Vie pratique

Protégeons les enfants des violences conjugales

L’ONE mène en ce moment même une campagne trop discrète, sur un sujet qui l’est tout autant. Les violences conjugales et leur impact catastrophique sur les enfants. L’idée n’est jamais de condamner, mais de comprendre dans quel schéma tombe le couple, l’exhortant à en parler, pour pouvoir en sortir, dans l’intérêt de l’enfant. On regarde cette réalité bien en face, avec la passionnante Marine Noel, qui gère cette campagne côté ONE avec beaucoup de justesse.

C’est une attention qui a été portée immédiatement, dès l’annonce du premier confinement en mars 2020. Tant les violences dans le couple que celles infligées aux enfants. Elle a été posée à plusieurs niveaux, des sphères professionnelles et militantes jusqu’au grand public. Espérons que cette vaste opération de prévention aura porté ses fruits. Impossible à dire pour le moment. Ce que l’on sait, c’est que 29,5 % des prises en charges en 2019 des équipes SOS-Enfants - la branche maltraitance de l’ONE - concernent cette problématique. Les violences conjugales ont un impact sur la santé et le développement de l’enfant, pourquoi n’est-ce pas toujours clair dans les esprits ?

Marine Noel : « Très souvent, quand on est parents, dans cette situation, on se dit : ‘Ça va, il ou elle n’a pas entendu’. L’enfant est dans une autre pièce, occupé. Puis on met du temps à se rendre compte de l’impact des violences au sein du couple. D’abord parce qu’on ne veut pas se l’avouer. On se dit que ce terme très générique de ‘violences conjugales’, ce n’est pas à nous qu’il s’adresse. Qu’il concerne d’autres catégories sociales, d’autres parentalités, d’autres genres. C’est très insidieux, le couple est tellement pris dedans qu’il se dit que toute cette définition des violences ne le concerne pas. »

Comment peut-on décrire ce qu’un enfant ressent en un mot ?
M. N. :
« Clairement, c’est le sentiment d’insécurité qui prédomine. Cette insécurité a d’ailleurs des conséquences multifactorielles, tant au niveau de la santé physique que psychique. L’enfant est entraîné malgré lui dans le cycle des violences de ses parents. Elles se font par phases. Sans même avoir conscience d’être tombé dedans, le couple va répéter des cycles. »

Pouvez-vous nous les décrire, ces cycles ?
M. N. : « D’abord, il y a le climat de tension. La victime fait tout bien pour ne pas provoquer les foudres de sa moitié. L’enfant agit de la même façon. Il fait tout ce qui est son pouvoir pour ne pas provoquer de tension. Surviennent alors les épisodes de violences. S’ensuit l’état de choc, la sidération. Là encore, tant chez la victime que les enfants. Ces derniers vont s’en vouloir de ne rien faire. Ils ont un sentiment d’impuissance. ‘Je dois intervenir. Je dois sauver la situation’. ‘C’est parce que j’ai fait ça, que ça se passe mal. C’est de ma faute’. Ce sont des réactions primaires face à un évènement choquant, soit on attaque, soit on se fige. Une vraie angoisse.
Mais le cycle ne s’arrête pas aux épisodes violents. La phase d’après, c’est tout ce qui concerne la justification et le doute. Au sein du couple, on va dire : ‘Tu sais, si je me suis énervé·e, c’est à cause de toi’. Mille et une raisons vont culpabiliser la victime. L’auteur·e des violences peut allégrement déformer la réalité. Au fur et à mesure, il ou elle va convaincre l’autre que c’est sa vision qui colle aux faits. De son côté, l’enfant ne comprend pas ce qui se passe. ‘Hier, j’étais roulé en boule dans mon lit, aujourd’hui, c’est calme’. Il ressent une grande confusion. Cette incompréhension renforce ce sentiment d’insécurité. Puis, la dernière phase, celle de la lune de miel. Dont le moteur est la culpabilité. L’auteur·e l’a emporté sur l’autre et redouble de petites attentions : des fleurs, des croissants sur la table, des mots gentils… Il règne une fausse harmonie. L’enfant sent évidemment qu’il y a anguille sous roche. Je trouve ce terme de ‘lune de miel’ bien choisi. Parce qu’il fait écho au couple. Pas à la famille. Et justement, pendant cette phase, l’enfant est mis de côté. Il bénéficie de moins d’attentions. On l’envoie chez papy ou mamy, chez des copains. Il éprouve un conflit de loyauté. Il sait que cette harmonie est éphémère, qu’un danger somnole. Et il a raison, puisque le couple retombe systématiquement dans le cycle. »

