Développement de l'enfant

Au-delà du handicap, un chemin amoureux

comment accompagner son, sa (grand·e) ado en situation de handicap sur le chemin de l’amour ?

Les parents d’un·e (grand·e) ado en situation de handicap ont, souvent, l’impression de s’immiscer dans des affaires de cœur qui ne devraient pas les regarder. Avec cette question en filigrane : comment accompagner son enfant sur le chemin de l’amour ? Quelques balises avec Claire Beguin et Anne De Niet du Planning familial de Watermael-Boitsfort.

Autisme, handicap moteur, déficience intellectuelle… Pour les jeunes en situation de handicap, les réalités sont variées. Au-delà des vécus singuliers, des points forts peuvent, néanmoins, être dégagés en matière d’affectivité et de sexualité. Claire Beguin, sexologue, et Anne De Niet, psychologue, en témoignent.
Au Planning familial de Watermael-Boitsfort, toutes deux sont notamment animatrices Évras (Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle). Elles rencontrent des jeunes et des adultes, en groupe ou individuellement. Si le handicap intéresse Anne De Niet depuis toujours, Claire Beguin s’y est attachée par hasard. « Quasi dès sa création, il y a quarante ans, le planning défendait le droit des personnes en situation de handicap à une vie affective et sexuelle. C’était un combat très militant, dû à l’engagement de quelques membres de l’équipe. Il s’agissait de briser un véritable tabou. Je suis arrivée au planning dans ce contexte il y a une vingtaine d’années, ne connaissant rien au handicap », raconte Claire Beguin. Parcours inverse pour Anne De Niet : c’est avec sa casquette « handicap » et son expérience dans ce domaine qu’elle a rejoint le planning il y a une quinzaine d’années. Avec deux collègues, la sexologue et la psychologue ont, depuis, constitué une solide équipe « handicap », à l’expertise reconnue hors des murs du planning.

Un oiseau pour le chat ?

L’idée que nous avons, tous et toutes, droit à l’amour a fait du chemin. Le trio « jeune, handicap, amour » demeure-t-il tabou ? « Cela évolue, assure Claire Beguin. On l’aborde davantage dans les écoles et les institutions spécialisées. Même s’il continue à susciter énormément de questions et d’inquiétudes ». « Je parlerais plus de ‘sujet délicat’ que de ‘tabou’, dit en écho Anne De Niet. Si un·e jeune fréquente une institution, les règles peuvent être différentes dans l’institution et à la maison. Ce qui met le ou la jeune dans une situation délicate ».
Les principales craintes des parents ? « L’une d’elles est que leur enfant, de par sa vulnérabilité, soit un oiseau pour le chat, c’est-à-dire qu’il ou elle ne sache pas dire non. Puis viennent la peur de l’abus et celle d’une grossesse par accident », observe Claire Beguin.
« Permettre aux jeunes de connaître leur corps, ses changements, leur permettre de comprendre leurs émotions, d’être à l’aise avec la question du consentement, c’est une manière de prévenir les abus », prolonge Anne De Niet. Une garantie pour qu’ils et elles découvrent les choses de l’amour de façon sécure. La psychologue insiste : « En tout cas, nier que ces jeunes ont des besoins et des désirs, et surtout les réprimer, c’est la porte ouverte à ce que les choses se passent dans de mauvaises conditions, avec des mises en danger ».
Et c’est oublier le beau, l’agréable. « Au fond, c’est super de se dire que son ado a accès à une vie amoureuse et peut-être sexuelle ».

Si les parents d’un·e jeune avec un handicap ne sont pas à l’aise sur ce terrain, ils ne doivent pas hésiter à passer la main

Être comme tout le monde

Parmi les souhaits des ados en situation de handicap, il y a, pour nos deux expertes, celui de disposer d’un espace où quelqu’un les écoute. Bien souvent, une question en amène, en cascade, plein d’autres. Des premières règles au consentement, de la masturbation à la contraception.
Autre attente formulée : trouver un amoureux, une amoureuse. « Ils et elles expriment leur désir d’être en couple et, plus tard, éventuellement leur désir de se marier et d’avoir des enfants, explique Claire Beguin. Des thèmes à creuser ensemble, et parfois à déconstruire. Car un ‘Je voudrais avoir un enfant’ ne renvoie pas forcément à un projet concret de parentalité, il indique en général une envie, légitime, d’être comme tout le monde ».
L’amour se décline de tant de façons. « Parfois, aimer, cela sera juste se donner des bisous ou se tenir la main », illustre Anne De Niet. Mais, attention, insiste Claire Beguin, « à 18 ans, ces jeunes ne sont pas de ‘grands enfants’, en retard sur les autres. Ce sont des adultes, certes avec des limites, mais des adultes, avec un corps d’adulte ».

