Vie pratique

À l’école en « hippopédibus »

On m’appelle Germinal, je suis un cheval. Pendant trois ans, j’ai emmené une quinzaine de petits bruxellois à l’école deux fois par semaine. Comme le Ligueur était curieux d’en savoir plus, mes collègues humains ont proposé à une de leurs journalistes de nous accompagner un matin de juin.

Le soleil était sur le point de se lever quand Tracey et Eva, nos palefrenières, sont arrivées. Le bruit de leurs pas nous a réveillés, Goliath et moi. L’heure de notre petit déjeuner avait sonné. Un peu plus tard, une troisième humaine a débarqué. Elle s’est approchée de nous, a expliqué qu’elle était journaliste, et nous a demandé d’excuser son retard. « Tous les mercredis et jeudis, jours de ramassage scolaire, nous sommes là à 5h30, lui a expliqué Tracey, visiblement plus habituée qu’elle à se réveiller à l’aube... Et en hiver, nous arrivons encore plus tôt pour préparer le chocolat chaud ! ».
Puis la journaliste s’est mise à poser des tas de questions. Elle voulait par exemple connaître notre taille. « Germinal mesure 1m87 au garrot et pèse une tonne, lui a expliqué Tracey. Goliath est un peu plus petit, il pèse 800 kg ». Goliath, c’est mon voisin de box et copain d’attelage. Tracey est bien placée pour savoir qu’il pèse lourd : il lui a marché sur le pied il y a deux jours !
« Ce sont des percherons, a continué ma palefrenière tout en retirant quelques brins de paille de ma crinière et en brossant ma robe gris pommelé. C’est une race de chevaux de trait français utilisés à l’origine pour la pêche à la crevette. Ils viennent de deux élevages différents mais ont tous les deux 7 ans. »

« Germichou, mon poussin »

Eh oui, je n’en ai peut-être pas l’air, mais je suis tout jeune. Je termine à peine ma croissance. C’est sans doute pour ça que Tracey m’appelle parfois « Germichou », « mon poussin » ou « mon chat ». J’ai bien vu que ça faisait sourire la journaliste, qui observait attentivement les nombreuses étapes de notre harnachement, depuis les sellettes posées sur nos dos jusqu’aux rênes croisées qui nous indiquent la direction à suivre, en passant par les reculements, les colliers, les bridons, les traits…
Un peu plus tard, nous remontions la rue pavée où se trouve le manège, la longue calèche bâchée fixée derrière nous. Lara, notre meneuse d’attelage, venait de nous rejoindre et de prendre les rênes. « Allez, les amours, trrrrottez », nous a-t-elle lancé une fois arrivés sur la grande chaussée, avant de nous dire : « Maaaarchez » à l’approche du premier carrefour. C’est sa voix qui nous indique quelle allure adopter, nous encourage et nous rassure parfois. Cette voix reste calme, malgré le brouhaha de la circulation. Il nous suffit de pivoter les oreilles pour l’entendre clairement.

Des chevaux à l’aise dans la circulation et des enfants heureux en calèche

Sur le chemin, les voitures, les bus, les motos et les camions qui nous entourent ne nous perturbent pas. Même quand ils nous dépassent à toute vitesse, agacés. Et cela arrive ! Ce matin même, une petite voiture jaune nous a doublés en klaxonnant. « Goliath et Germinal ont beaucoup de self-control », ont expliqué Tracey et Lara à la journaliste assise à leurs côtés. Il faut dire que la plupart des humains que nous croisons se montrent plutôt patients. Sur les trottoirs, des parents nous filment ou nous montrent du doigt à leurs enfants, qui nous font signe de la main.

