Vie pratique

Quand la guerre s’invite au sein de la tribu

La guerre en Ukraine, faut-il en parler avec les enfants ? La réponse, c’est oui. Parce que, de la cour de récré aux réseaux sociaux, ce genre d’actualité ne leur échappe pas. Un accompagnement parental, tout en finesse, s’impose.  

« Mon petit de 6 ans a peur que les soldats viennent le chercher à l’école ». Cette maman partage son expérience sur notre page Facebook sous le post « Comment parler de la guerre aux enfants ? ». Elle n’est pas la seule. En commentaires et en messages privés, d’autres parents font le même constat : la guerre en Ukraine s’est invitée dans les cours de récré et dans l’imaginaire de leur tribu. Souvent, c’est un certain désemparement parental qui s’exprime. Singulièrement du côté des papas et mamans qui pensaient avoir préservé leurs petites et petits de cette guerre en Ukraine.
Pour certains parents, en effet, l’objectif était de couper complètement leurs enfants de cette actualité. « On éteint la télé, confie cette lectrice. Et on laisse les enfants en dehors du climat anxiogène et ambiant. Ils ont déjà tellement subi depuis deux ans ».
La bonne solution ? Nous posons la question à Monique Meyfroet, psychologue. « Il est difficile de préserver les enfants de cette guerre à 100%. Et donc on ne peut pas les laisser tout seuls avec ça. C’est trop lourd. Pour les adultes, c’est déjà difficile. Dès qu’on est plusieurs, on se met automatiquement à parler de ça. On essaye d’y voir clair, de décharger nos émotions. Il faut pouvoir le faire pour les petits ».

« Même si vous ne pouvez pas promettre à votre enfant qu’il n’y aura pas la guerre, vous pouvez lui promettre que vous ferez tout pour le protéger » 

Si le parent n’aborde pas le sujet, c’est la cour de récré qui le fera, ou une vidéo sur YouTube. « Tout cela restera entre eux, et pas toujours sous le contrôle d’un adulte qui pourrait éventuellement rectifier certaines choses ». Pour illustrer les propos de la psychologue, le témoignage de Véronique.
« Mon fils de presque 7 ans nous a directement posé beaucoup de questions. Dès le premier jour, ils en ont parlé dans la cour de récré, un copain lui avait dit que la Russie avait attaqué la Belgique. On a donc corrigé en expliquant que c'était l'Ukraine et non la Belgique. Nous avons expliqué que le chef de la Russie souhaitait avoir un plus grand pays, mais que les Ukrainiens ne veulent pas, ce qui est normal. Il avait ensuite des craintes que la Russie veuille aussi envahir la Belgique, on lui a alors expliqué le principe de l'OTAN. Du coup, dès qu'il entend le nom d'un pays, il demande maintenant si ce pays fait partie du groupe de gentils qui nous défendent. Dès qu'il entend les mots guerre-Ukraine-Russie à la radio, il nous demande de mettre plus fort pour écouter ce qu'il se passe. D'un autre côté, s’il entend les mots décès-morts, il demande de changer. On essaye donc de ne pas regarder les JT ou de ne pas mettre les journaux à la radio, pour qu'il ne soit pas confronté à ces décomptes. Mais on répond à ses questions quotidiennes. »

Trouver les ressources

Tout est une question de dosage et de dialogue. Concernant les images diffusées à la télé, Monique Meyfroet préconise la vigilance. Il ne faut pas exposer les enfants à des images impensables. Mais, s’il faut les préserver de visuels trop violents, il faut surtout leur parler.
« Ce dialogue est nécessaire, car ils vont entendre des choses qui risquent d’être plus douloureuses s’il n’y a pas l’accompagnement parental. Les enfants sont très à l’affût de ce qui se dit autour d’eux, surtout lorsqu’ils sentent qu’ils sont écartés de la discussion. Ils piqueront des choses au vol, ne comprendront pas tous les mots, ni le sens des phrases. Résultat, ils ne verbaliseront rien et garderont cela pour eux. Si on est mal tout seul et qu’on ne peut pas en parler, ça peut faire des ravages ». En parler, d’accord, mais comment ? Cette maman expose son cas, en toute transparence.
« Très compliqué pour ma fille de 9 ans. Ils ont regardé le JT pour les jeunes en classe et dans la discussion, il a vraisemblablement été question de troisième guerre mondiale. Elle est revenue paniquée, en pleurs même. Ce qui est difficile pour nous, c’est qu’on ne peut pas promettre que tout va s’arranger et qu’il ne nous arrivera rien. C’est un peu lâche, mais depuis cet épisode, on évite d’en reparler ou d’écouter les infos en sa présence. On se sent vraiment démuni. »
D’autres parents nous laissent entendre que leurs connaissances géopolitiques sont limitées et qu’ils ne sentent pas de taille à expliquer les choses. C’est toute la difficulté de cette mission parentale. Mais elle est partagée par tout le monde, qui peut prétendre avoir l’explication définitive, qui peut prédire l’avenir ? Personne. Même les expert·es n’ont pas toujours les mêmes points de vue quand on les interroge.
« Il faut montrer qu’on est assez solide pour le faire, glisse Monique Meyfroet. Parce que les petits enfants qui ressentent que c’est trop difficile pour le parent d’évoquer le sujet ne vont pas l’interroger. Tout cela pour le protéger. Ils ont besoin de la solidité de leurs parents. »
C’est peut-être l’occasion de renforcer les connaissances de la famille sur le sujet en allant consulter, ensemble, une carte du monde, regarder où se trouvent les frontières de la Russie, de l’Ukraine. Et de construire une petite explication simple, basique, en se référant à des médias pour les plus jeunes comme les Niouzz ou le JDE.