Oser passer la main

« Avec Gilles*, je m’attends toujours à expliquer les choses », confie la maman de ce jeune trentenaire autiste. Y compris ce qui relève de l’intime, « depuis qu’il a des petites amies ». Pour tout parent, parler d’amour ou de sexualité avec son ado peut être compliqué. Et vice versa. Question de pudeur, entre autres. Si les parents d’un·e jeune avec un handicap ne sont pas à l’aise sur ce terrain, ils ne doivent pas hésiter à passer la main, assurent en chœur la psychologue et la sexologue. À côté des proches de confiance (dont la fratrie), les aides extérieures comptent : éducateurs et éducatrices de l’institution fréquentée, centre de planning familial, animateurs et animatrices Évras…
Parce que l’adolescence est, de toute façon, une étape complexe, « il est important que la personne handicapée soit accompagnée et informée, plaide Claire Beguin. Par exemple, avant la puberté, il est important d’expliquer à une fille qu’elle va avoir ses règles, que son corps va changer et que cela fait partie de son évolution naturelle. Avoir mis des mots sur ces choses permet de mieux les vivre quand elles se manifestent ». De même, expérimenter tôt (dans tous les pans de la vie) les notions de choix et de consentement est précieux pour la suite. Nos interlocutrices aiment le mot « continuum ».
Avec ces jeunes, elles utilisent volontiers un outil qu’elles appellent « Le chemin amoureux ». Il est jalonné d’étapes à ne pas brûler. Parce que « j’entends souvent (je caricature, mais à peine) : ‘J’ai rencontré quelqu’un à l’arrêt de bus, on a un peu parlé, on va habiter ensemble’ », signale Claire Beguin.
Ces étapes, Anne De Niet les évoque : « On se rencontre. On passe du temps ensemble. On peut se donner des bisous. Se découvrir nus. Faire l’amour. Organiser une rencontre avec les parents… En fait, chaque personne aura son propre chemin, et chaque relation renverra à un chemin particulier. Une relation ne mènera pas d’office à des rapports sexuels ou à un mariage. Peut-être que l’envie d’être ensemble disparaîtra vite. Mais pour passer d’une étape à l’autre, l’accord des deux partenaires est nécessaire ».

Intimité respectée

Face au trio « jeune, handicap, amour », quelle juste place pour les parents ? Claire Beguin : « Ce n’est pas parce que l’ado est en situation de handicap qu’il ou elle n’a pas droit à son intimité. Il y a un voile d’intimité à respecter, c’est essentiel. Si on sait son ado outillé·e et en sécurité, on n’a pas besoin de tout savoir, on supporte de ne pas tout savoir ». L’accompagner et respecter son intimité est un exercice subtil. Anne De Niet : « Il s’agit de voir comment, en tant que parent, on sent les choses et jusqu’où on est prêt à aller, si on préfère déléguer. Il s’agit aussi de voir comment l’ado sent les choses, s’il ou elle a envie de parler. En tout cas, osons mettre le sujet sur la table ».

* Les prénoms ont été modifiés

VÉCUS

Paroles de mamans

  • Gilles*, 34 ans, a un trouble du spectre de l’autisme. « Vers ses 18 ans, quand il a eu ses premières petites amies, son père et surtout ses deux frères lui ont expliqué l’usage du préservatif, se souvient Alice*, sa maman. Notre message : ‘C’est chouette d’avoir des relations sexuelles, mais c’est important de se protéger’ ». Actuellement, Gilles a une copine, elle aussi autiste. « Il dort avec elle, mais je pense qu’il n’est pas allé plus loin. Je crois qu’il a peur de franchir le pas… ». Paradoxe du parent : « Je voudrais tant qu’il soit à l’aise avec la sexualité et, en même temps, je suis soulagée à l’idée qu’il ne passe pas à l’acte. Car s’il passait à l’acte, j’aurais trop peur qu’il oublie le préservatif. Je ne l’imagine pas papa ».
  • Lyna* a 16 ans. Elle est autiste. « Elle sait depuis un moment ce que sont les règles. Elle est formée, mais les règles ne suivent pas », confie Amina*, sa mère. Une visite médicale les a rassurées. À l’école, Lyna participe à des animations Évras, ce qui rassure aussi. « Un jour, à la récré, un garçon a mis sa main sur l’épaule de Lyna, puis est descendu avec sa main… Elle a hurlé ‘Non’. Un éducateur est intervenu. J’ai bien expliqué à Lyna qu’elle avait le droit de dire non, et même de crier non – ‘C’est ton corps’ ».

EN SAVOIR +

Les aides possibles

Parmi les aides, citons les plannings familiaux (pour de l’info, des animations Évras, un suivi…). Certains sont spécialisés dans le handicap. Pour en trouver un, rendez-vous sur monplanningfamilial.be. Il y a des organismes généralistes, comme l’AViQ (Agence pour une vie de qualité) en Wallonie ou le Service Phare (Personne Handicapée Autonomie Recherchée) à Bruxelles. Et des associations dédiées à des handicaps particuliers. Comme Inclusion (inclusion-asbl.be), pour les personnes avec un handicap intellectuel. Sources bien utiles encore : le Centre de Ressources Handicaps et Sexualités à Namur et le Centre de ressources bruxellois Sexualités et Handicaps, lié à la Fédération Laïque de Centres de Planning Familial.