Santé et bien-être

Endométriose : des règles trop douloureuses, ce n’est pas normal

Maladie mal diagnostiquée, l'endométriose touche pourtant plus d’une femme sur dix

C’est une maladie mal diagnostiquée, mais qui touche plus d’une femme sur dix. Ce sont des douleurs intenses trop souvent banalisées. L’endométriose devrait faire l’objet de davantage de sensibilisation dans les mois et années à venir. Un travail nécessaire pour une maladie trop souvent ignorée.

C’est un beau projet qui se prépare pour Émilie et son compagnon : un deuxième enfant. Nous sommes en 2018. La maman de 26 ans arrête la pilule contraceptive et c’est là que le rêve tourne au cauchemar. « J’ai commencé à avoir des règles très douloureuses, chose que je n’avais pas auparavant. Quand j’en ai parlé à mon médecin traitant, elle m’a dit que c’était tout à fait normal. Elle me disait qu’après une première grossesse, le corps change. Moi, je les comparais quasiment à des contractions. Ce n’était pas normal ».
Alors que pour le premier enfant, Émilie était tombée enceinte assez rapidement, le deuxième est plus compliqué à concevoir. « J’ai fini par aller voir ma gynécologue pour ces soucis d’infertilité. Et j’en ai profité pour lui parler de mes douleurs. Elle n’a pas mentionné l’endométriose. Elle a vu à l’échographie que j’avais un kyste, mais elle m’a dit qu’on allait d’abord voir comment ça évoluait. Elle m’a donné rendez-vous trois mois plus tard ».
Il n’a pas fallu attendre ce délai : deux mois après, le kyste éclate une première fois. « Je me suis retrouvée aux urgences avec des douleurs plus intenses que des contractions. Là-bas, l’infirmier m’a remballée avec des anti-douleurs en me disant que c’était normal. ‘Un kyste, ça suinte, ce n’est pas grave’ ».
À la maison, la température corporelle d’Émilie augmente jusqu’à atteindre les 40°C. Son mari est inquiet et la pousse à retourner aux urgences. « Je suis tombée sur une urgentiste beaucoup plus compréhensive. Elle a appelé le gynécologue de garde. C’est là qu’on a découvert que le kyste avait éclaté dans mon abdomen ». Émilie se fait alors opérer et ce n’est qu’au moment de cette intervention chirurgicale que les médecins posent le diagnostic : elle souffre d’endométriose.

Du sang des règles dans l’abdomen

« L’endométriose, c’est du sang des règles qui n’a pas été évacué par l’utérus vers le vagin comme c’est le cas habituellement », explique Pierre-Arnaud Godin, médecin chef du service de gynécologie au CHC de Liège. Il est l’un des fondateurs de la Clinique de l’endométriose. « Le sang des règles, qui vient de l’endomètre, va plutôt remonter par les trompes vers la cavité abdominale, une sorte de grand sac où se trouvent nos organes. Ce sang peut alors s’y attacher. Il peut aussi se poser sur le péritoine, cet espèce de papier peint qui recouvre l’intérieur de cette cavité. Si des cellules y restent, cela peut mener à une infection ».
C’est ce qui est arrivé à Émilie. Dans d’autres cas, le sang se balade dans le corps et va toucher d’autres organes : la vessie, les intestins, le nerf sciatique, voire remonter jusqu’au diaphragme, ce qui peut donner des douleurs à l’épaule. Car, à chaque fois que le sang va se poser quelque part, cela crée des lésions. Le corps va alors appeler tous ses soldats immunitaires, ce qui crée une inflammation et donc des douleurs.
« Ces douleurs reviennent à chaque fois que l’inflammation s’accentue, c’est-à-dire quand la patiente saigne », explique le médecin. Autrement dit, à chaque fois que la femme a ses règles, l’inflammation prend un peu plus d’ampleur. « Et ça va provoquer des douleurs très importantes ».

Des douleurs banalisées

Ce sont ces douleurs qui rendent le diagnostic si difficile. Elles sont banalisées : une femme qui a mal pendant ses règles, c’est perçu comme normal. « Au siècle dernier, on qualifiait même ces femmes d’hystériques », explique le médecin. On a appris à la moitié de l’humanité à prendre sur soi, même quand la douleur est disproportionnée.

