Vie pratique

Laisser filer de l’argent sur le web ? Trop facile ! Le constat est vrai pour les parents, mais aussi pour les enfants et les ados. Afin d’éviter des dépenses d’argent inconsidérées, il vaut mieux prévenir que guérir. Exemple avec les jeux vidéo.
La société de consommation est magique. Aujourd’hui, dépenser de l’argent peut se faire en un clic (ou presque). Une facilité déconcertante qui peut donner des sueurs froides aux parents. Car si les enfants et les ados dérapent en achats sur le web, la responsabilité finale leur tombera dessus. Parmi les craintes exprimées par les parents, l’excès de dépenses liées aux jeux vidéo. Une crainte que peut comprendre Maxime Verbesselt, chargé de projets chez Action Médias Jeunes : « L’industrie du jeu vidéo à forcément toujours évolué avec la technologie. Les jeux sont devenus de plus en plus perfectionnés dans leur conception. Mais la technologie n’a pas profité qu’à cela. Elle a aussi permis le développement de nouvelles mécaniques pour rentabiliser les produits mis le marché ». Aïe, danger, l’argent s’en mêle.
Petit retour en arrière pour mesurer une évolution, dans un domaine précis, mais qui s’applique à bien d’autres. Maxime Verbesselt se plie à l’exercice : « À la fin des années 1970, début des années 1980, le jeu vidéo, c’était avant tout le jeu d’arcade, cette machine équipée d’un monnayeur qu’on trouvait dans les cafés, les luna-parks. Au début de la partie, le jeu était facile, la pièce engagée permettait de jouer assez longtemps, mais plus on avançait, plus il fallait remettre rapidement de l’argent. Dans le même temps, un tableau de score venait stimuler l’envie d’aller plus loin. La différence avec les jeux en ligne d’aujourd’hui, c’est qu’on ne pouvait dépenser que l’argent qu’on avait en poche, de la monnaie sonnante et trébuchante ». Effectivement, à l’époque, pas de paiement par coups de téléphone ou SMS payants.
Un chat dans un sac
Au fil du temps, les concepteurs de jeux ont donc introduit les paiements digitaux dans leurs configurations. Le « contrôle social » du café ou du luna-park a disparu. Des techniques plus ou moins loyales ont été mises en places qui nécessitent parfois l’intervention du législateur. « Ainsi en Belgique et aux Pays-Bas, le principe des ‘loot boxes’ a été interdit dans les jeux vidéo. Ces ‘boîtes surprises’ étaient vendues au fil de la partie. On vous proposait d’acheter un chat dans un sac, c’est le hasard qui déterminait le déguisement, l’arme, l’objet dont votre personnage allait se retrouver pourvu. Le législateur a estimé que là, on tombait dans un mécanisme qui relevait du monde du jeu d’argent et du hasard. Que ça n’avait pas sa place dans l’univers du jeu vidéo ».
La pratique a donc été jugée déloyale. Désormais, ces jeux offrent une version différente pour le public belge ou sont interdits à la vente. Reste que dans un marché globalisé, où les frontières s’estompent, l’effet de ce type de décision peut être relatif. C’est là qu’on se dit que le rôle préventif des parents est essentiel.
Un logo qui dit « warning » !
« Je crois beaucoup dans l’accompagnement éducatif au jeu vidéo, explique Maxime Verbesselt, qui est également impliqué dans le projet Webetic soutenu par la Ligue des familles. Pour éviter les dérapages et les mauvaises surprises, les parents doivent accompagner leur·s enfant·s. Il faut vérifier si le jeu contient des systèmes de micro-transactions. »
Un truc pour identifier ces jeux vidéo « à risques » ? « L’industrie a intégré une signalétique de type PEGI (âge conseillé, violence, sexe) pour attirer l’attention des joueurs sur la présence de micro-transactions dans certains jeux vidéo. Le logo, qui représente une main avec une carte de crédit, n’est pas officiel, c’est une initiative du secteur qui ainsi opté pour la voie de l’autorégulation afin d’éviter une intervention du législateur. C’est bien, mais ce n’est pas suffisant ».
