Développement de l'enfant

Comme une étoile dans un carré

Rencontre avec Kristina Gauthier-Landry, autrice québécoise d'un recueil de poésie destiné aux ados

Rencontre avec Kristina Gauthier-Landry, autrice québécoise de Kaléidoscope mon cœur. Un recueil de poésie destiné aux ados et inspiré de sa propre jeunesse, marquée par l’anxiété et par une très grande sensibilité.

malhabile
je me heurte
à tous les cadres de porte
rentre dans le monde
comme une étoile
dans un carré

Quand nous lui faisons remarquer que ces lignes extraites de son livre Kaléidoscope mon cœur nous ont touchés, Kristina Gauthier-Landry n’est pas surprise : « C’est drôle, ados et adultes me citent souvent ces mots. C’est vraiment la sensation que j’avais tout au long de mon adolescence. Apparemment, je ne suis pas seule à me sentir seule ».
Sortir les jeunes d’une certaine solitude. C’était l’objectif du recueil dès le début, nous explique la poétesse québécoise, dont le visage souriant s’affiche sur notre écran. Il est 16h à Bruxelles, 10h à Montréal, et nous nous sommes donné rendez-vous en visio.
Quand les éditions du Boréal lui ont proposé de contribuer à leur nouvelle collection de poésie destinée aux ados de 13 à 17 ans, « on était au tout début de la pandémie, se souvient-elle. On parlait beaucoup de l’anxiété chez les adolescents qui étaient confinés. Or j’ai moi-même vécu en tant qu’adolescente des épisodes anxieux, sans trop savoir ce que c’était, parce qu’on en parlait assez peu à l’époque. Et au tournant de la trentaine, en tant qu’adulte, je venais de revivre des épisodes d’anxiété assez aigus. Je me sentais donc bien placée pour aborder ce sujet de façon sensible ».

Précieux carnets

Le résultat ? Un joli livre bleu qui retrace, au fil des poèmes, le parcours d’une jeune fille que « tout inquiète » (l’infini, la mort, le regard des autres...), et qu’elle a en quelque sorte composé à quatre mains avec l’ado qu’elle a été : « J'ai toujours conservé mes journaux intimes, qui m'ont accompagnée aussi loin que je me souvienne, et je les ai tous relus dans le processus de recherche. Dans l’un d’eux, j’ai par exemple trouvé une liste écrite en 2000, le jour de l’An. J'avais fait la liste de toutes mes peurs de jeune fille de 14 ans. Et j'ai utilisé cette liste pour créer un poème ».

Extrait de « Vacarme » - null
je trouve tout très bruyant les pompiers les oiseaux le soleil font un son aigu assourdissant ma gêne aussi et vos yeux quand ils m’évitent à la cafétéria ça fait vraiment trop de bruit pour moi
Extrait de « Vacarme »

Aujourd’hui, elle encourage les jeunes à noircir à leur tour des pages de carnets. Nous pouvons en témoigner, puisque la première fois que nous l’avons rencontrée en septembre dernier, Kristina Gauthier-Landry présentait son livre à une classe de 2e secondaire, dans le cadre du Poetik Bazar, le marché de la poésie de Bruxelles. Elle nous avait alors surpris en demandant aux élèves présent·es : « Qui ici n’aime pas la poésie ? ». Une question cash à laquelle ils et elles avaient répondu avec franchise, en levant presque unanimement la main…

Qui a peur de la poésie ?

Ce souvenir la fait rire. « J’obtiens cette réponse 99% du temps. C’est tellement courant qu’au Québec, les ateliers que j’anime dans les classes de secondaire se nomment : ‘Qui a peur de la poésie ?’. On dirait que quand on donne aux jeunes le droit de nommer leur inconfort, ils sont tout de suite plus ouverts. Puis l'inconfort est réel : il y a peu de gens dans la vie qui sont à l'aise, ou même familiers, avec la poésie ». À travers son livre et ses animations, elle cherche donc à élargir les horizons, à ouvrir les portes de la poésie aux non-initié·es, et à les inviter à s’y essayer.
« Je sais pas écrire », avait précisé un des jeunes. Et la poétesse de le rassurer, exemples à l’appui : « La poésie, c’est pas obligé de rimer ! On peut même vouloir faire des fautes, parfois ». Les idées reçues sont nombreuses, constate-t-elle. « Les jeunes ont l'impression que la poésie, c'est compliqué, que c'est incompréhensible, que c'est ennuyant… Il y a une très grande peur de se tromper aussi. Certains ont tellement peur de déborder, de sortir du cadre qu’ils ne s’abandonnent pas. Ils s'imaginent qu'il y a des codes très stricts à respecter ».

