Vie pratique

Devenir parent quand on est homo, parfois un parcours du combattant, toujours un choix réfléchi

La parentalité quand on est un couple homo comporte des enjeux et des aspects très spécifiques

Si devenir parents en tant que couple homosexuel n’est plus aussi compliqué qu’auparavant, il y a tout de même encore certains progrès à faire. Adoption, procréation médicalement assistée ou gestation pour autrui, chacun de ces parcours comporte ses enjeux. Des défis qui peuvent conditionner la parentalité.

Danielle a 21 ans quand elle veut avoir son premier enfant avec sa compagne de l’époque. Nous sommes en 2008. Les deux Françaises immigrées en Belgique s’adressent à un hôpital bruxellois pour une procréation médicalement assistée.
« On a dû passer devant une psy avec qui le contact s’est moins bien passé qu’avec les autres psys que j’ai pu rencontrer dans ma vie. Elle n’avait pas un accueil bienveillant. Personnellement, je l’ai très mal vécu. J’avais l’impression de passer un examen avec des pièges et que je n’avais pas révisé ». Mal vécu à tel point que les futures mamans décident de mettre leur projet au frigo pendant deux ans.
« On nous a finalement donné la permission d’avoir un enfant. C’était très difficile à vivre de se dire qu’on devait avoir l’autorisation d’une personne extérieure pour être parents. Or on est comme les autres couples, tout aussi aptes et impliqués. »
Elles finissent par donner naissance à Maélia. La petite grandit. La vie suit son cours. Les parents se séparent. Danielle rencontre Maïté avec qui elle décide aussi d’avoir un enfant. « Pour le deuxième, la démarche a été beaucoup plus souple et beaucoup moins axée sur le jugement et les capacités parentales », explique Danielle. Tiago naît il y a trois ans. La famille recomposée coule aujourd’hui des jours heureux en Belgique.

Une évolution des mentalités ?

Huit ans séparent ces deux naissances. On pourrait donc se dire que les mentalités évoluent. Mais ce n’est pas l’analyse qu’en fait Danielle. Pour elle, c’est surtout une question de lieu. « Le deuxième hôpital était plus familial, plus petit, on était davantage prises en considération dans nos spécificités ».
Ces spécificités sont aujourd’hui légalement reconnues en Belgique. La loi du 23 décembre 2014 permet en effet aux co-parents, qu’importe le sexe, de revendiquer le lien de filiation sans devoir passer par l’adoption. « Nous sommes allées déclarer la naissance en disant que nous étions les deux parents. Tiago a nos deux noms et est Belge », explique Maïté. Un cadre légal qui fait dire à Danielle que notre pays est pionnier.
« Ce qui est facile ici, c’est que la législation encadre bien les choses. On peut avoir des enfants. Des centres médicaux nous accompagnent pour la procréation médicalement assistée. Nous y avons accès au même titre qu’un couple hétéro. »

Le frein international

Les mamans ont aujourd’hui décidé d’avoir un autre enfant, mais, cette fois, ce sera Maïté qui le portera. « Ça va être plus compliqué », explique-t-elle. « En France, la coparentalité n’est pas reconnue de manière aussi automatique qu’ici, complète Danielle. Comme je suis Française, je ne vais pas être reconnue directement en tant que co-parent. Je vais devoir adopter mon enfant. C’est là qu’il y a encore des progrès à faire ».
Si la France donne le droit aux parents de même sexe d’adopter un enfant, tous les pays ne l’accordent pas. C’est rarement le cas en réalité. Et cela peut freiner aussi au moment de l’adoption d’un enfant étranger par un couple homosexuel chez nous.
L’adoption, c’est une option qui est souvent choisie par des couples d’hommes étant donné que la PMA est impossible. C’est le chemin emprunté par Damien et son compagnon, aujourd’hui parents du petit Léo, 1 an et demi.
« On ne va pas dire que l’adoption est un parcours du combattant car ce n’est pas compliqué, commence Damien. Ce qui peut être difficile, c’est l’attente ». Comme pour tous les couples qui adoptent, les démarches prennent du temps.

​​​​​​​« On ne va pas dire que l’adoption est un parcours du combattant car ce n’est pas compliqué. Ce qui peut être difficile, c’est l’attente »

« Et encore, nous, ça a été rapide. Cela nous a pris trois ans alors qu’on nous avait dit que cela pouvait en prendre six ou sept. Les procédures ne sont pas compliquées. Nous les avons entamées auprès de l’ONE. On suit une formation et tout y est expliqué clairement. Nous n’avons ressenti aucune différence de traitement avec les couples hétéros qui étaient présents en même proportion, 50/50, que les homos. »

