Développement de l'enfant

Comment vont les ados issus des familles séparées ?

Difficile de comprendre les grands enjeux de la parentalité sans mesurer les interactions parents-enfants, pas vrai ? C’est ce qu’a décortiqué une équipe de recherche de l’UCLouvain. Ici, le focus s’est fait précisément sur les familles séparées et les systèmes de garde. Comment se sentent nos 12-18 ans dans ce contexte chamboulé de la séparation, de la réorganisation, voire parfois de la démerde familiale ?

Cela fait deux ans que Laura Merla, sociologue de la famille à l’UCLouvain, à la tête de l’enquête, nous parle de cette recherche mastodonte dans laquelle elle s’est lancée. Mastodonte, parce qu’elle et son équipe ont sondé 1 600 jeunes sur leur vie de famille, afin de mieux comprendre comment ces derniers vivent les changements dans leur propre tribu. Comprenez par changement : leur fonctionnement au moment des séparations.

Il y a vingt ou trente ans, ce genre d’enquête revêtait un aspect éminemment anxiogène. Les mots « séparation », « divorce », « mode de cohabitation » résonnaient comme des échos tragiques. Et aujourd’hui, à hauteur d’enfants, comment tout cela se vit-il ?

Les pères, cette bonne surprise

Laura Merla nous en apprend beaucoup sur ces parents séparés qui constituent aujourd’hui un tiers des familles en Belgique. Nous savons bien que la notion de famille est multiple. Parents ensemble, séparés, garde exclusive, alternée, homo ou monoparentalité… il n’y a plus de norme unique. En revanche, nous savons moins comment les enfants vivent ce renouveau familial. Notre sociologue, elle-même, semble la première étonnée. « Beaucoup de surprises et même de bonnes surprises ».

Parmi elles, celle de l’entrée en scène des pères. Il y a dix ans ne primait que la garde exclusive chez la mère. Quant à la garde alternée, elle se répandait doucement. Aujourd’hui, 1 enfant sur 10 est en garde exclusive chez le père. Ces mêmes pères qui maintiennent le contact, en partie grâce aux réseaux sociaux, outils plébiscités pour permettre aux uns et aux autres de s’adapter (comme l’app My Kids&co de la Ligue des familles, par exemple). Et au-delà du genre ? Chacun des partis remplit la fonction. « Nécessité parentale fait loi », observe notre experte.

Autre constat frappant : 86 % des jeunes issus des familles séparées sont satisfaits de leur relation avec leurs parents. « En se penchant sur les questions liées à l’adolescence, on s’attendait à des chiffres moins positifs. Attention, ça dit aussi que 14% des ados sont insatisfaits ». La sociologue reste donc prudente. « Tout n’est pas rose non plus, et ces chiffres sont évidemment à mettre en perspective avec les autres maux des adolescents ».

Régulièrement, nous sondons nos grands enfants sur leur ressenti quant à la séparation. Une explication dans ces bons chiffres se situerait-elle dans la souplesse et la concertation dont les parents font preuve ? Le témoignage de Basile, 15 ans, va dans ce sens. « Mes parents ne sont plus ensemble depuis trois ans. Ils s’entendent bien et ont vachement parlé avec nous, dès le départ, en nous demandant comment on voulait s’organiser. Genre, pour moi, vivre chez l’un ou l’autre une fois par semaine, c’est fatigant. Alors, je bouge une fois tous les quinze jours. Mon petit frère, lui, c’est l’inverse. Il va chez l’un et l’autre tous les cinq-six jours. On l’a fait à notre rythme ».

Tant mieux si Basile et son frère se sentent bien. Rappelons toutefois que les expert·e·s nous rappellent qu’en cas de séparation, il faut être attentif à poser un cadre, car les ados cherchent les limites et peuvent facilement profiter de leur garde alternée pour contourner les règles.

