Santé et bien-être

« Entrer dans l’univers hospitalier, c’est aussi entrer dans un milieu inhospitalier »

Les hôpitaux ne sont évidemment pas des lieux que les parents aiment fréquenter. Mais, parfois, c’est un passage obligé pour son enfant, que ce soit pour de simples examens, une opération chirurgicale ou tout autre parcours de soins plus long. Comment préparer son enfant à tout cela et se préparer en tant que parent ? On en parle avec Sylviane Legros, neuropsychiatre et anthropologue de la santé.

Entrer dans une unité pédiatrique, c’est souvent faire une plongée dans un univers très contrasté, à la fois tout doux et très froid. D’un côté, un décor coloré, rassurant. De l’autre, des appareils médicaux, des protocoles sanitaires et un acte chirurgical ou un examen à effectuer. Ce contraste, les enfants le ressentent, ce qui va nécessairement générer du stress.  Cette mécanique négative peut-elle être contrariée ? Oui, et, comme très souvent, les parents ont un rôle central à jouer.

Vous avez co-écrit il y a quelques années une brochure intitulée Mon enfant va être hospitalisé. Comment le préparer ? (Malheureusement épuisée à ce jour). D’où vous est venue cette idée ?
 Sylviane Legros : « C’est suite à un épisode hospitalier de mes enfants qu’une collègue m’a incitée à me lancer dans la rédaction de cette brochure. Jeune maman, j’avais dû laisser mes jumeaux de 2 mois une nuit à l’hôpital pour un test de sommeil. On m’avait dit : ‘Attendez-vous à devoir revenir pour un deuxième enregistrement, c’est toujours compliqué avec des tout-petits, et encore plus quand ce sont des jumeaux’. Je n’ai pourtant pas eu à revenir, mes enfants ayant passé une nuit très calme, ce qui avait fortement étonné le personnel de l’hôpital. J’ai alors expliqué que j’avais préparé mes jumeaux à cet examen, que je leur avais montré l’environnement hospitalier la veille, que je leur avais expliqué avec des mots simples ce qui allait se passer. Les tout-petits comprennent quand on leur explique, ce que je savais par ma formation de psychiatre. Et puis, j’ai aussi été à bonne école avec mon père, chirurgien pédiatrique, qui passait beaucoup de temps avec ses jeunes patient·e·s avant les opérations. J’avais compris les bienfaits de cette préparation sur le plan psychologique et affectif. »

Qu’est-ce que cela signifie pour un enfant de se retrouver dans une salle d’examen ou une salle d’opération ?
 S. L. : « Pour jouer avec les mots, on pourrait dire qu’un enfant qui entre dans l’univers hospitalier, c’est aussi un enfant qui entre dans un milieu inhospitalier parce qu’il ne le connaît pas ! Le cerveau humain a toujours peur de l’inconnu, il appréhende ce qui va se passer. Tout cela va générer du stress. Et le stress entraîne une diminution de l’immunité, mais aussi un ralentissement des réparations cellulaires après une opération, par exemple. Donc, plus l’enfant est rassuré avant une hospitalisation, mieux c’est. L’idéal, c’est de pouvoir prendre le temps de lui expliquer pourquoi et comment cela va se dérouler, et de donner du sens à son hospitalisation. Un enfant peut traverser beaucoup de situations difficiles si, autour de lui, il bénéficie d’un contexte affectif et bienveillant. Cela lui donne une couverture, une protection face à ce monde inconnu qu’il va rencontrer. Les traumas qui subsistent - et affecteront vraiment sa vie d’adulte - sont souvent dus au contexte insuffisamment entourant, plutôt qu’à l’événement lui-même. »

On peut donc préparer son enfant à cet inconnu, mais y a-t-il d’autres facteurs à prendre en compte ?
 S. L. : « Évidemment, il faut aussi être attentif aux émotions de l’enfant concernant sa maladie, son hospitalisation, son opération… Il va falloir prendre en compte toute la palette des émotions et les besoins qui leur correspondent, ces deux notions étant liées. Par exemple, s’il a peur, l’enfant a besoin d’être rassuré par son doudou ou sa peluche. S’il est en colère, il a besoin de s’exprimer et d’être écouté afin que cette émotion ne se retourne pas contre lui. S’il est triste, il est possible que sa fratrie lui manque. Si c’est le cas, pourquoi ne pas faire venir ses frères et sœurs ? Enfin, ses parents peuvent aussi susciter chez lui fierté et joie d’avoir vécu cette expérience enrichissante. Ainsi, certains en conserveront un excellent souvenir.
 Pour résumer, on peut dire que les émotions sont des guides pour les parents à être attentifs aux besoins spécifiques de leur enfant. Tant avant, pendant, qu’après l’hospitalisation. »

