Société

Agnès Amez : « Grâce à mon métier, je peux aider cette famille qui fuit la guerre »

Rencontre avec Agnès Amez, institutrice engagée auprès des réfugiés

Nous donnons la parole à une institutrice qui vit l’accueil des enfants venus d’Ukraine dans nos écoles au quotidien. Une manière de saluer ces centaines d’enseignant·es qui se sont mobilisé·es pour offrir une scolarité la plus normale possible à ces enfants et ces jeunes.

C’est toujours un plaisir de revenir dans une classe de primaire tant les odeurs, les dessins, les écritures, la diversité des connaissances rappellent la vie en mouvement, dans tout ce qu’elle laisse présager de l’avenir et de ses évolutions. Celle d’Agnès Amez, une 4e primaire, n’y déroge pas. Nos yeux ont envie de se poser partout tant les murs sont riches des apprentissages en cours.

Enseigner : un rêve de petite fille

Pourtant, l’institutrice souriante qui nous accueille avait, au départ, opté pour d’autres horizons. Partie comme jeune fille au pair en Allemagne, elle y étudie les sciences économiques et y travaille une dizaine d’années. Revenue en Belgique, elle poursuit sa carrière à la Commission européenne, jusqu’au jour où elle s’offre une année sabbatique d’un an pour découvrir l’Asie du sud-est en sac à dos.
« Je suis restée deux mois dans un orphelinat au Vietnam, se souvient Agnès Amez, et j’y ai eu un déclic. J’y ai donné des cours d’anglais et j’ai découvert que j’adorais enseigner. Ce qui était un rêve de petite fille ». De retour au pays, elle décide de reprendre des études avec le soutien de celui qui est devenu son mari. « Déjà maman d’un petit garçon, j’ai eu mes deux filles pendant ma formation, sourit-elle. J’ai été diplômée à 40 ans ».
À une époque où l’enseignement peine à recruter, où quantité de jeunes recrues quittent le secteur endéans les cinq ans, voici une exception qui mérite d’être soulignée. « J’ai commencé une nouvelle vie dans l’enseignement, qui est toujours un rêve, même si c’est parfois très dur, avoue-t-elle. Soit on a de la chance et on tombe dans une école où une place se libère et on est nommée, soit on se retrouve dans une insécurité permanente ».
En dix ans, elle a connu toutes les années du primaire lors d’un contrat de remplacement dans la même école. Suite à la fermeture de classes dans cet établissement, Agnès Amez est mutée fin 2021 à l’Institut des Hayeffes à Mont-Saint-Guibert, où nous la rencontrons.

« Ma priorité a été qu’Adel se sente bien accueillie et en sécurité chez nous, qu’elle soit à l’aise dans la classe »

« Je recommence à zéro à 49 ans, soupire-t-elle. Ce métier m’épanouit, mais l’insécurité est pénible à vivre. Est-ce que je vais avoir du travail à la prochaine rentrée ? Quelle classe vais-je avoir à l’avenir ? Quel salaire vais-je avoir n’étant pas nommée ? »

Des élèves enthousiastes

Accueillir un enfant étranger dans une classe ne va pas de soi. Les réalités vécues peuvent être très différentes. Certaines écoles ont vu arriver plusieurs enfants ukrainiens, ce qui a favorisé l’interaction entre ces élèves, mais aussi entre leurs enseignant·es. D’autres écoles, surtout dans les grandes villes, ont ouvert des classes DASPA (un acronyme qui signifie Dispositifs d’Accueil et de Scolarisation des élèves Primo-arrivants et Assimilés). Même si les critères pour la création de ces classes spécifiques ont été assouplis, ce dispositif n’existe pas dans l’école guibertine.
Trois jours avant que nous rencontrions Agnès Amez, 992 enfants ukrainiens étaient déjà inscrits en maternelle, primaire et secondaire en Fédération Wallonie-Bruxelles. Parmi lesquels la petite Adel, arrivée en 4e primaire trois semaines auparavant, et sa sœur Nikol en 1re maternelle. « J’étais à la fois heureuse et fière, se souvient sa nouvelle institutrice. Grâce à mon métier, je pouvais aider ces gens qui fuyaient la guerre ! J’ai aussi pensé à mes élèves : cela pouvait être positif pour eux de s’investir, d’accueillir, de se rendre compte qu’ils ont de la chance de vivre dans un pays en paix ».
Enthousiaste, elle l’est, mais saisie de doutes également. Mille questions surgissent, d’autant que l’accueil d’une élève ne s’exprimant pas du tout en français est une première pour l’enseignante. « J’ai eu peur de ne pas être à la hauteur, concède-t-elle. Je venais d’arriver dans cette école. J’étais la seule en primaire à accueillir un enfant ukrainien. J’ai également pensé à mes vingt-quatre autres élèves, qui ont des épreuves externes à passer en fin d’année ».
En effet, la vie de la classe et surtout les apprentissages ne s’arrêtent pas avec une élève venue d’ailleurs. Mais l’enthousiasme de ses condisciples est à l’image de celui de leur institutrice. « Le jour où je leur ai annoncé la nouvelle, ils étaient emballés. Le lendemain, un enfant est venu vers moi en s’exclamant : ‘Je sais parler ukrainien’. Effectivement, il avait appris quelques mots ».

