Vie pratique

75 ans ! Ici, vous avez quelque chose de solide

Pour souffler ces 75 bougies, on appelle à la barre les rédacteurs en chef et rédactrices en chef toujours de ce monde. On a réussi le tour de force de toutes et tous les réunir. Bon, ils ne sont que deux. Myriam Katz, dont le règne s’étend de 1991 à 2019, et Thierry Dupièreux, grand Amiral du vaisseau Ligueur depuis un peu plus de quatre ans. Deux âmes parfois hantées par celles de leurs illustres prédécesseurs.

Ce matin-là, la rédaction n’est pas vraiment en mode grosse fiesta d’anniversaire. Une belle partie de l’équipage, en vacances, vogue sur des rives lointaines. Sur le pont, Thierry Dupièreux attend sa prédécesseuse qui remet pour la première fois les pieds dans le navire Ligueur depuis quatre ans. « C’est plus grand qu’avant, non ? ». Non. « C’est l’exact inverse de quand on revisite sa maison d’enfance une fois adulte où tout semble toujours plus petit », lui lance Thierry. « Bah voilà, c’est ça qui se passe quand on vieillit, tout s’inverse ». Les chef·fes ont entamé le dialogue. Paré·es à honorer la mémoire des 75 ans de ce journal qu’ils pilotent ou ont piloté. Tout d’abord, pourquoi c’est important ce travail de célébration ?

Myriam Katz : « Parce que la mémoire de la Ligue - Ligue des familles et Ligueur – a été abîmée. À un moment donné, profitant d’un déménagement, un directeur général s’est lancé dans un grand nettoyage. Il voulait se couper de l’Histoire. Plus de mémoire donc. Au risque de nuire à cette transmission qui se fait d’homme à homme ou de femme à femme. Et c’est vraiment dommage parce que la Ligue a eu de grands moments. Remporté des combats importants. Qui se sont développés, concrétisés, jusqu’à ce qu’ils soient repris par d’autres instances. Et ça, jusque dans les années 70. »
Thierry Dupiéreux : « Il est important, ce travail à partir des archives, c’est pour ça qu’on l’entretient numéro après numéro dans la rubrique des ‘Pépites’. Chaque fois, ce sont des morceaux d’histoire,  des points de vue spécifiques qui s’y développent. On y perçoit une vision du monde, on y débusque des prismes déformants liés à une époque. Ce travail a été entamé en 2019, avec en ligne de mire la célébration des 100 ans de la Ligue. Des festivités, hélas, tuées dans l’œuf par le covid. Néanmoins, à travers cette exploration des archives, j’ai réalisé à quel point le Ligueur jouait un rôle de mémoire pour la Ligue des familles. On traverse des combats ensemble. On relaie des constats, des inquiétudes, des propositions. On alimente le débat de notre démarche journalistique. Le Ligueur est riche de toute cette longue histoire. »

Comment le Ligueur, jadis journal « paroissial » de la Ligue des familles, devient-il média ?
M. K. :
« La Ligue des familles a réussi à un moment de son histoire à toucher à tout ce qui était lié à la famille. Un vrai syndicat des familles. Au-delà de ça, dans l’ensemble, pouvaient se nicher des projets tout à fait improbables. Portés tant par ses volontaires que par ses travailleurs et travailleuses. Le Ligueur n’y échappe pas. Dans les années 50, Jacques Biebuyck, premier rédacteur en chef officiel du Ligueur, est plutôt conservateur, mais il est surtout un intellectuel pointu. Il a un regard affûté sur les choses du monde. C’est un homme singulier. À ses côtés, Anne de Wouters a joué un rôle primordial. Ils faisaient, ensemble, le Ligueur dans leur coin. Ils publiaient les articles très revendicateurs de la hiérarchie de l’époque, mais les accompagnaient de papiers plus fouillés. »
T. D. : « Et très innovants. »
M. K. : « Oui. Ils menaient une sorte de guérilla. Ils se permettaient des choses originales tout en respectant le ton très syndical de la Ligue. »
T. D. : « Anne de Wouters apporte un côté à la fois disruptif et novateur dans les Ligueur de cette époque. Elle mène un vrai travail de terrain. Elle va au bout de la logique, elle incarne les revendications de la Ligue des familles. Elle les illustre. Elle donne la parole aux familles dans des thématiques qui se déclinent sous forme de feuilletons passionnants.»
M. K. : « Elle rendait les choses un peu plus vivantes. C’est à elle qu’on doit une approche un peu plus journalistique. Tout ça sans formation. Elle était dactylo au départ. »

