Loisirs et culture

4-12 ans : je pense, donc je lis

Le livre jeunesse peut également aborder des questions existentielles avec intelligence et talent

Si le livre de jeunesse est d’abord destiné à procurer un pur plaisir de lecture, sans arrière-pensée éducative, pédagogique ou morale, il aborde également des questions existentielles avec intelligence et talent. Nous en prenons pour preuve le succès croissant des ateliers philosophiques pour enfants.

C’est à Visé, plus précisément à L’Oiseau-lire, une des plus anciennes librairies belges, que nous rencontrons Catherine Dusoulier. Elle y organise régulièrement des ateliers philo depuis septembre 2021, le samedi en matinée, pour des enfants de 8 à 12 ans. Un des derniers thèmes abordés : « Le hasard existe-t-il ? », décliné de manière concrète en sous-questions comme « Comment expliquer ce qui nous arrive ? Est-ce dû au hasard ? Est-ce dû à une puissance supérieure qui décide de tout ? Y a-t-il une explication scientifique à tout ? Etc. ».
Les raisons de s’interroger ne manquent pas et nos enfants ne manquent pas de nous le rappeler quand ils nous lancent : « Est-ce que le premier homme avait une maman ? Où j’étais avant de naître ? Pourquoi il y a des méchants ? Pourquoi il y a des pauvres ? ».

Réfléchir et grandir ensemble

Après avoir donné cours de religion dans des écoles communales pendant des années, Catherine Dusoulier a suivi une formation de cours de philosophie et de citoyenneté (CPC) en Haute École. « Cela a été une révélation pour moi, s’enthousiasme-t-elle, quelque chose d’extraordinaire qui donnait sens à mon enseignement, avec un retour des enfants qui disaient que l’on travaillait différemment, qu’on apprenait tous ensemble, sans compétition, pour construire et grandir ensemble ».
Catherine Dusoulier suit dans la foulée des formations à la Philocité à Liège, puis au Centre d’Action Laïque (CAL) en Brabant wallon, et enfin le Certificat universitaire aux pratiques philosophiques pour enfants à Liège. À l’avenir, elle envisage de suivre la formation par internet de l’université de Laval au Canada, fort axée sur la littérature de jeunesse pour ateliers philo. Elle met ses apprentissages en pratique au sein de ses classes, mais aussi à la librairie L’Oiseau-lire car, explique-t-elle, « j’avais très envie de les appliquer dans un contexte hors scolaire sans la contrainte du programme et de l’objectif citoyen, mais dans le but de donner du plaisir aux enfants ». Raison pour laquelle elle utilise la littérature de jeunesse comme point de démarrage de ses ateliers.
« Quand on leur lit un livre, les enfants sont émerveillés, de la première à la sixième année. C’est un cadeau qu’on leur fait et ils le rendent bien parce qu’ils sont demandeurs. L’offre en livres de jeunesse est devenue extraordinaire, sur des thèmes très diversifiés. Pour mes cours, je pars de la demande de mes élèves, c’est eux qui me guident et je leur apporte les supports. »
Les ateliers à la librairie sont bien évidemment très différents : ils durent deux heures, ne sont pas liés aux impératifs d’un programme, les participants choisissent d’y venir, proposent les thèmes…
« Leurs choix sont assez classiques aux yeux d’un adulte, comme l’amour, l’amitié, le bonheur, mais c’est important pour eux d’en discuter avec des enfants de leur âge. Je ne prends pas part à leurs discussions, je suis simplement là pour amener les supports, les guider dans leurs raisonnements, sans qu’il y ait de jugement. Je ne suis pas là pour donner mon avis. Ils sont conscients qu’ils ont des avis différents définis par l’expérience de vie, des avis différents aussi de ceux de la famille. Le but est de développer un esprit critique pour leur apprendre à penser par eux-mêmes. Si on n’est pas d’accord avec quelqu’un, c’est avec son idée, pas avec la personne. C’est important pour eux et c’est ainsi que la société devrait se construire, je trouve. Sans esprit de compétition. », explique Catherine Dusoulier.
Parmi d’autres sujets venus au fil de leurs rencontres, il y a eu les fake news, la vie sous les Talibans abordée à partir du dessin animé Parvana autour d’une petite Afghane, le professeur poignardé en France… « Ils ne comprenaient pas. Cela les touche vraiment, car ils en entendent parler à la télé et n’ont pas toujours un lieu pour en parler. Il y a aussi des questions plus liées à leur quotidien : la notion de justice par exemple. Pourquoi est-ce que je ne peux pas aller dormir aussi tard que mon grand frère ? Pourquoi les adultes peuvent-ils faire telle chose et pas enfants ? ».

