait lire ensemble, qui nous fait imaginer des images ensemble. On peut faire tellement de choses. Les évolutions du jouet, ça va vite. Il est important de garder en tête qu’il n’y a pas un jouet type pour un âge type. »
Ce principe de rotation de jouets, au-delà d’un choix pédagogique, n’est-il pas surtout un problème de consommation ?
A .C. : « Bien sûr. Il faut aussi que le parent remette en question une certaine ferveur compulsive. On prend en compte le regard des autres dans le magasin. On achète trop, souvent parce que c’est trop dur de dire non aux petit·es. On a peur de les frustrer. On transpose la situation à notre propre enfance, durant laquelle, nous aussi on était tellement heureux de repartir avec un petit cadeau. Pourtant, on connaît nos enfants. On sait la vitesse à laquelle ce jouet sera oublié. La vitesse à laquelle il va perdre tout intérêt. Pour les parents pour qui c’est trop dur, on peut préparer son enfant. Et occuper son cerveau, par exemple, en lui confiant une petite mission. ‘Tu vois, on va dans ce magasin pour trouver un cadeau à Milo. On va lui acheter ce jeu de carte génial avec des lapins dessus. Je compte sur toi pour m’aider à le trouver, hein ?’. On peut gagner beaucoup de temps à les préparer ainsi. Et même si ça ne fonctionne pas, que votre enfant se roule par terre, que le poids du regard extérieur est pesant, souvenez-vous : c’est le parent qui décide. Dire non, c’est un super cadeau qu’on fait. »
POUR ALLER + LOIN
Parlons peu, parlons aménagement
Le rangement des jouets, on en parle avec Aby Camara, au profil multiple. Directrice de sept crèches Montessori, fondatrice de la société Hochet, distributrice de jouets estampillés Montessori également, formatrice et coach en aménagement de chambres d’enfant, cette maman en connaît un rayon sur le sujet. Voilà, selon elle, les grands préceptes.
- De le place. D’abord, il est important laisser un espace central dégagé qui va servir à tout un tas de choses, notamment à étaler ses jouets. Il faut donc privilégier la liberté de s’installer. Pour les jeux, oui. Mais aussi pour dessiner par terre, s’allonger, écrire, rêver.
- Des étagères visibles et accessibles. Autre grand précepte ? Optimiser la chambre le plus possible pour y installer des étagères. Surtout pas de bac, car ça enlève tout intérêt pour l’enfant. Il y a comme un melting-pot qui fait qu’il ou elle s’y intéresse de moins en moins, voire plus du tout. Nos chers bambins veulent tout, tout de suite. C’est comme ça qu’ils et elles fonctionnent. Ces étagères de jouets doivent être visibles. Depuis le lit, depuis le fauteuil, il ou elle a en face tout un tas de choses, d’affaires qui vont lui donner envie d’aller explorer selon l’envie du moment.
- Pas de doublons. Dans cette même logique, mieux vaut éviter le plus possible qu’il y ait tout un tas de choses. Par exemple, vous pouvez essayer d’éliminer les doubles exemplaires. La super grosse voiture dans laquelle on peut mettre des poupées ou autres figurines ? Génial. Mais il doit n’y en avoir qu’une seule comme ça. Un enfant n’a d’intérêt que pour un seul objet. Les multiplier, c’est rendre le choix plus complexe. Or, celui-ci doit se faire de manière simple et immédiate.
- Une seule fonction. Chaque objet doit avoir une utilisation simple et évidente. Par exemple un instrument de musique ? On va tambouriner, souffler, pianoter. Mais sur un clavier rempli de formes, qui fait plein de bruits, qui a plein de couleurs, si la première approche est trop complexe, elle finira vite par ne plus intéresser l’enfant.
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