« Nos amis hallucinent »

Les enfants humains, je les connais bien. Deux fois par semaine, Goliath et moi allons en chercher une quinzaine près de chez eux pour les emmener à l’école. Aujourd’hui, les premiers à grimper dans la calèche étaient Maxime et sa petite sœur. Je l’ai entendu expliquer à la journaliste qu’il avait 6 ans, qu’il terminait sa 1re primaire, qu’il aimait beaucoup faire la route avec nous.
« Quand on raconte à nos ami·es que notre fille va à l’école en calèche, ils hallucinent », a dit un papa lorsque nous nous sommes arrêtés un peu plus loin pour embarquer Rune, Aya et Louise. « En hiver, c’est encore plus chouette, parce que les enfants reçoivent du chocolat chaud et des plaids. »
Aya s’est mise à raconter qu’elle avait 4 ans et qu’elle avait pleuré la fois où Goliath avait dû se reposer quelques semaines pour se remettre d’une blessure au pied. Elle s’est ensuite lancée dans une histoire à dormir debout, comme disent les humains (alors qu’il n’y a rien de plus naturel que de dormir debout). Une histoire de calèche qui se serait cassée devant chez elle et dont le cheval aurait galopé jusqu’à Paris… À croire que les balades en calèche stimulent l’imagination !

Rester assis et ne pas crier

Un peu plus loin, les enfants sont descendus devant leur école et ont traversé la rue après nous avoir salués, comme toujours : un petit bonjour avant de grimper et un au revoir en partant, c’est le deal. « Les enfants étaient calmes aujourd’hui, a expliqué Lara à la journaliste sur le chemin du retour. C’est la dernière semaine de l’année scolaire et les élèves néerlandophones sont déjà en vacances. Ils sont donc moins nombreux que d’habitude. Quand ils sont au complet, ils sont parfois plus turbulents et nous leur rappelons les règles de base : rester assis et ne pas crier ».
De retour au manège, Goliath et moi étions ravis de nous rouler dans le sable et de nous mordiller mutuellement les pieds. C’est à ce moment-là que la journaliste nous a quittés. Elle m’a soufflé qu’elle allait essayer de se mettre à ma place et de raconter la matinée de mon point de vue… Encore une idée d’humains un peu tirée par les crins !

EN SAVOIR +

Une expérience conviviale et écologique

Pendant trois ans, la coopérative bruxelloise Hyppy a proposé un service de ramassage scolaire en calèche aux élèves de deux écoles libres situées à Forest. Mais porter un tel projet sur le long terme tout en veillant au bien-être des chevaux et à la gratuité pour les familles – deux principes essentiels pour les organisateurs – a un coût élevé. L’expérience ne pourra donc pas être prolongée cette année scolaire 2023-2024, nous annonce avec regret Rudy Testa, directeur de la coopérative.
Il tire toutefois de ces trois années un bilan très positif et l’envie de persévérer. Les principaux objectifs de l’hippopédibus, qui étaient de faire réfléchir à la mobilité de demain tout en favorisant les liens entre voisin·es et en sensibilisant les enfants au respect de la nature et des animaux, lui semblent remplis.
« En emmenant les enfants à l’école, notre calèche remplace potentiellement une quinzaine de voitures. Nous avons senti une grosse prise de conscience écologique chez les enfants, à qui nous voulions faire passer le message que la voiture n’est pas la solution à tout. Mais l’impact du projet ne se limite pas aux enfants. Les ‘spectateurs et spectatrices’ aussi sont touché·es. C’est vraiment une question de perspective : les voitures qui sont derrière nous sont gênées par notre présence, alors que celles qui arrivent en face s’arrêtent parfois pour nous prendre en photo ! Voir passer une calèche permet aux gens de ralentir. C’est aussi une manière de réenchanter la ville. »
Goliath et Germinal s’apprêtent donc à passer plus de temps encore en prairie, tout en continuant à faire le bonheur des petit·es et grand·es citadin·es dans le cadre de services payants (balades sur mesure, fêtes d’anniversaire, teambuildings…) et de nouveaux projets à dimension sociale, actuellement en construction. En attendant de pouvoir reprendre, qui sait, le chemin des écoles…

MAIS AUSSI…

Hippopédi-quoi ?

Le terme hippopédibus renvoie au terme pédibus, qui désigne le ramassage scolaire à pied, collectif, organisé et encadré, à la manière d’un bus pédestre. Le vélopédibus, comme son nom l’indique, est son équivalent à deux roues. Nous reparlerons de ces solutions pratiques et écologiques de plus en plus courantes dans le prochain numéro du Ligueur, consacré à la mobilité scolaire. Quant à l’hippopédibus, celui de la coopérative Hyppy est, à notre connaissance, unique en Belgique. En France, par-ci par-là, le ramassage scolaire en calèche connaît un certain engouement.

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