Le confort ? La bonne relation

Revenons-en à notre enquête. La souplesse des parents est-elle le seul facteur ? Laura Merla commente les nombreux chiffres de l’enquête. « Nous avons posé plusieurs questions aux jeunes : l’espace qu’ils ont chez eux, le degré de confort, la relation avec le parent, etc. Il en ressort que plus la qualité de la relation avec le parent est bonne, plus il va se sentir bien, chez lui. À l’inverse, les conditions matérielles ont beau être optimales, si la relation est mauvaise, le jeune se sentira moins bien. Un lieu, un foyer, ce n’est pas juste une pièce, mais un espace où il semble important de bien interagir avec les autres ».

Bonne nouvelle pour les nombreux parents séparés qui ont parfois l’impression de ne pas offrir les conditions les plus confortables à leurs enfants. Comme nous le dit d’ailleurs Stefania, maman solo qui vit avec son fils de 17 ans. « J’ai toujours tout fait pour essayer de bâtir un foyer où il ferait bon vivre avec mon fils. Mais quand je vois mon minuscule appartement à côté des maisons immenses dans lesquelles vivent ses copains... Ceci dit, on s’entend à merveille et, quand il était petit, c’est chez nous qu’étaient organisés les anniversaires les plus dingues. Pas de jardin, pas de poneys, mais des idées ! ».

Une bonne relation en dépit de la séparation. Une donnée impensable il y a encore vingt ans. Qu’est-ce qui explique cette amélioration dans le ressenti de nos jeunes ? Laura Merla nous explique qu’il y a une normalisation de la séparation chez les jeunes.

« Ils ne se représentent plus comme vivant une situation plus problématique qu’une autre. Il n’y a finalement plus tellement de différences entre les familles nucléaires (parents ensemble) et les familles séparées. On voit émerger une famille davantage relationnelle et démocratique. Les parents qui vivent ensemble ou mettent en place un hébergement alterné dirigent la famille, ensemble. Séparés, ils continuent à coopérer. De plus, ils ont à leur disposition toute une ‘valisette’ d’outils. En plus des politiques menées en soutien aux familles séparées ou recomposées vient s’ajouter un arsenal numérique qui permet de faire relation. Toutefois, cette étude nous dit aussi qu’il y a plein de manquements. On n’a pas encore développé de moyens pour gérer la suite. Quand un parent se remet en couple. Quand un enfant naît dans la famille recomposée. Comment j’appelle un enfant du même âge que moi, qui vit sous le même toit ? Frère, demi-frère ? Les familles bricolent, les familles inventent. C’est un peu le grand enseignement de cette enquête. »

Allo, maman solo, bobo

Si cette enquête est rassurante sur plein de points, elle vient aussi confirmer que, pour certaines typologies, c’est encore très difficile. Ce n’est une surprise pour personne : pour les familles monoparentales, la réalité est nettement moins réjouissante. Avant d’en dire plus, Laura Merla nous donne sa définition : « Nous sommes partis des ménages dans lesquels un parent héberge son ou ses enfants de façon exclusive. Et de façon largement écrasante, cette configuration-là concerne les femmes ».

Toutes les problématiques bien connues qui découlent de cette situation sont confirmées dans l’étude de l’UCLouvain : articulation ardue de la vie professionnelle et de la vie familiale, difficulté ou impossibilité à percevoir une rente alimentaire, moins de probabilités à se remettre en couple - et lorsque cela arrive, ramené à hauteur des jeunes, c’est dans cette configuration familiale là que ces derniers sont les plus nombreux à exprimer une tension avec le partenaire.

Bonne nouvelle tout de même, en dépit de ces difficultés, nos ados disent qu’ils ont une relation de bonne qualité. Nous le savions déjà, mais les chiffres ont parlé pour vous, mamans solos. Si vous éprouvez des difficultés parfois insurmontables, vous avez la reconnaissance continuelle de vos petit·e·s. Et s’ils ont l’air parfois ingrat·e·s - si, si - en secret, tout bas, ils ne disent que du bien de votre relation. Nous sommes ravis de voir confirmé ce que l’on voit tous les jours sur le terrain. Toute singularité familiale est possible à partir du moment où elle est régie par ce petit ingrédient miraculeux que l’on appelle l’amour.

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