Explication et réconfort

Cette autre maman explique comment le sujet est venu sur la table. Son grand de 7 ans est rentré de l’école en demandant si c'était vrai que « les Russes allaient attaquer Bruxelles ». L’explication qui suit est assez inspirante.
« Je me suis contentée de dire que depuis sa naissance et bien avant, il y a des Hommes qui se font la guerre et que beaucoup ont dû fuir leurs pays, mais qu'on en parlait pas beaucoup. Je lui ai dit qu’il n’y avait pas un méchant contre un gentil. Que c’était des histoires très compliquées, même pour les adultes, et qu’on était chanceux de vivre en paix et qu'il fallait aider ceux qui n'ont pas cette chance. »
La fin de cette intervention est intéressante, elle rencontre une des pistes amenées par Monique Meyfroet. « Il faut les impliquer dans les choses constructives. Faire des courses et acheter des choses pour les familles qui sont touchées par la guerre. Associer les enfants à ça permet de ne pas rester uniquement dans le négatif ».
Au-delà de l’explication, les parents apportent le réconfort, c’est essentiel. « Je ne crois pas qu’on puisse rassurer bêtement, précise la psychologue. Dire ‘Tu vas voir, ça va aller’, sans rien d’autre, ça va sonner creux et l’enfant va avoir plus peur ». Une position partagée par cette maman d’une grande fille de 11 ans.
« Même si vous ne pouvez pas promettre à votre enfant qu’il n’y aura pas la guerre, vous pouvez lui promettre que vous ferez tout pour le protéger. Un enfant n’est pas l’autre. Un aura besoin de réponses, l’autre ne se rendra pas forcément compte de ce qui se passe. Avec ma grande de 11 ans, j’ai dû faire un cours de géopolitique et lui dire que non, je ne savais pas ce qui allait se passer, mais que oui, je ferai tout ce qui était en mon pouvoir pour la protéger. Et ça, ça l’a rassurée. »
Reste à identifier le bon moment et la bonne manière pour en parler. Une question d’âge ? Peut-être, pour l’emploi des mots et la profondeur des explications. Monique Meyfroet, elle, attache plus d’importance au « style » de l’enfant.
« Il y a des enfants qui sont très anxieux dès le départ. D’autres ont une attitude légère, moins dramatisante. On peut remarquer quand un enfant est troublé par quelque chose, il montre des signes de fébrilité. Que ce soit par des comportements de type angoisse, inquiétude. Il fait des cauchemars. Certains adoptent des positions de repli, d’autres s’énervent, provoquent. On peut alors demander : ‘Tiens, qu’est ce qui te préoccupes ? Tu n’es pas comme d’habitude. Est-ce que tu veux qu’on en parle ?’ Si ces moments-là sont importants, il ne faut en faire des instants trop sacralisés, du genre ‘Je vais te dire des choses importantes, on va s’asseoir, je vais te parler’. Ce n’est pas à faire. Il faut plutôt évoquer cela au détour d’une conversation. Bref, on partage, mais dans une forme banalisée, pas cérémonieuse ».

DÉCODAGE

« La guerre est à nos portes »

 Cette phrase, elle fait chaque fois tressaillir Monique Meyfroet. Elle se met dans la peau d’un petit enfant. « Un enfant de 4 ans qui entend cela pense que lorsqu’il va ouvrir la porte, il y aura des soldats derrière. Ils n’ont pas cette capacité de relativiser. Ils sont autocentrés. Quand ils entendent ‘C’est la guerre’, ils se disent ‘C’est la guerre, ici, maintenant et pour toujours’. Voilà comment ils décodent. Les petits enfants ne peuvent pas se décentrer d’eux-mêmes. Les parents doivent le faire pour eux : ‘Quand je te dis qu’il y a une guerre, ce n’est pas ici, soyons clairs. Nous sommes loin de ça. On est proche des victimes de la guerre parce qu’on est humain et sensible. Comme quand tu t’inquiètes pour un ami qui est malade’ ».

« On joue à Poutine ? »

Interrogation de cette maman qui a entendu ses neveux jouer à « Poutine et aux Ukrainiens ». Faut-il intervenir, empêcher les enfants de jouer à cela ? Monique Meyfroet met en garde. « Le jeu, c’est une manière d’exorciser. Dans les années 90, des enfants jouaient à Dutroux. Parce qu’ils essayaient de comprendre, de s’approprier le fait que quelqu’un faisait des choses horribles, même pas imaginables. C’est une tentative. L’enfant dans ses jeux utilise toujours son imaginaire, part parfois du réel, même si celui n’est pas toujours joli. Alors, on peut intervenir, oui, mais pas interdire. Leurs jeux, peuvent servir, le cas échéant, de point de départ à une discussion ».

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