Tou·tes philosophes

« Le mot philosopher fait peur, constate Catherine Dusoulier, même à certain·es adultes qui pensent que ce n’est pas fait pour elles, pour eux ou leur enfant. En France, la philosophie fait partie de leur culture et de l’enseignement depuis longtemps ». Avec le cours de CPC mis en place en 2015 en Fédération Wallonie-Bruxelles, la discipline se développe progressivement chez nous. Des livres pour enfants paraissent sur le sujet (lire encadré). Des maisons d’édition comme L’école des loisirs ont créé des fiches pédagogiques sur différents thèmes comme Obéir/Désobéir, à partir des albums On a volé Jeannot lapin de Claude Boujon et C’est pas grave de Michel Van Zeveren ou Fille ? Garçon ? Ni l’un, ni l’autre ?, à partir de Julian est une sirène de Jessica Love et Thomas et la jupe de Francesco Pittau.
« J’en ai moi-même réalisé une pour les éditions Sarbacane sur la violence, la souffrance, la colère et la tristesse à partir de l’album Cours ! de Davide Cali, ajoute Catherine Dusoulier. J’ai un autre projet sur le thème de mentir. »
De plus, l’enseignante a créé une page Facebook, Ces livres qui font grandir, fréquentée par plus de mille personnes. Faite pour échanger et partager, on y trouve des conseils de lecture sur divers thèmes, des fiches pédagogiques. « Cette démarche, c’est aussi une manière de mieux connaître son enfant d’une façon dont on ne se rend pas compte », conclut Catherine Dusoulier.

DÉCOUVRIR

Philéas & Autobule

Le Ligueur a souvent mentionné cette incroyable revue pour enfants philosophes : Philéas & Autobule. Tous les deux mois, un numéro thématique stimule la pensée de nos enfants et parie sur leur intelligence. Celui de février abordait une question ô combien essentielle pour développer un esprit critique : Pourquoi tu doutes ?, avec notamment une approche des deepfakes.
Celui d’avril se consacre à un sujet d’actualités en ces temps de pandémie et de bouleversements climatiques : Où va la science ? Et ce 1er juin sort un numéro sur le thème de C’est quoi la liberté ? Ces thématiques sont déclinées via des récits, de l’art, des jeux (de mots), de la théorie (un peu) et des BD (beaucoup).
Impossible dès lors de passer sous silence dans cet article le lancement par Philéas & Autobule d’une nouvelle collection de livres jeunesse, en collaboration avec le Pôle Philo des services du Centre d’Action Laïque du Brabant wallon. Le premier album s’intitule Tout est si grand : chanson qui s’épanouit. Conçu comme un poème illustré, ce livre interroge la notion de changement lié au temps qui passe, au climat, aux saisons, aux mouvements ou déplacements.
Tout est si grand : chanson qui s’épanouit d’Isabel Minhós Martins déroule un jour de vacances d’été illustré par Bernardo P. Carvalhos. Mélanie Olivier, philosophe et animatrice expérimentée, complète cette approche artistique avec quatre pages d’activités philosophiques pour les 5 ans et plus.

À LIRE

La bibliothèque du petit philosophe

  • Les Petites Lumières. Ateliers de Philosophie pour Enfants de Chiara Pastorini (Hatier). Huit ateliers philo-art pour mettre en place des discussions philosophiques à la maison selon une approche Montessori adaptées à deux tranches d’âges, les 4-7 ans et 8-12 ans.
  • La série Piccolophilo de Michel Piquemal et Thomas Baas (Albin Michel Jeunesse). Sur différents thèmes comme C’est pas juste ! avec l’atelier philo de Piccolo en fin d’ouvrage pour échanger en famille (+ 5 ans).
  • Gaston, le petit garçon qui n’arrêtait pas de poser des questions de Gwénaëlle Boulet, Marie Aubinais, Matthieu de Laubier (Bayard jeunesse), avec à la fin de ce livre, vingt-quatre pages destinées aux parents.
  • Ateliers philo à la maison de Michel Tozzi et Marie Gilbert (Eyrolles), quinze ateliers à proposer à vos enfants dès 7 ans.
  • Les philo-fables de Michel Piquemal (Albin Michel). Soixante histoires courtes tirées de traditions du monde entier (8-9 ans).
  • Je philosophe donc je suis de Jamia Wilson et Andrea Pippins (Casterman). Vingt questions essentielles pour réfléchir la vie avec de célèbres penseurs (+ 10 ans).
  • Il n’y a pas d’âge pour philosopher d’Edwige Chirouter et Olympe Perrier (L’initiale).