Crèche et école

Et en dehors de l’école…

→ Françoise Meurant, prof de français dans le secondaire

« L’école n’est pas la seule voie »

Beaucoup d’enseignants se disent que la vie de leurs élèves hors des murs de l’école ne les concerne pas. Pourtant, c’est aussi là que ça se passe. C’est là qu’on digère tout ce qui s’est appris à l’école. C’est pourquoi, celle-ci doit s’ouvrir vers le dehors, aux activités extrascolaires notamment. Mais aussi à l’art, à l’expression, à la culture. Expliquons que le terme « culture » n’est pas un gros mot. J’emmène régulièrement mes élèves à des expos. Je tiens à les familiariser à l’art contemporain. À les sortir de leurs habitudes, à leur montrer tout ce qui n’est pas leur culture. L’idée, c’est de confronter ces gosses au monde.
L’école n’est pas la seule voie. Ni leur famille, ni les amis. Il existe d’autres sphères possibles. J’ai un exemple bruxellois qui me tient à cœur : la Zinneke Parade. Un cortège très hétéroclite de plusieurs associations qui ont fait travailler des enfants de tous horizons. Elle met en scène la diversité des langues, des cultures, des origines, la diversité des problèmes et des solutions. C’est un véritable exemple d’ouverture.
On doit sortir les enfants de toute forme de communautarisme qui les guette. Encore une fois, un système plus juste conduit à la véritable indépendance des futurs citoyens. C’est notre mission principale.

Jim, 16 ans, en 4e secondaire

En fait, quand on va au musée, on est surtout content de se marrer avec les potes. Les tableaux et tout ce qu’on y voit, on s’en bat un peu les genoux. Si ça va me servir pour ma vie d’adulte ? Ouais, quand je travaillerai dans un bureau, ce sera super de parler de Van Gogh. Non, ce qui est bien, c’est qu’il y a des profs qui sont ouverts à l’électro, au graffiti, au break et qui nous disent bien que ça aussi, c’est de la culture. Ce qui ne plaît pas à mes parents.

Lydia, enseignante, maman de deux enfants de 3 et 8 ans

Je pense que ça, c’est la grosse rupture avec les générations précédentes de profs. Avant, on estimait qu’une petite sortie de temps en temps dans un centre culturel, c’était gagné. Ça ennuyait 80 % des gosses. Aujourd’hui, dès le plus jeune âge, on s’appuie vraiment sur les structures type asbl, galeries ou même certains artistes pour développer toute une pédagogie culturelle. On leur montre que c’est important. On les implique. On les fait participer. J’ai le sentiment que ça va exploser parce que des tas de lieux culturels, jadis hermétiques, mettent l’accent sur cette forme d’éducation. Je pense qu’une révolution culturelle est en marche.

Mehdi, vendeur, papa de deux enfants de 9 et 11 ans

Je partage l’enthousiasme de Lydia. Même dans le fin fond du pays, les écoles s’organisent pour multiplier les activités et sorties culturelles. Les œuvres picturales, la musique, le théâtre donnent l’impression que les murs des écoles sont devenus plus élastiques. Mes gosses vont régulièrement au théâtre depuis qu’ils ont 4 ans, pour quelques euros seulement. Moi, j’ai pourtant fréquenté une école du centre-ville à Bruxelles et le théâtre, je n’y ai pas mis les pieds avant que ma petite amie de l’époque ne m’y invite. J’avais 20 ans.

Caroline, professeur, maman d’une fille de 14 ans

C’est bien de s’intéresser à cet aspect de la vie des enfants. Parce que le dehors, c’est vraiment la troisième voie. Beaucoup de parents la craignent. Pour ma part, je la chéris. Ce que je dis à ma fille, c’est que l’espace hors de la maison et de l’école, c’est comme un labo. Elle peut faire toutes les expériences qu’elle souhaite, à condition qu’elle ne se mette pas en danger. De la grossesse prématurée aux tatouages, en passant par les drogues dures. Je lui fais une confiance aveugle et n’ai jamais eu à le regretter. Le voilà, mon cordon de sécurité.

