Développement de l'enfant

Catherine Vanham, logopède, formatrice et fondatrice de l’asbl Mathémô, vient de publier Dis-moi comment apprendre (Mardaga). Son idée ? Expliquer les mécanismes d’apprentissage et les mettre en pratique en famille. En un mot, comment apprendre à apprendre. On en parle avec cette irréductible passionnée qui a sorti pas mal de petit·e·s de l’impasse scolaire.
Généreuse de son temps, généreuse en explications, Catherine Vanham s’est donné une belle mission : permettre à chacun·e de se mettre en appétit d’apprendre. Logopède, elle fonde Mathémô, une asbl qu’elle définit comme un centre indépendant de rééducations cognitives. Si parfois ses mots sont étonnants, tout son travail est précis, riche et on ne peut que vous encourager à parcourir son dernier opus en toute confiance. D’ailleurs, de quelle réalité de terrain est-il né ?
Catherine Vanham : « L’idée, c’est que nos enfants évoluent dans une société où lorsqu’ils ont des lacunes, on les enferme dans une case. On les laisse en souffrance, on ne se préoccupe pas de leurs difficultés à apprendre. J’utilise souvent cette image d’Astérix pour parler d’eux. Eux ne sont pas tombés dans la potion magique, contrairement aux Obélix scolaires. Or, ces Astérix sont nombreux. Une grosse partie des enfants ne savent pas apprendre. Ils entrent en secondaire et n’ont jamais appris à apprendre. »
Tout votre travail est basé sur la découverte de son propre fonctionnement neuronal pour mieux s’outiller. Vous pouvez l’expliquer ?
C. V. : « C’est ce que l’on appelle la métacognition, la représentation que l'élève a des connaissances qu'il possède et de la façon dont il peut les construire et les utiliser. Comment aider mon enfant à prendre conscience des gestes mentaux ? Comprendre. Imaginer. Anticiper. Ce sont des gestes implicites. À aucun moment, les petit·e·s ne sont en apprentissages de cela. Mon objectif dans ce livre et dans le travail que j’effectue auprès des élèves, consiste à apprendre à apprendre. Que les enfants sortent de l’idée qu’être bon en classe ou simplement se remettre sur les rails, ce n’est pas juste écouter, être sage, rester assis et avaler une certaine quantité d’infos. »
Pouvez-vous donner un exemple ?
C. V. : « Très concrètement, on répète souvent à son enfant ou à un enfant que l’on fait travailler en classe : sois attentif. Il ou elle prépare sa dictée et lit, par exemple, le mot ‘maison’. Il s’imagine dedans. Il voit une forme géométrique. Mais il ne pense pas les lettres m-a-i·s-o-n. Mon idée, c’est ça, lui dire : ‘Vas-y, penses-y, vois l’image et essaie d’y associer une écriture’. Un petit dialogue se met alors en place. L’enfant va donc se donner de plus en plus les outils pour apprendre. »
Vous partez du cerveau pour expliquer que les écrans sont souvent une entrave à l’apprentissage. Quelle mécanique se met en place ?
C. V. : « Le cortex cérébral comporte différentes zones, dont les fameuses zones endogènes et zones exogènes. Aujourd’hui, la société porte vers celles exogènes. Les vibrations, la lumière, les sons… qui font appel à la partie la plus archaïque du cerveau. Avec les écrans, les enfants sont pris dans un tourbillon d’attention exogène et ne développent pas assez les zones endogènes. Elles ne sont plus assez stimulées, à savoir ‘cette chose que je touche, je lui donne une existence mentale. Je l’écoute pour la faire exister, pour la représenter. Je la touche avec un projet’. Trop d’écrans éloigne de cette gymnastique. Là, le parent doit surveiller, continuer à contrebalancer. On peut jouer, par exemple, à des jeux intelligents qui vont fortifier les zones de planification stratégique du cerveau. Il est important de développer les facultés mentales pour encourager autre chose que des infos simples, pleines de couleurs, de trucs symboliques qui ne stimulent rien. »
Quelles sont leurs conséquences sur la façon d’apprendre ?