En Belgique, il faut généralement sept ans pour que le diagnostic de l’endométriose soit posé

« Le gros problème de cette maladie, c’est qu’il s’agit d’une accentuation de symptômes physiologiques, continue Pierre-Arnaud Godin. C’est quelque part normal qu’il y ait des douleurs pendant les règles, mais ce qui ne l’est pas, c’est qu’elles soient très importantes. Il faut donc avoir l’oreille attentive. À la fois dans le chef du personnel soignant, des médecins, mais aussi dans certaines familles. Quand une maman a de l’endométriose, sa fille a 30% de chances de plus d’en avoir. Ça veut dire que la maman qui a des douleurs depuis longtemps sans être diagnostiquée va peut-être dire à sa fille que c’est normal d’avoir mal. C’est pour cela qu’il y a des ‘familles d’endométriose’, où la maladie se passe de génération en génération. »

Des douleurs qui entravent le quotidien

Le message que ce médecin et les associations s’évertuent à faire passer, c’est donc qu’avoir si mal pendant les règles, ce n’est pas normal. « Des douleurs qui empêchent une activité sociale, d’aller à l’école, au travail, ça nécessite une consultation et même plus, si nécessaire. Car si le premier médecin n’est pas attentif, il faut consulter et aller dans des centres de référence ».
Pour Laura, aujourd’hui âgée de 23 ans, ce n’est pas un, ni deux médecins qu’il a fallu consulter pour être diagnostiquée… mais vingt-et-un gynécologues. Il a fallu six ans à l’adolescente qu’elle était pour être dépistée, soit un peu moins que la moyenne. Les études montrent qu’il faut généralement sept ans pour être diagnostiquée de l’endométriose en Belgique.
« Je suis très têtue et je me disais que ce n’était pas normal de faire des malaises comme j’en faisais, de souffrir autant. Aucun gynécologue ne me parlait d’endométriose. C’est finalement sur Google que j’ai trouvé la réponse à mes questions et que j’ai suggéré à un gynécologue cette possibilité. J’ai demandé qu’il me fasse les examens. Là encore, c’était compliqué, car l’imagerie ne montrait pas la maladie. Pendant ce temps, elle continuait à gagner du terrain ». Comme pour Émilie, c’est finalement une opération chirurgicale qui a permis le diagnostic.
Pour Pierre-Arnaud Godin, ces témoignages sont la preuve de l’importance d’avoir des centres de compétences. Pour que les patientes puissent être prises en charge correctement, mais aussi pour former et sensibiliser les professionnel·les de première et deuxième lignes. Il existe quatre centres de ce type en Belgique francophone : deux à Liège, un à Mons et à un à Bruxelles. Mieux former permettrait d’éviter les errances médicales pendant lesquelles la maladie fait beaucoup de dégâts physiques, mais aussi psychologiques.
« Quand il n’y a pas ces centres de compétences, les gens sont mal opérés et les douleurs s’accentuent. La stérilité aussi. Et pour finir, les femmes ont une très, très longue histoire de mauvaise prise en charge. Les conséquences sont énormes sur leur histoire psychologique. La chirurgie va ensuite être plus compliquée, lourde et d’autant plus difficile à réaliser. » La chirurgie s’apparente en effet à celle opérée lors d’un cancer où les métastases se sont multipliées dans le corps, sans être aussi agressive. Et puis, il y a toute la prise en charge multidisciplinaire. « Un accompagnement psychologique, sexologique, discuter de prévention et de prise en charge complémentaire des douleurs qui n’auront pas été solutionnées par la chirurgie ».

Symptômes de l'endométriose
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Des conséquences sur la vie intime

Car, non, on ne guérit pas de l’endométriose aujourd’hui. Il existe des traitements hormonaux pour atténuer les symptômes, mais certaines conséquences changent la vie des femmes jusqu’à leur ménopause. « Par exemple, explique Laura, je regarde toujours s’il y a des toilettes quand j’arrive quelque part. À cause de mon endométriose, j’ai des crises de diarrhées qui sont instantanées, je dois aller aux toilettes dans la minute ».
Pas toujours facile de parler de ce genre de conséquences qui touchent à l’intime. « Il y a aussi beaucoup de couples qui ne tiennent pas à cause de cette maladie. Quand on a des lésions au niveau du vagin, les rapports sont extrêmement douloureux, la libido baisse, on n’a plus envie car on a mal, on pleure, on saigne. Beaucoup de couples ne résistent pas à cela ».
Si Laura est têtue, elle apprend aussi à être résiliente et a réussi à faire de cette maladie un combat qu’elle mène grâce à son association Toi mon endo.

SUR LE TERRAIN

Des assos pour aider

La sensibilisation à l’endométriose, Laura et Émilie s’évertuent à la faire via leurs associations respectives : Toi mon endo et Endométriose Belgique. C’est ainsi qu’il existe aujourd’hui des sensibilisations du grand public en milieu scolaire, mais aussi et surtout que le mot endométriose a été prononcé et débattu dans les différents hémicycles du pays. Résultat, la Wallonie, Bruxelles et la Fédération Wallonie-Bruxelles ont décidé de donner des moyens pour davantage de sensibilisation. Au fédéral, Laura aimerait être soutenue pour mettre en place un projet pour sensibiliser les professionnel·les, mais aussi pour obtenir un remboursement adéquat à la réalité des patientes.