Société

Au fil des urgences

Rencontre avec Marie-Astrid de Villenfagne, médecin urgentiste

Il y a huit ans, le jour des attentats de Bruxelles, Marie-Astrid de Villenfagne, médecin, est en première ligne. Moment fort, éprouvant qu’elle a relaté dans un livre. Au-delà de ces souvenirs douloureux, une question : « Comment concilier quotidien de maman et vie imprévisible de maman urgentiste ? ».

« Attends, je vérifie juste que j’ai bien mon téléphone avec moi », Marie-Astrid de Villenfagne est médecin-urgentiste à l’hôpital Saint-Pierre à Bruxelles et maman de trois enfants. Elle se prépare un thé avant de s’installer dans son canapé. Aujourd’hui, c’est mercredi. Elle a congé. « Quand les enfants étaient petits, on travaillait tous les deux énormément, donc c’étaient des baby-sitters et des jeunes filles au pair qui s’occupaient d’eux. Je veillais à les faire venir en avance pour qu’ils puissent faire connaissance ». Un moyen de préserver ses enfants d’une certaine incertitude. Le cadet, John-Igor, étant particulièrement sensible à cette sensation. « Je faisais une photo et je l’affichais pour dire quel baby-sitter allait les chercher en fonction des jours ».  

Mardi 22 mars 2016

Jour des attentats à Bruxelles. Elle est de garde de SMUR à l’hôpital. Vers 8h, moment où elle s’apprête à rentrer chez elle, une explosion secoue l’aéroport de Zaventem. Son chef de service lui demande alors de rester. Quelques minutes plus tard, c’est la station de métro Maelbeek qui est visée. Marie-Astrid s’empresse de prendre le sac de réserve, grimpe dans l’ambulance accompagnée d’un infirmier. Sur place, elle accueille les blessés les plus graves. « On a juste ses mains et sa tête, si on arrive à la faire fonctionner ». Un poste médical de 1h30, mais un ressenti d’au moins cinq heures.
De retour à l’hôpital, elle consulte ses messages. Du soutien, des encouragements. Un message de son mari, aussi, disant qu’il emmène les enfants chez sa mère. Elle éprouve des difficultés à quitter l’hôpital. Ce sentiment de devoir rester. Puis le retour au quotidien. En arrivant chez sa belle-mère, elle s’assied dans un fauteuil. Ses enfants sont à côté, mais ça, elle a du mal à s’en rappeler. Sa belle-sœur, après-coup, lui raconte avoir vu l’horreur dans ses yeux. Ce qu’elle a vu est tapi au fond d’elle. « Je trouvais difficile d’en parler à ma famille », dit-elle en jouant avec la ficelle de son sachet de thé.

Entre famille et boulot, « parfois, c’est difficile de cloisonner »

Cinq ans après les attentats, Marie-Astrid et son mari ont écrit un livre : Urgence Attentats. Celui-ci retrace le quotidien des urgences hospitalières en Belgique du point de vue de deux médecins urgentistes. Son mari rédige, elle rature. Les enfants sont autour d’eux. Deux mondes côte à côte. Celui d’un quotidien professionnel éprouvant et celui de la famille.
À la maison, Marie-Astrid essaye de garder une atmosphère joyeuse, détendue. « J’ai tenté de préserver les enfants le plus possible ». En cas de besoin, elle discute avec son coach ou des collègues qui la comprennent. « Mais, parfois, c’est difficile de cloisonner ». Un jour, un enfant victime d’une poussée de fièvre est amené inanimé, pas moyen de le « récupérer ». En rentrant de cette journée éprouvante, Marie-Astrid veut embrasser Héloïse, son aînée. Son mari l’a mise au lit plus tôt parce qu’elle avait de la température. « J’ai couru dans sa chambre, je l’ai prise dans mes bras. J’avais besoin d’être rassurée ».

Médecin avant d’être maman

« Je suis droguée à mon boulot, c’est l’adrénaline, c’est tout ce que j’aime ». À la crèche, Héloïse était souvent une des premières à arriver le matin et une des dernières à rentrer le soir. À l’école, elle terminait ses journées à la garderie. Lorsqu’on demande à l’aînée, âgée de 10 ans à l’époque, si elle sera médecin plus tard, la réponse est abrupte. « Ah, non, la médecine, jamais ! Ma maman n’a jamais été là ». Des paroles dures à entendre pour Marie-Astrid qui s’évertue à être la plus présente possible. Ce métier, chevillé au corps, a même influencé la composition de la famille. Ses enfants ont un écart de quatre ou cinq ans.
Maintenant qu’elle y réfléchit, elle aurait peut-être voulu avoir des enfants un peu plus rapprochés, mais, à ce moment-là, ce n’était pas sa priorité. « J’aime énormément mon métier, et dans ce cas-là je suis prête à plus de sacrifice pour que tout fonctionne ».

Double casquette

Une garde, c’est vingt-quatre heures. Les week-ends, elle essaye de les laisser aux plus jeunes du service ou aux parents qui n’ont leurs enfants qu’une semaine sur deux. Un moyen qui lui permet de passer du temps avec ses enfants et de les déposer au hockey, par exemple. Les moments importants, elle entend y assister. « Je passe ma nuit à faire des gâteaux d’anniversaire pour que mes enfants puissent être fiers en allant à l'école ». Elle était présente au départ de John-Igor en classe de neige et elle ira le récupérer avant d’aller travailler.
Pour cette maman, ce qui compte, c’est moins le nombre d’heures qu’on passe avec ses enfants que la qualité des moments. Ainsi, lorsque la journée de travail s’est allongée bien au-delà des horaires réglementaires et qu’il ne lui reste alors plus beaucoup de temps avec ses enfants, elle soigne ce moment. « On ouvre l’armoire à jeux de société et on se lance dans une partie. Ne fût-ce que quinze minutes avant d’aller dormir ».