Société

Patricia Forget est pédiatre oncologue. Pendant plus de vingt ans, elle a exercé son métier avec passion. Il y a cinq ans, sa carrière connaît un tournant : dans l’impossibilité de parler à ses patientꞏes, la toubib décide d’écrire.
Mars 2020. Patricia Forget, pour la première fois en vingt ans de carrière, se retrouve à l’arrêt, contrainte et forcée. Vingt ans qu’elle exerce son métier avec passion. Mais, à mesure que l’hôpital prend des allures entrepreneuriales, la perte de sens s’immisce et sème le doute chez la toubib. L’hôpital doit être rentable, les soignant·es aussi.
Il faut facturer un maximum, prescrire des examens coûteux, faire tourner la boutique. Des impératifs aux antipodes des besoins des patient·es. Annoncer la maladie, choisir les mots justes, prescrire une chimio, passer des coups de fil pour se renseigner sur un traitement… Autant d’étapes qui jalonnent les journées de la pédiatre oncologue, mais qui ne se facturent pas.
Sublimer plutôt que sombrer
Sur l’avis du médecin-conseil, Patricia quitte l’hôpital du jour au lendemain. « Ce qui m’a fait me sentir très mal, c’est de ne plus pouvoir être aux côtés de mes patients, en particulier trois qui allaient très mal ». Dans la douleur, une idée germe. « Je me suis dit, je ne peux plus leur parler, mais je peux leur écrire. Écrire sur ce qui me manque, sur mon quotidien de médecin, sur les questions des patients ».
L’écriture comme une pulsion de vie. Un projet porteur de sens qui permet à Patricia de ne pas sombrer. Mieux que ça, il la porte. L’énergie afflue à nouveau. Patricia peaufine ses textes, prend contact avec des maisons d’édition, fait lire son manuscrit à des parents. Les retours sont positifs.

« Ce qui est dingue quand on travaille en onco avec les enfants, c’est qu’on est dans la vie tout le temps »
« J’ai appris énormément au contact des patients et de leurs parents. Cela m’a permis de développer une finesse dans ma communication et de me sentir légitime dans l’écriture ». En fonction de l’âge de l’enfant, de son état émotionnel, des relations familiales qu’elle perçoit, Patricia ajuste son curseur. « J’essaye toujours d’être la plus enveloppante possible, tout en disant clairement les choses ». Elle tire un fil ténu. De la dentelle. Les parents d’un petit patient rapportent que Patricia aurait tout aussi bien pu leur annoncer la fin du monde, tellement elle avait réussi à mettre la forme.
L’annonce de la maladie - et les mots pour le dire - est une étape cruciale. Chez les parents, il y a une réaction assez universelle d’effondrement. « La maladie est un long combat jalonné d’étapes. Après l’effondrement, les parents vont pleurer, chercher l’information, avoir peur pour ensuite renourrir un espoir ». L’effondrement chez l’enfant a une autre temporalité, il s’effectue petit à petit à cause des conditions de vie imposées par la maladie.
Les enfants ont un mental d’acier
« Face à l’annonce de son cancer, le premier réflexe de l’enfant, c’est de se tourner vers son parent et de raisonner en miroir ». Patricia se souvient de la réaction d’un petit patient de 11 ans qui répétait en boucle : « Combien de chance sur dix ? ». Patricia répondait entre 8,5 et 9,5, le garçon était bouche bée.
« Contrairement au cancer de l’adulte, la maladie progresse très rapidement chez l’enfant. Ce qui nous permet de diagnostiquer plus vite. Les enfants répondent aussi mieux au traitement, car plus les cellules se multiplient, plus la chimio est efficace. Toutes tumeurs confondues, le taux de guérison est de 85% chez l’enfant. »
Patricia parle de ses petits patients cancéreux avec énormément d’affection. Elle n’a pas besoin de préciser qu’elle les aime inconditionnellement. Ses mots et ses yeux sont là pour en témoigner. On sent la passion du métier chevillée au corps et on ne résiste pas à cette dernière question : qu’est-ce que ce travail auprès des enfants atteints du cancer vous a appris ? « Ce qui est dingue quand on travaille en onco avec les enfants, c’est qu’on est dans la vie tout le temps. Ils sont ancrés dans le présent et ont une faculté bouleversante à rebondir ».
Patricia se souvient d’un garçon souffrant d’une grosse toxicité hépatique, son ventre était gonflé comme un ballon. Transféré en urgence aux soins intensifs pour une greffe, il réintègre le service après plusieurs semaines. Le garçon se plaint de maux de ventre. Patricia entre dans la chambre, concentrée sur son travail et sur l’enfant qui grimace. Mais quand elle soulève la couette, celui-ci se met à hurler de rire tout à son bonheur de l’avoir effrayée avec une grosse peluche araignée.
Pour Patricia Forget, ce mental d’acier propre à l’enfance est une arme précieuse pour combattre la maladie. « Les enfants n’arrivent pas déprimés, ils abordent le traitement confiants et ramènent leurs parents dans la vivance ». Avec son livre, Patricia Forget a réussi à cultiver le lien fort qui l’unit aux enfants atteints d’un cancer et ériger ses connaissances en un véritable outil à partager.
- Explique-moi mon cancer. Leurs questions, nos réponses, de Patricia Forget et Delphine Hermans (Altura)
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