C. V. : « Le fonctionnement du cerveau des enfants a changé. Les cours ? L’enfant attend que ça rentre. Il est happé. Il ne met plus d’attention en route. Il reçoit tellement d’infos qu’on voit régulièrement des petit·e·s devant leur livre de lecture qui attendent que ça bouge. La neuro-éducation, la gestion mentale met en place des mécanismes efficaces, de quoi fortifier les enfants qui ne suivent pas. C’est dommage que l’on ne s’intéresse pas plus au fonctionnement du cerveau. C’est une planète passionnante, ‘La planète tête’, comme je l’explique souvent aux parents et à leurs enfants. On y découvre plein de choses qui vont permettre de mieux se comprendre pour mieux apprendre. Il ne faut plus croire qu’un enfant peut raccrocher les wagons à l’école sur un simple ordre. »
Comment est-ce que vous travaillez avec les enfants ?
C. V. : « En pratique, je propose une petite mise en place, une sorte de gymnastique. Je regarde. J’observe. Stop. J’évoque. D’abord je cogite, puis je m’agite. En tant que logopède, j’ai travaillé avec beaucoup d’enfants dysphasiques. Je leur demande de penser avant de produire. Trouver d’abord une représentation mentale. Idem avec les TDAH (troubles de l’attention avec hyperactivité). Un exercice, une phrase, un calcul ? Arrête-toi. Digère l’information. L’idée consiste à stopper l’impulsivité de l’enfant. À partir du moment où on l’accompagne dans cette gym quotidienne, on poursuit la dynamique de rééducation.
Dans mon livre, je propose des exercices que le parent peut faire tous les jours. C’est aussi bénéfique pour eux que pour leurs enfants. Souvent, j’ai des profs, des professionnel·le·s qui me disent : ‘C’est moi que vous aidez, là’. Parce que tou·te·s réalisent très vite l’importance de comprendre comment on fonctionne. Vous entendez souvent des personnes qui vous disent : ‘Je suis visuel, moi’ ou ‘Ah, moi, je suis plus auditif’. C’est dépassé. On fait tous tout. Les dysphasiques fonctionnent uniquement sur des images mentales. Les dyspraxiques, à l’inverse, ont énormément de mal, mais sont de petits avocats en puissance, alors, on va les aider à se faire un discours, à se parler, pour leur permettre de voir dans leur tête. Tout enfant peut réussir quand il prend conscience de ses forces. Souvent il a des facultés terribles qu’il ignore. On va déverrouiller des portes bien fermées. Et parfois, si elles doivent rester closes, alors on va apprendre à les contourner. »
Votre livre ne s’adresse pas qu’aux élèves en difficulté ?
C. V. : « Il s’adresse à tous. La prise de conscience est toujours utile. Il est fondamental de donner des appuis à un enfant. De lui dire qu’en cas de panique, il peut toujours faire appel à l’équipe mentale. Et pour ça, il faut permettre à l’enfant de se connaître. Idem pour les adultes, d’ailleurs. Par exemple, j’ai toujours été une bonne élève. Mais j’ai évolué à l’école avec cette idée que j’étais une véritable usurpatrice. En me formant, j’ai pris conscience que je m’appuyais sur un pilier : la créativité. Ça m’a rassurée. Je me suis dit : ‘Bon, je ne sais pas faire ça. Mais je suis bonne en ça’. Ça réconforte énormément, parce que ce sont des points que l’on nomme rarement. Pourquoi un élève ne réussit pas ? Pourquoi a-t-il échoué alors qu’on sait qu’il a les capacités de réussir ? On n’en parle pas. On ne cherche pas à comprendre comment il fonctionne. Alors que ça rebooste l’estime de soi de découvrir ses propres chemins mentaux. Ne pas se laisser classer. Ne pas appartenir à un neuro-mythe, type ‘Oui, les maths, j’y arrive pas, c’est comme ça’, c’est fondamental. »