Ce que vous décrivez est inhérent à toutes les violences conjugales, le système est le même dans tous les foyers ?
M. N. : « Dans une immense majorité de cas, oui. Ce que l’on sait avec exactitude, c’est que plus le cycle se répète, moins il y a de temps entre les épisodes. C’est une spirale qui s’accélère. Bien souvent, le couple est coincé dans ce cycle. Il aimerait agir autrement, mais retombe toujours dans ce schéma. Il y a évidemment différents degrés, différentes violences. D’ailleurs, on emploie ce terme quand un des partenaires va prendre le dessus. L’objectif, c’est de prendre le pouvoir sur l’autre. Pour prendre cet ascendant, il existe plusieurs manières : la violence verbale ou psychologique, le chantage, l’humiliation, les menaces. L’auteur·e va plus loin ou pas en fonction des réactions. L’autre répond, ne se laisse pas faire ? Alors on monte en puissance. On contrôle l’autre. Financièrement. Numériquement. Administrativement aussi, on confisque des documents. On isole la victime. On l’empêche de se rendre à un rendez-vous médical, à une visite ONE, par exemple. Puis, bien sûr, quand on évoque les violences, on pense évidemment à celles physiques et sexuelles. De la gifle au viol, en passant par les armes. Tout ça peut prendre des années à se mettre en place. L’insécurité peut durer des mois, des années, avant que les premiers épisodes violents ne se mettent en place. Toute une série de facteurs vont influencer ça, ils sont propres à chaque situation de vie. Les réactions des enfants sont très différentes. Elles dépendent de la capacité qu’ils ont à s’exprimer. Ils n’ont pas toujours les mots à mettre sur les émotions. Souvent, chez eux, le ressenti passe par le corps. »

À quoi peut-on être attentif pour agir ?
M. N.
 : « Par rapport au cycle que j’ai décrit, c’est souvent après des épisodes de violence que la victime donne quelques indices. Ça peut passer par l’entremise de phrases comme : ‘C’est difficile avec le petit en ce moment parce que mon mari est nerveux’. Au niveau de l’enfant, à l’occasion de la campagne, nous déclinons justement tous les petits trucs qui permettent de comprendre ce qu’il se passe de la naissance à 2 ans, de 2 à 5 ans, de 6 à 11 ans, de 12 à 14 ans et de 15 à 18 ans, en expliquant chaque fois quels sont les impacts sur la relation à l’autre, les apprentissages, le développement physique et les comportements (voir encadré). »

Vous avez une approche assez inédite, jamais dans vos informations vous ne culpabilisez les auteur·e·s de violences. Pourquoi ?
M. N. : « En effet. Nous préférons responsabiliser plutôt que de culpabiliser. Toutefois, c’est bien parce que l’auteur de violences conjugales agit comme tel que l’enfant comme l’autre parent en subissent les conséquences. Notre volonté, c’est de libérer la parole. 1 femme sur 20 a subi des violences très graves au cours des derniers mois. 1 homme sur 50 seulement en parle. Les hommes qui subissent des violences conjugales ont nettement moins de ressources que les femmes pour se confier. L’idée n’est pas de dire nous allons vous acculer, mais bien de vous donner des ressources pour être accompagné. Remobiliser les familles pour qu’elles soient prises en charge et puissent s’en sortir. On leur explique que ces actes n’enlèvent en rien leurs compétences parentales, même si elles ont un impact sur celles-ci. Il s’agit de les remobiliser. On mise sur le fait que c’est par cette porte d’entrée que le couple va vouloir se faire aider et accepter d’être pris en charge. Il s’agit d’un long processus pour les familles prises dans les violences. »

C’est par un prisme constructif et positif que l’on va s’en sortir ?
M. N. : « C’est en prenant connaissance du mécanisme des violences, en les regardant en face qu’on peut commencer à prendre du recul sur celles-ci. Il est essentiel d’en parler, de ne pas rester seul, de faire appel à des personnes de confiance (entourage ou professionnels). De nombreux enfants confrontés aux violences conjugales trouvent les ressources pour se reconstruire (amitié, entourage, …). »

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