Trouver ses repères

Autant la petite Adel va devoir trouver sa place dans son nouvel environnement, autant son institutrice va devoir relever quelques défis pour assurer la continuité des suivis pédagogiques et offrir la meilleure intégration possible à la nouvelle venue. « J’ai lu pas mal de choses qui circulaient sur les réseaux sociaux, explique Agnès Amez, avec des dossiers tout faits réalisés par des enseignant·es d’autres écoles dans la même situation. Rapidement, je me suis dit que je ne devais pas la bombarder d’informations et de cours. J’ai essayé de me mettre dans la peau d’une enfant qui arrive d’un pays en guerre, qui a laissé de la famille et des amies là-bas… Ma priorité a été qu’elle se sente bien accueillie et en sécurité, qu’elle soit à l’aise dans sa classe… ».
Cela s’avère d’autant plus important qu’Adel est métisse, d’une maman ukrainienne et d’un papa africain. C’est d’ailleurs un sacré atout car il parle français. « Il m’a expliqué que le fait d’être métisse lui a valu pas mal de moqueries en Ukraine, poursuit Agnès Amez, qu’elle ne se sentait pas toujours bien à l’école là-bas. Lors de notre première rencontre, Adel était encore fort triste et assez réservée. Mais j’étais heureuse pour elle que son papa, n’étant pas Ukrainien, n’a pas dû rester là-bas. Adel a pu venir chez nous avec ses deux parents, ce qui doit être un grand soutien pour elle et sa petite sœur ».
Pour qu’Adel puisse échanger un minimum avec les autres, Agnès Amez propose à ses élèves de réaliser des affiches qui parsèment désormais les murs de la classe. Des affiches avec des phrases basiques en français et en ukrainien : ‘Bonjour’, ‘Merci’, ‘Je dois aller aux toilettes’, ‘Comment vas-tu ?’, etc.
« Chaque enfant avait préparé un carton avec son prénom. Chacun s’est présenté en ukrainien ! Ils avaient appris la phrase pour l’occasion. Ils ont aussi découvert l’écriture cyrillique qu’ils ont recopiée sur leur fiche. Puis ils l’ont offerte à Adel. De plus, il y a dans la classe une petite fille qui parle russe. Le premier jour, elle m’a beaucoup aidée. J’ai installé Adel à côté d’elle, mais cela prenait trop d’énergie à la fillette qui devait traduire. En plus, elles ont deux caractères différents. »
L’institutrice décide dès lors de laisser chacune vivre sa vie et se replie sur une autre aide à la traduction. Comme toutes celles et tous ceux qui ont eu affaire à des réfugié·es ne s’exprimant ni en français, ni en anglais, Agnès Amez a découvert cet outil qu’elle qualifie d’extraordinaire : l’application Traducteur de son téléphone portable qui donne oralement et par écrit la version ukrainienne de ce que vous dites en français et vice versa. « J’étais tellement contente quand j’ai trouvé cet outil », lâche-t-elle avec un grand sourire.
Autre outil bien utile : le TBI, le tableau blanc interactif. « Cela change la vie d’une classe, mais toutes les écoles n’ont pas la chance d’en avoir. C’est une évolution extraordinaire. Vous pouvez trouver et projeter tous les documents nécessaires pour vos cours. C’est très visuel aussi, ce qui peut aider Adel à mieux comprendre ».

À son rythme

À son arrivée dans l’école, Adel est au centre de toutes les attentions, de tous les regards. « Les premiers jours, dans la cour de récréation, beaucoup se sont rués vers elle, même les élèves des autres classes, se souvient l’institutrice. Tout le monde voulait bien faire. Puis la pression s’est estompée. Ma classe a bien compris qu’Adel devait s’intégrer à son rythme. J’ai proposé à chaque élève un challenge à réaliser avec elle, des challenges repris sur des petites cartes : compter jusqu’à dix, connaître les jours de la semaine, écrire le nom de cinq animaux dans son répertoire, etc. Ils étaient très motivés et après, il faut bien le dire, un peu déçus, surtout les garçons, parce qu’Adel préférait rester avec les filles. J’ai dû leur expliquer qu’elle avait besoin de se sentir dans son petit cocon, en sécurité. Au niveau des cours, elle essaie de comprendre. Je la laisse parfois gérer ses activités, vivre à son rythme. Il lui arrive aussi de refuser de faire telle ou telle chose, comme n’importe quel enfant, car elle a un caractère assez fort. Elle me guide en fait. Comme elle est baignée dans le français depuis trois semaines et que les enfants apprennent vite, elle commence à dire plusieurs mots et se débrouille avec des gestes pour se faire comprendre. Elle joue de plus en plus avec des élèves d’autres classes. Elle sourit de plus en plus et vient volontiers vers moi pour des câlins ».