Suzy, 19 ans, étudiante en faculté de droit

On dirait que parents et professeurs fantasment sur ce que font les élèves une fois que l’école est terminée. Comme si eux n’étaient jamais passés par là. Si je n’ai pas trop envie de parler le matin, il y aura toujours un adulte pour me dire : « T’as encore trop fait la fête ». Sous-entendu, tu t’es défoncée ou t’as couché, ou les deux ! On n’est pas ces chiens en chaleur que les parents et l’école veulent bien imaginer. Je fais la cuisine pour mes amis. On joue à des jeux de société. On discute de l’actualité. Et parfois même, on s’engage. Bah, quoi ? Nous aussi nous sommes des adultes.



Yves-Marie Vilain-Lepage

Ce qu’on en pense

Sur la pédagogie culturelle, nous partageons votre enthousiasme. Tous les jours, nous sommes approchés par des acteurs de terrain qui œuvrent pour une ouverture éducative globale. Est-ce que cela contribue à une société plus cultivée ? C’est un autre débat. Bernard Rey nous dit : « Tout ce qui se passe en dehors de l’école, c’est aussi ce qui va déterminer le futur citoyen ». Beaucoup de choses qui se passent dans la vie de l’enfant échappent à l’école. C’est pourquoi il est capital d’insister sur la différence entre « savoir » et « mode explicatif » insiste notre expert. Parents et professeurs doivent conduire les enfants à réfléchir par eux-mêmes afin qu’ils exercent leur esprit critique. C’est le but d’une société démocratique. Il y a un truc à jouer à ce niveau-là, à l’école. Comment les parents peuvent-ils y contribuer ? Toute la question est là.

Ce qu’on fait 

Des activités extra-scolaires ? Très bien. Sauf quand certains parents peuvent payer et pas d’autres. Ce n’est pas qu’une question de riches et de pauvres. Le service études de la Ligue des familles observe que la classe moyenne a de plus en plus de mal à financer les activités extra-scolaires. Quand ils ne sont pas complètement dépassés par la gestion de l’emploi du temps. Voilà pourquoi il semble impératif de réfléchir à une solution pour mettre sur pied une synergie entre les activités sportives, culturelles et l’école. Il faut que celle-ci soit entièrement gratuite. C’est d’ailleurs un des leviers sur lequel la Ligue appuie pour le Pacte d’Excellence, mais… on attend !

Zoom

Voir avec les yeux de l’autre…

D’abord parce qu’il n’y a pas un parent, mais des parents. Collaborer avec ceux qui sortent de l’université ou ceux qui ne sont pas allés à l’école pour x raisons, ce n’est pas la même chose. Alors quoi ? Il faut se rencontrer. « Des études ont fait apparaître que les parents dits ‘moins armés’ sont tout de même très concernés. Ils se disent que c’est en faisant des études que leur enfant aura une vie meilleure que la leur », explique Bernard Rey. Mais ils ont peur de condamner leur gosse. « Le prof va voir que je ne m’exprime pas bien, ça va pénaliser mon enfant ». Le pire, c’est que c’est peut-être vrai. Il y a peut-être de la discrimination.
« On doit montrer qu’on respecte tout le monde. Ne serait-ce que pour l’enfant. Il ne doit pas être dans un conflit entre deux mondes. C’est impossible pour lui d’articuler les deux, tout seul », conclut le professeur de pédagogie à l’ULB. Il suffit juste d’échanger quelques mots en présence de l’enfant, ça lui montre qu’il y a un dialogue, que tout le monde avance dans un même but : son avenir.
L’idée d’organiser quelques rendez-vous individuels entre ces parents et les profs est intéressante. Pas pour dire que ça va mal. Juste pour se parler. Voir avec les yeux de l’autre comme le préconise plus haut Liza. Que chacun reprenne confiance. Que chacun soit réhabilité aux yeux de l’enfant. Le contraste avec tout ce qui est en dehors de l’école sera plus fluide. Cette mer calme, c’est peut-être la meilleure façon de donner de la force à son enfant et de se sentir bien tous ensemble, dans le même bateau.

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