Vie pratique

Bien sûr, le numérique a déjà gentiment pointé le bout de ses circuits imprimés dans les Ligueur des décennies précédentes. Mais, cette fois-ci, c’est le haut débit qui prévaut. Entre innovation et crainte, réseaux sociaux et appel à la prudence, le Ligueur devient très numérique. Sur le fond et sur la forme.
Au début de l’année 2008, un entrefilet vient se glisser dans un article consacré aux blogs qui se multiplient comme des petits pains bibliques sur la toile devenue messie de la liberté d’expression et de la démocratie participative. C’est que la nouvelle mérite d’être livrée. Le Ligueur va franchir le pas et « emprunter une nouvelle route, celle du bimédia, l’hebdomadaire papier et électronique ».
En quelques lignes, le défi est posé. « À l’heure du blog, formidable vecteur de la parole de chacun d’entre nous, la presse et ses journalistes ont un énorme défi à relever : distinguer l’information de la communication et l’opinion. Cette information doit plus que jamais être triée avec honnêteté, replacée dans son contexte, distanciée, vérifiée… Le Ligueur s’engage à produire cette information qui doit en dire plus et mieux tout en rassemblant les paroles des uns et des autres. Rendez-vous en ligne très bientôt ».
Trois numéros plus tard, l’enfant numérique est porté sur les fonts baptismaux du web. Il se nomme « www.citoyenparent.be ». Pourquoi ce nom ? « Vous voilà, vous parents, les principaux acteurs de la société, de ses progrès. Nous proposons de relever avec vous ce défi en vous accompagnant dans la réflexion autour de ces questions communes afin que chacun trouve la réponse en fonction de son vécu familial ».
En clair, si le numérique doit être investi par le Ligueur, c’est de façon volontaire et (co)constructive. Une ligne de conduite que l’on retrouve tout au long de ces dix années où les connexions digitales s’incrustent dans le cocon familial. Deux raisons majeures à cela. Le développement des réseaux sociaux et l’arrivée des smartphones, deux tendances lourdes, indissociables de la montée en puissance de deux marques : Facebook et iPhone.
Un futur si proche
Eh oui, difficile à croire, mais Facebook et les smartphones n’ont pas toujours fait partie de notre quotidien. Si le réseau social emblématique existe depuis 2004, ce n’est qu’à la fin des années 2000 qu’il colonise internet. D’abord limité aux populations universitaires (Harvard, Columbia, Yale…), Facebook rentre partout, y compris dans les familles où cette arrivée est analysée dans de nombreux articles du Ligueur. L’iPhone, lui, a encore du lait derrière les oreilles. Sa première version a été lancée en juin 2007, le nouveau modèle suit en juillet 2008. Ces deux innovations vont alimenter, dans une proportion énorme, les pages du Ligueur. Feuilletons cela.
En janvier 2008, l’iPhone s’invite dans les colonnes du Petit Ligueur (l’actualité racontée aux jeunes). Même si le coût de l’appareil est pointé du doigt, les avantages identifiés se déclinent en utopie. « Se promener dans la rue en téléphonant et en surfant sur internet, on croit rêver. Cette nouveauté un peu incroyable ressemble probablement à ce que sera notre quotidien dans quelques années ». Bien vu !
N’empêche, au Ligueur, il y a comme une petite lampe rouge qui clignote. Chez les parents, cette hyper-connectivité en puissance inquiète. Cela va vite, trop vite. Mireille Pauluis, psychologue, se fend ainsi d’un papier où elle suit des ados de 12 ans, scotchées à leur GSM. « Cette saturation de contacts ne leur permet pas de faire l’expérience du silence, de ce temps de liberté ou tout est possible, où tout peut s’imaginer, où elles peuvent se réjouir de leurs retrouvailles en se préparant le cœur ». Un temps d’arrêt. Pour penser. Pour rêvasser. La belle idée.
Accompagnement nécessaire
Se pose aussi la question des GSM à l’école. L’interdire ou pas ? Le débat fait rage. Au Ligueur, on préconise un code de bonne conduite élaboré par les parents et les enseignant·es. Car une interdiction pure et simple deviendra de plus en plus difficile. « La convergence numérique vise à rattacher téléphone, internet et télévision au même réseau et au même outil. Les GSM du futur deviendront indispensables. Il sera de plus en compliqué de les interdire à l’école ou de les confisquer ». Encore bien vu !
