Loisirs et culture

Les albums jeunesse emmènent souvent les jeunes lecteurs et lectrices en promenade dans la nature. Pourtant, voici trois livres - et ce n’est pas fréquent - qui ont opté pour des décors urbains. La ville, tantôt accueillante, tantôt inquiétante, tantôt surprenante.
► Lucky Joey
Lucky Joey est autant un superbe album grand format (35x25) qu’une œuvre d’art : chaque page a été travaillée sur toile en plusieurs couches de peinture à l’huile par une figure de l’illustration québécoise, Stéphane Poulin. L’histoire est signée Carl Norac, dont on ne compte plus les recueils et les récits pour la jeunesse. Poète national de cette année, il est l’ambassadeur du genre auprès du grand public et a ému bien des gens en mobilisant ses confrères et consœurs pour la rédaction de poèmes à l’intention des disparu·e·s du Covid qui n’auraient pas reçu les funérailles attendues.
Rien de tel avec Lucky Joey, une histoire qui nous entraîne au bord de Central Park, en plein New York, sur les traces d’un minuscule écureuil. Son métier ? Laveur de vitres sur les plus hauts gratte-ciels ! Il rêve de mariage avec son amie Léna, repasseuse chez Dry Express… Deux ouvriers qui manquent de sous et doivent travailler dur…
Face à eux, toute une ménagerie habillée comme des humains, au réalisme magique : un crocodile, un vieil ours, une girafe, un porc et, surtout, un méchant rhino nommé… Strump ! Dans ce décor mouvementé de tours, grues, nacelles, qui se lit en doubles pages tantôt à l’horizontale, tantôt à la verticale, c’est tout le rêve américain qui se joue sous nos yeux. Le héros ne s’appelle pas Lucky Joey pour rien.
Lucky Joey, de Carl Norac et Stéphane Poulin (Pastel/L’école des loisirs). Dès 4 ans.
► Perdu dans la ville
Dans une ambiance hivernale comme on n’en connaît plus, Sidney Smith raconte avec réalisme l’histoire d’un petit garçon… perdu dans la ville. Une ville bruyante, agitée, ses tours imposantes, ses feux de circulation, ses ruelles sombres, autant d’éléments qui contrastent avec la déambulation contemplative et intérieure du garçonnet. Celle-ci est renforcée par une voix off : « Je sais ce que c’est, de se sentir perdu dans une grande ville. Mais je te connais. Tout ira bien ». Mais qui parle ? Et à qui ? Le suspense est entier et renforcé par la représentation toute géométrique de la ville avec des droites parallèles et verticales, des lignes entrecroisées, des perspectives fuyantes, des cadres, des gros plans et des plans larges, des contre-plongées, sans oublier quelques trouvailles graphiques. Seul dans la ville, mais pas dans ses pensées : le lecteur ou la lectrice découvre à la fin de ce récit subtil toute sa force résiliente annoncée par le gimmick « Mais je te connais. Tout ira bien ».
Perdu dans la ville, de Sidney Smith (L’école des loisirs/collection Kaléidoscope). À partir de 6 ans.
► De ville en ville
Auteure pour adultes et traductrice belge, Emmanuèle Sandron propose son premier texte jeunesse avec De ville en ville. Comme à son habitude, la maison d’édition CotCotCot a particulièrement soigné la présentation de ce récit en l’intégrant dans un album paysage (reliure en haut et lecture horizontale). Le texte figure en page supérieure, tandis qu’une illustration pleine page de collages chamarrés de Brigitte Susini lui fait écho à l’étage inférieur. Le tout emballé en grand format toilé (25x35).
Le dispositif n’est pas gratuit : il répond à une traversée de villes plus imaginaires les unes que les autres : zoologique, souterraine, aérienne, aquatique, à l’envers, mais aussi ville de fils ou ville de robots et de gros mots, toutes peuplées de personnages fantastiques, aux comportements étranges. Pour qui a une âme d’enfant, la magie est au rendez-vous.
De ville en ville, d’Emmanuèle Sandron et Brigitte Susini (CotCotCot éditions). « Pour petits et grands explorateurs », dixit l’éditeur.
Michel Torrekens