Le veto des parents biologiques

Pendant ce parcours, aucune différence n’est donc faite entre les futurs parents de même sexe et les hétéros. « Un couple de candidats à l’adoption est considéré comme un couple, peu importe qu’il soit homosexuel ou hétérosexuel », confirme Frédéric Lethé, directeur de l’Autorité centrale pour l’adoption en Fédération Wallonie-Bruxelles. Même son de cloche du côté de l’ONE, là où Damien et son compagnon ont suivi le processus.
Parents hétéro ou homo, si le résultat est le même, une famille, il y a tout de même certaines spécificités dans les procédures pour les couples de même sexe. Ainsi, les questions affinées posées aux couples homos vont porter sur la future appellation des papas ou des mamans pour bien les différencier, sur la capacité d’envisager les interrogations futures de l’enfant par rapport à sa situation familiale, etc.
Il est aussi question de la présence d’une ou de plusieurs personnes de référence de l’autre genre dans l’entourage proche. Pour Damien et son compagnon, cela leur semblait logique. « L’ONE nous l’a demandé avec bienveillance. Nous avons choisi deux marraines. C’est un choix personnel. L’ONE nous a dit que si ce n’était pas le cas, c’était très bien aussi ».
Pas d’obligation de rôle assigné selon le genre de l’entourage de l’enfant. De quoi mettre les stéréotypes de côté. Le tableau belge serait donc plutôt égalitaire. Reste tout de même une entrave à l’adoption par des couples de même sexe : le veto des parents biologiques.
Quand la mère (et le père s’il est connu) décide de mettre son enfant à l’adoption, elle doit donner son accord à l’avance pour que son enfant soit accueilli par un couple de même sexe. Il ne s’agit pas d’une règle légale mais d’une pratique pour éviter que la famille biologique ne rétropédale.
« La loi prévoit que la mère a le droit de se rétracter et de retirer ce consentement jusque six mois après le dépôt de la requête en adoption, explique Frédéric Lethé. Ce retrait de consentement a pour effet d’annuler l’adoption, alors que l’enfant a déjà vécu chez ceux qui devaient devenir ses parents adoptifs. C’est quelque chose de déstructurant, voire de violent, pour l’enfant et pour les futurs parents adoptifs. Dès lors, en pratique, afin de préserver l’intérêt de l’enfant, les organismes d’adoption vont tenir compte des réserves exprimées par la mère au moment de son consentement. »
Entre 2018 et 2020, près de 53 % des mamans biologiques ont donné leur accord. Une mince majorité qui permet aux couples homos de devenir parents. Et cette proportion grandit d’année en année. En adoption interne, le pourcentage de couples homosexuels par rapport au total des adoptions est passé de 12 % en 2018 à 38 % en 2020. Des chiffres qui montrent que notre pays donne de plus en plus la possibilité à chacun·e de devenir parent.
C’était peut-être moins le cas il y a dix ans. C’est ce que révèle l’expérience de Mathieu et Arnaud. Ils ont voulu adopter, mais n’ont pas eu de place sur la liste d’attente. « Ça a été très dur à vivre, raconte Mathieu. Une grosse remise en question personnelle pour tous les deux. Est-ce qu’au fond, on peut être parents ? Qu’a-t-on de si mauvais en nous pour être rejetés ? J’en ai conclu qu’il y avait un profil type de candidats et que nous n’y collions pas. Mais ce n’est pas une question d’orientation sexuelle ».

La GPA : toujours en zone grise

Le couple se tourne donc vers une autre option : la gestation pour autrui. Contrairement à la procréation médicalement assistée ou à l’adoption, cette possibilité n'est pas encadrée légalement en Belgique, ce qui la place dans une zone grise. Mathieu et Arnaud sont allés au Canada dans un premier temps, mais le premier essai ne fonctionne pas et la mère porteuse finit par leur envoyer un SMS. « Je ne peux plus ». Mathieu et Arnaud comprennent tout à fait. « C’est dur physiquement et psychologiquement d’être mère porteuse. On est allé la voir plusieurs fois, mais on ne pouvait pas la soutenir au jour le jour ».
Direction les États-Unis. « Le discours des grosses agences ne nous correspondait pas. Puis nous sommes tombés sur une petite agence au milieu de nulle part, dans l’Idaho. C’était très familial, on s’y retrouvait bien. Notre dossier de présentation est retenu par une mère porteuse ».
Le courant passe à merveille. Le transfert fonctionne. Boum, boum, boum boum... Le battement de cœur du fœtus traverse l’océan pour parvenir à ses futurs papas. « Elle avait acheté une machine à ultrasons pour les envoyer. On pouvait leur envoyer nos voix et des petites chansons. C’était notre grossesse. On l’a vécue comme si on était à côté, dans la joie et la confiance ». Aujourd’hui, Martin a 3 ans et vit en Belgique avec ses parents.
Trois familles, trois parcours pour le devenir. Ont-ils conditionné leur parentalité ? « Oui, car cela nous impose de nous interroger. Plus que si on avait eu un rapport sans contraception un soir et que neuf mois plus tard il y avait eu un bébé, répond Mathieu. Ici, on a eu le temps de se poser énormément de questions qu’un couple lambda ne se pose jamais ». « Comme c’est un cheminement qui est plus complexe qu’un acte sexuel, un peu comme des hétéros qui auraient des difficultés à avoir des enfants, on se bat pour l’avoir », ajoute Danielle. À part ça, « on est vraiment une famille comme les autres », conclut Damien.