Faire de sa sensibilité une alliée

Elle-même a avant tout cherché, en écrivant pour un public jeune, à rendre ses textes accessibles : « Il y a assez peu de choses qui distinguent la poésie pour ados de la poésie pour adultes, parce que les ados sont des adultes en devenir. Je dirais simplement qu’il s’agit d’une poésie moins ambiguë, avec des images plus accessibles et un fil narratif plus clair ». D’où l’idée évocatrice du kaléidoscope, qui symbolise pour elle « le foisonnement du cerveau d’une personne ultrasensible » et lui a inspiré la structure et la mise en page très libres du recueil.

Extrait de « Des fois ça prend pas grand-chose » - null
juste le rose du ciel me remplit de joie et je tombe en amour chaque fois
Extrait de « Des fois ça prend pas grand-chose »

Car, au-delà de l’anxiété, c’est d’une grande sensibilité à la beauté, d’une jeune fille éblouie par la vie, dont parle Kaléidoscope mon cœur. « C'est souvent la force des gens qui sont aux prises avec un trouble anxieux : une très grande sensibilité. Je voulais mettre en lumière le fait qu’elle peut être un atout. C'est ma mère qui, très tôt dans la vie, m'a amenée à voir les choses de cette façon, et j'essaie de transmettre un peu d’espoir à mon tour. Une façon de faire de sa sensibilité une alliée, et pas seulement un ennemi à abattre. Une façon de l’apprivoiser ».

Comme une rockstar

Juste avant de raccrocher, nous revenons sur ce jour de septembre où elle a répondu aux nombreuses questions des élèves bruxellois·es : « Quand avez-vous su que vous vouliez être poète ? » ; « Est-ce que vous partez toujours de votre vie pour écrire ? » ; « Est-ce que vous gagnez beaucoup d’argent en écrivant des livres ? »… Leur curiosité l’a émue : « À la fin, les jeunes m’ont demandé de signer leur cahier de français. Il y en a même un qui m'a demandé de signer sa main, je me suis sentie comme une rockstar… C'est tellement spécial pour moi qui suis née dans un tout petit village au fin fond du Québec. C’est irréel. Je sentais qu'on se rejoignait malgré les différences culturelles ».

EN SAVOIR +

Kaléidoscope mon cœur fait partie de la collection de poésie pour ados Brise-Glace des Éditions du Boréal, qui compte actuellement sept titres. Kristina Gauthier-Landry sera de retour à Bruxelles en mars 2025 à l’occasion de la Foire du Livre.

ZOOM

Perles rares

Les livres de poésie écrits spécifiquement pour les grand·es ados ne sont pas courants, nous signalent plusieurs actrices du secteur. Dans les allées du salon du Livre de jeunesse de Montreuil, organisé à Paris en novembre 2024, un autre de ces OVNI a attiré notre regard : Soutif mon amour. Poèmes engagés, de Sophie Carquain, illustrés par Kim Consigny (La Joie de Lire). Un recueil de poèmes rythmés touchant à une multitude de sujets liés au féminisme et destiné aux jeunes à partir de 15 ans : acceptation de soi, harcèlement, mouvement #metoo...

LA POÉSIE JOUE, RIT, SOUPIRE
DESSINE ET DÉCHIRE
ELLE TOUCHE AU CŒUR, AU SEXE
AU PLUS INTIME, AU COLLECTIF
VIRULENTE, PUISSANTE, CONTAGIEUSE
POLITIQUE

(extrait de l’intro)