Peut-on s’attendre à des difficultés particulières quand ce sont des enfants de 2 à 6 ans qui sont concernés ?
 S. L. : « Avant de parler des 2-6 ans, on peut dire qu’à tout âge - même à l’âge adulte - une hospitalisation entraîne une régression. Cela nous ramène aux couches archaïques de notre mémoire, avec un rappel de cette période où nous étions dépendants. Si un enfant a eu une mauvaise expérience d’une précédente hospitalisation, celle-ci peut revenir à la surface et créer un stress supplémentaire. Le cerveau mettra alors en place des mécanismes de défense, l’enfant va se contracter et ne sera plus dans les meilleures conditions.
 Si on regarde plus spécifiquement cette tranche 2-6 ans, elle correspond au début à la phase d’opposition, quand l’enfant comprend qu’il est un individu à part entière. Puis, vers 4 ans, l’enfant entre dans une autre phase d’opposition, celle où il teste le pouvoir. Dans ces périodes de ‘Non’, l’enfant fait preuve d’une grande force psychique, mais reste tout de même vulnérable. Pour les parents, l’enjeu est de lâcher la bride là où ils peuvent le faire sans risques, mais de ne pas céder quand il est question de santé ou de sécurité. Comme exemple, on peut parler de la valise : c’est le parent qui la prépare, mais pour impliquer l’enfant, laissons-le choisir ses pyjamas, ses doudous... »

Justement, parlons des parents et, à plus large échelle, de la famille. À quoi doit-on faire attention pour conserver au mieux les équilibres ?
S. L. : « Il y a plusieurs points qui méritent qu’on s’y attarde. Par exemple, le stress que les parents peuvent induire. Si un parent est lui-même stressé, l’enfant va le sentir. Il peut alors se produire un inversement des rôles, l’enfant prenant en charge ce stress et devenant ainsi le parent du parent ! Dans ce cas, le mieux est de laisser l’autre parent accompagner son enfant à l’hôpital ou de demander du soutien à un·e professionnel·le pour se faire aider à comprendre d’où provient cet excès de stress et éventuellement y remédier. Et s’ils sont tous deux trop stressés, ils pourront trouver de l’aide et du soutien auprès d’ami·e·s, de la famille ou de professionnel·le·s.
 Pour ce qui est de la famille, rappelons tout d’abord que c’est un système à part entière, et donc que les frères et sœurs seront impactés par cette hospitalisation. C’est important de ne pas les négliger, de rester à leur écoute. Mettons-les à contribution, en les responsabilisant à leur niveau, par exemple en réalisant un dessin pour décorer la chambre d’hospitalisation. Un danger, quand on se focalise trop sur l’enfant malade, ce sont les conclusions hâtives que peuvent tirer les autres enfants de la famille. Du genre, ‘Ah, d’accord, si je suis malade, papa et maman vont s’occuper plus de moi. Donc je vais dire que je suis malade’. Ou pire, je vais tomber malade ! »

 


Romain Brindeau

 

 

Ils en parlent…

Pas toi, maman

« En raison d’une suspicion de maladie génétique, ma fille de 3 ans et demi a dû subir toute une série de tests médicaux. Je suis allée avec elle aux deux premiers, au troisième et pour tous les autres, elle a insisté pour que ce soit son papa qui l’accompagne. Quand je lui ai demandé pourquoi, elle m’a juste dit : ‘Papa, il est moins bizarre que toi à l’hôpital’. Et elle a mille fois raison. Moi, je stresse à fond, j’anticipe sur tout ce qui peut être négatif. Son papa est bien plus zen. Avec Zoé, ils font de ces examens une mini-aventure où ils s’imaginent être sur une nouvelle planète. Non seulement, elle adore ce moment de complicité, mais, en plus, ça l’aide à passer ces examens super détendue. »
Gabrielle, maman de Zoé, 4 ans aujourd’hui

Rendre l’anormal le plus normal possible

« Je suis infirmière pédiatrique depuis sept ans, je commence donc à avoir une bonne expérience. À mes débuts, j’étais beaucoup trop maternante, beaucoup trop proche de mes petit·e·s patient·e·s. Au fur et à mesure, j’ai appris à prendre un peu de distance, pour le bien des malades. Une partie de notre rôle est de veiller à un certain équilibre de l’enfant, à lui dire les choses sans les minimiser, sans les enjoliver. On y met de la douceur, on choisit bien nos mots, mais derrière, il y a la réalité des soins, de la maladie. J’essaye de rendre l’anormal le plus normal possible, et ça, on y arrive en travaillant avec les parents, avec les frères et sœurs, avec les collègues du monde médical. Ça commence bien avant l’hospitalisation même, il y a tout un travail préparatoire pour que le jour J, tout aille le mieux possible. »
Arantxa, infirmière dans un hôpital liégeois

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