À la même époque, le psychiatre Serge Tisseron se lance sur le sujet. Il est bon que les parents accompagnent leurs enfants dans le monde virtuel. « Il est essentiel que les plus de 40 ans se mettent à l’écoute des jeunes pour mieux comprendre les nouvelles technologies. Ils feront ainsi d’une pierre deux coups : en se familiarisant avec elles, ils verront leur relation à leurs enfants s’enrichir ». Cette sortie ne vous est pas étrangère, normal, c’est un des mantras du Ligueur : apprivoiser plutôt que subir. Ce que relève aussi Serge Tisseron, c’est le risque de fracture numérique. Qui peut être générationnel. Mais aussi plus social. En 2009, le Ligueur assiste à des ateliers numériques labelisés par la Région wallonne. Il se réjouit de voir des initiatives qui accueillent les « exclus de la société numérique ».
Vitesse et réflexion
En parcourant les pages de cette décennie, on est toujours confronté à cette dualité entre cette volonté de prendre le temps (pour se poser, réfléchir…) et ce constat que tout s’emballe. L’irruption de Facebook dans la vie des familles ne déroge pas à la règle. Au-delà du cadre juridique pas toujours adapté, « le droit mue lentement », il y a les nouveaux standards familiaux à fixer et à faire respecter au sein de la tribu. Là encore, la complicité est de mise. Le Ligueur écrit : « Quand les enfants sont plus grands, l’ouverture d’un compte sur Facebook est un bel exercice pratique à accomplir ensemble ».
En 2012, le Ligueur fait ainsi œuvre utile en traitant de la thématique dans l’« Actu jeunes » qui s’est progressivement substituée au Petit Ligueur trois ans plus tôt. Il prévient, c’est convivial, certes, « mais Facebook est une entreprise comme les autres qui cherche à se développer et à être toujours plus puissante et plus riche ». Bref, gare à ce qu’on publie ou partage. Le Ligueur renchérit l’année suivante, mettant en garde contre « l’exploitation des données » sous le couvert du gratuit.
En guise de conclusion, cette petite phrase du philosophe Michel Serres que publie le Ligueur au début de l’année 2010. Il est question du PC qui a pour lui la rapidité et une mémoire infinie. Et de l’humain, à qui il reste l’inventivité, l’intuition, l’imagination. « Nous sommes condamnés à devenir intelligents ». À l’heure où l’intelligence a plutôt tendance à être accolée à l’adjectif « artificielle », cette réflexion est particulièrement inspirante. Tout comme celle d’Édouard Delruelle, professeur à l’Université de Liège, qui insiste sur un point, celui du crédit à accorder aux jeunes générations : « Il faut transmettre, tout en faisant confiance à l’autonomie au sens propre, c’est-à-dire à la capacité à produire soi-même des règles ». Chaque génération réinventant ses valeurs. Le Ligueur porteur de débats et réflexions ? La mission est clairement remplie dans cette décennie numérisée.
ZOOM
L'ombre des attentats
On le voit dans la ligne du temps ci-dessous. La décennie est marquée par les attentats. Dans le Ligueur, cette actu chaude n’est pas évoquée directement, mais est abordée via l’inquiétude des parents. Notamment dans le premier numéro de l’année 2016 entre les attentats de Paris et ceux de Bruxelles. Les parents y parlent des réactions de leurs enfants, parfois perturbés, notamment dans la foulée de la période d’alerte maximale décrétée sur Bruxelles en novembre 2015. Les incertitudes s’invitent au quotidien, parfois les cauchemars et l’angoisse s’immiscent dans la tribu. Tout cela amplifié par la pression de l’info en continu ainsi que par la peur entretenue par les préjugés et les discours populistes.
Dans un numéro d’août 2016, un lecteur se veut assez sombre. Les Attentats de Bruxelles sont passés par là. « Pour la rentrée, j’ai lu le témoignage d’un papa qui disait qu’il glissait quelques petits outils type couverture de survie, snacks, lampe. Il parlait même d’un couteau suisse et ça, ça fait peur ! C’est moche de devoir penser à ça ».
Cela dit, il y a aussi, souvent, des partages d’expérience plus positifs comme celui de cette maman qui découvre le potentiel apaisant de son fils de 6 ans. Le Ligueur analyse : « Des parents nous l’ont dit : les enfants les rassurent grâce à leur belle dose d’insouciance tout en intégrant la gravité de la situation ».
LA VIE DU LIGUEUR
Nouveau rythme, nouveaux bureaux
Outre l’arrivée du site internet évoqué ci-contre, plusieurs changements majeurs marquent le magazine en cette décennie. C’est que la crise commence à se faire sentir et il faut réduire les coûts.
- À l’été 2008, le Ligueur et la Ligue des familles quittent les bâtiments historiques de la rue du Trône pour investir un immeuble, tout proche, à l’avenue Émile de Béco.
- En mars 2009, le Ligueur quitte le rythme hebdomadaire et paraît désormais tous les quinze jours.
- En août 2013, il opte pour un nouveau changement de format. Très proche de l’actuel, plus compact. Au niveau du fond, l’environnement prend peu à peu ses quartiers avec des rubriques dédiées. Enfin, on notera que l’adresse de la rédaction a changé.

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