Le plus simple, c’est de juger sur pièce… en jouant. « Il faut essayer de jouer avec l’enfant pour identifier les mécanismes mis en place. Généralement, on se fait rapidement une idée, les jeux ‘moins loyaux’ demandent assez vite de passer à la caisse. Une fois les procédés identifiés, il faut mettre en garde les ados, les faire réfléchir sur les mécanismes ».
Maxime Verbesselt va même plus loin : « Plutôt que de diaboliser les jeux, il peut être intéressant d’en faire un outil d’éducation financière. Apprendre à son enfant à gérer son budget pour l’achat de gadgets sur des jeux vidéo, c’est important. Il faut attirer son attention sur ces jeux soi-disant gratuits qui, en cours de route, vous font débourser de l’argent pour franchir des étapes. Il faut lui montrer que, finalement, c’est peut-être plus intéressant d’acheter un autre jeu moins mensonger, plus loyal, et au final moins coûteux que le soi-disant gratuit ».
Se mettre à hauteur d’enfant avec une réflexion d’adulte reste toujours la meilleure solution pour aborder les situations délicates. L’éducation financière ne déroge pas à la règle, même (et surtout peut-être) lorsqu’elle prend les atours d’un plaisir ludique et faussement virtuel.
Thierry Dupièreux
En pratique
Et si, malgré tout, enfants ou ados se lancent dans des achats inconsidérés en ligne, que faire ?
- Il faut savoir qu’en théorie, les mineurs sont « incapables de contracter », mais la jurisprudence admet que les mineurs en âge de discernement ont la capacité juridique réelle pour de nombreux achats. Le discernement, c’est quoi ? Anticiper et de comprendre la conséquence de ses actes. Petit problème, cet âge magique n’est pas défini par la loi, il est déterminé au cas par cas. Il tend actuellement à tourner autour des 12 ans.
- Si un mineur conclut un contrat sans avoir de discernement, le contrat peut toujours être annulé. Si le mineur est en âge de discernement, le contrat pourra aussi être annulé, mais seulement à condition que l’engagement du mineur soit disproportionné par rapport à ses ressources financières.
- Dans tous les cas, les spécialistes de la question ont un conseil majeur. Allez d’abord voir ou contactez le vendeur pour expliquer la situation. Souvent, une société ou un·e commerçant·e préfèrera effectuer un remboursement plutôt que de s’exposer à une mauvaise publicité.
- Plus procédurière, l’utilisation du « délai de rétractation légale ». Dans un magasin, l’achat est définitif et vous ne pouvez pas revenir sur votre décision. Ce n’est pas la même chose en ligne. Durant un délai de 14 jours, vous pouvez renoncer à un achat effectué à distance. Il existe des formulaires type sur le site internet du SPF Economie.
- Au bout du compte, si vous ne parvenez pas à faire entendre raison au vendeur, il reste la voie du tribunal. Mais là, il s’agira de venir prouver que votre enfant a soit été lésé par la transaction, soit effectué un achat exceptionnel et pas une dépense de la vie courante. Encore une fois, pour éviter tous ces désagréments, la meilleure solution, c’est la prévention.
Des revendications ?
Dans un dossier paru en 2015, l’organisation de défense des consommateurs Test Achats était venue avec plusieurs demandes comme la systématisation d’un système de vérification de l’âge pour toute vente en ligne. La même association estimait qu’il n’existait pas « d’informations claires, adaptées au mineur, sur ses droits et ses obligations lors d’un achat » et que celles-ci « devraient être disponibles en version papier ou sur internet ».
C’était en 2015. Aujourd’hui peu de choses ont changé, sur un point il y a même un certain recul. Test Achats estimait ainsi à l’époque que le législateur devrait « interdire l’utilisation des données à caractère personnel des mineurs à des fins de marketing direct ». Au SPF Economie, on attire ainsi notre attention sur un point lié à l’entrée en vigueur du RGPD (Règlement général sur la protection des données). « En vertu du RGPD, la législation de transposition stipule explicitement qu'un mineur âgé de 13 ans peut donner son consentement à ce que ses données personnelles soient utilisées à des fins commerciales, par exemple pour l'ouverture d'un compte Facebook ». Vous avez dit paradoxal ?