On parle plus de famille que de parents à cette époque, pourquoi ?
M. K. :
« Le mot sacré, c’est ‘famille’. Avec un dénominateur commun évident à l’époque : toutes veulent être soutenues. Il ne faut pas oublier les bénévoles très présent·es, très actifs et actives sur tout le territoire. Le Ligueur doit leur ressembler. Petit à petit, le magazine devient un généraliste familial.  Dans les années 70, Marc Delepeleire, le rédacteur en chef qui va succéder à Jacques Biebuyck en 1974, va imposer sa patte. Il possède une véritable science du média. Il pense rubriques. Il ne veut pas ennuyer le lecteur. On crée même une page d’actu pour les enfants dans laquelle Marc espère que l’on puisse s’exprimer de façon un peu plus subversive. Thérèse Jeunejean, qui prend en main ce cahier - le Petit Ligueur -, met de côté l’aspect subversif pour en développer davantage l’aspect pédagogique. »

Cet aspect subversif, on le retrouve bien dans certaines décennies, je pense à la deuxième partie des années 70 jusqu’à la fin des années 80, non ?
T. D. :
« Oui. On se méfie de Reagan, de Thatcher… La toute-puissance américaine est regardée avec défiance avec des variations en fonction des  décennies. Si on craint l’atteinte aux bonnes mœurs et à la moralité venue d’outre-Atlantique dans les années 50, dès les années 70,  c’est plutôt la surconsommation à la mode US qui est dénoncée. Il y a un recul évident par rapport aux courants qui veulent s’imposer. Un esprit critique est toujours en éveil, sans pour autant tomber dans de l’oppositionnel pathologique. »
M. K. : « Le questionnement a toujours été de mise au Ligueur. De l’approfondissement, de la rigueur. On voulait distraire le parent du pipi-caca des langes et l’ouvrir aux bruits du monde. On voulait l’émanciper par la culture, le politiser dans le bon sens du terme, l’informer sur n’importe quel sujet susceptible d’en faire un citoyen éclairé. »
T. D. : « Et puis, il y a un côté avant-gardiste aussi. Je pense à Daniel Fano qui accorde énormément d’importance à la culture indépendante. Il sent l’époque et les incontournables de demain, jusqu’à faire la promotion d’une BD anti-militariste comme Le sergent Laterreur. »
M. K. : « Comme on ne se vend pas en kiosque, on peut aller vers des sujets inattendus. Mais on allait trop loin parfois. Daniel Fano avait par moments un côté très 6e arrondissement parisien ! On avait des pages télé et on choisissait toujours de mettre en avant des choses un peu intellos. Et puis on multipliait les collaborations extérieures triées sur le volet. Des plumes pouvaient faire ce qu’elles aimaient chez nous, en marge de leur média traditionnel, et révéler leur côté impertinent (parfois sous couvert de l’anonymat). Côté parents, à l’époque, on soulève plus des questions que des réponses. Alors que, dans les années 80, l’Amérique sévit avec ses recettes éducatives toutes faites, nous, on veut être plus nuancés. Plutôt que de dire aux parents comment faire le puzzle, on préfère leur dire : ’Voilà les pièces, mais c’est à vous et vous seuls de les assembler’. »

On parle des grandes dates clés de l’Histoire internationale, mais n’oublions pas de dire que ce magazine, c’est aussi un vrai bout de la société belge. Et peut-être même de chaque famille…
T. D. :
« Avant d’entrer au Ligueur, j’interrogeais mes ami·es sur leur lien avec le magazine. J’ai eu des réponses très précises. Au-delà du sempiternel ‘Ah oui, mes parents le recevaient quand j’étais petit·e’, on me parlait des rubriques, de souvenirs liés à telle interview, à tel article. Certains ont ainsi découvert Gotlib dans le Ligueur. Et puis le Ligueur c’était, et c’est toujours, un média ancré dans la belgitude. Le titre renvoie à l’histoire de chacun·e autant qu’il s’inscrit dans un vécu commun.  Il est incarnation et continuité : c’est un magazine que l’on reçoit encore et toujours dans la famille sur le mode, souvent, de la transmission. »

Arrive 2007, cette année clé qu’on explique dans les pages qui suivent. Là, le Ligueur devient plus parent que famille, pourquoi ce choix ?
M. K. :
« Marc Delepeleire meurt. Je le remplace en 91. Nous poursuivons pendant longtemps sa façon de faire. Jusqu’ici, nous avons été un magazine d’ONG, mais petit à petit, ce que les parents attendent, ce sont des réponses plus claires. Plus précises. Je reçois des courriers qui me disent : ‘Je cherche telle rubrique, je ne la trouve pas’. Je me dis qu’il y a un problème. On se dilue. Alors, il faut moderniser. Il faut donc faire le deuil d’un attachement à toute une contre-culture. On quitte cet îlot marginal pour rejoindre le paysage médiatique. On resserre notre objet. On devient parent. La famille ? Ça ne veut plus rien dire de précis. Les gens ne s’y identifient plus. C’est une conséquence pure et dure de l’individualisme. Tout sujet peut être abordé, mais par le prisme parent. Ce qui, d’un point de vue journalistique, demande une vraie discipline. Une vraie créativité aussi. »

Seulement, tous les médias parlent « parent » aujourd’hui, comment s’en sortir ?
T. D. :
« En dépassant la simple notion de média et en défendant les valeurs du journalisme. Le socle du Ligueur, c’est son fondement journalistique et les règles de déontologie qui y sont accrochées. Un bon sujet, c’est un sujet qui part d’une question précise, d’une réalité concrète et qui trouve son aboutissement dans un sujet clair, précis, sérieux, construit autour de sources recoupées, choisies avec soin. On a une responsabilité vis-à-vis de nos abonné·es. Loin d’une logique de clic. On prend grand soin des problématiques auxquelles on s’attaque, là où d’autres sites ont des façons de faire qui frisent l’inconséquence. Au Royaume du Numérique, il est de plus en plus difficile d’être dans la nuance. Dommage. Côté Ligueur, on essaie coûte que coûte d’être transparent. De montrer nos valeurs. Aux parents. Aux abonné·es. De leur prouver numéro après numéro qu’ils peuvent nous faire confiance. Leur dire que nous ne sommes pas un média qui veut s’imposer comme simple média, mais comme le fruit d’une démarche journalistique, réfléchie, porteuse de sens. »
M. K. : « Oui, il y a une sorte de schizophrénie : la société ne va pas dans le sens dans lequel on le voudrait, mais on doit l’expliquer. Aider. Et parfois dire aux parents, une fois qu’ils ont couru toute la journée, qu’ils ont couché les mômes, qu’ils nous lisent enfin : ‘Bon, réfléchissez un peu, est-ce qu’il n’y a pas une autre voie possible ?’. Sans être réactionnaire. Accompagner, conseiller, guider… Ce n’est pas simple comme rôle. Je rejoins Thierry sur la question de la confiance. Le pacte, c’est : ‘La société dans son ensemble va vers le faux et l’approximatif, mais ici, vous avez quelque chose de solide’. »

75 bougies. Qu’est-ce que vous formulez comme vœu avant de souffler ?
M. K. :
« Que le Ligueur reste l’incontournable des parents. »
T. D. : « Pareil, et j’ajouterais qu’il soit une marque de référence journalistique et reconnu comme tel. »

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