Crèche et école

En 2018, nous rencontrions Jean-Marc Loutsch et Françoise Dessy, suite à leur publication à quatre mains de Je suis un élève à problèmes. Nous y découvrions leur personnage, Jérôme, et ses problèmes de dyslexie. Jean-Marc et Françoise ont donné une suite à ses aventures dans Je suis un élève en chemin.
Eux aussi ont fait du chemin. Nous avons rencontré Françoise Dessy (Jean-Marc Loutsch a quitté l’enseignement) pour évoquer son accompagnement d’élèves en difficultés. À quoi tiennent les choix d’une vie ? Au sortir d’humanités classiques à Bastogne, Françoise Dessy hésitait entre des études littéraires ou d’assistante sociale. « La logopédie m’est apparue comme le bon choix, se souvient-elle. Elle alliait d’une certaine façon les deux, bien que la logopédie ne concerne pas uniquement les troubles du langage, oral ou écrit ».
Au cours de ses études, elle rencontre une professeure, Françoise Estienne, qui lui fait découvrir la gestion mentale, approche initiée par Antoine de La Garanderie. « Elle va prendre une grande place dans mon parcours et influencer ma vie toute entière, en tant que femme, en tant que maman aussi, ajoute-t-elle. Elle a influencé ma manière de voir les choses, par l’écoute, l’accueil, le non jugement, qui sont au cœur de la gestion mentale. J’ai essayé de l’appliquer à ma vie de maman. La vie est un apprentissage. Chaque difficulté est là pour nous apprendre quelque chose. Il faut essayer d’en tirer des forces. Comme je le dis dans le livre, ‘La vie est un chemin sur lequel chacun s’engage avec son propre bagage qu’il dépose, qu’il complète, qu’il modifie au gré des étapes’ ».
Un cheminement permanent
Munie de son diplôme de licence en logopédie, elle s’installe comme indépendante avec une amie, en s’appuyant sur deux leitmotivs : la formation continue et le travail pluridisciplinaire. « Travailler seule dans son coin ne me paraît guère porteur, précise-t-elle. Être à deux permet d’échanger, de préparer ensemble les suivis, de développer les contacts avec les intervenant·es autour des patient·es, notamment les enseignant·es ».
De fil en aiguille, elle complète son expertise par des certificats d’université, dont un autour des enfants à haut potentiel à l’UMons où elle rencontre Victor Braconnier, « une autre des personnes qui ont marqué mon parcours ». Depuis longtemps, elle nourrissait le rêve de créer un espace pluridisciplinaire, avec différentes professions gravitant principalement autour de l’enfant et de l’adolescent. En 2008, elle fonde le Centre En-Vol à Bastogne. Nourrie de ses expériences, lui vient l’envie de transmettre sa manière de travailler, sa vision pluridisciplinaire d’une situation et l’apport de la gestion mentale dans sa pratique.
« Les résultats scolaires ne sont en définitive qu’un indicateur et pas toujours le reflet des capacités de l’enfant »
« Avec Jean-Marc Loutsch, nous avons eu l’idée d’une présentation sous forme de roman pour sortir des sentiers battus. Un livre qui ne propose pas de recettes toutes faites, qui ne soit pas un essai ». Dans la foulée de Je suis un élève à problèmes, les deux primo-romanciers mettent sur pied un spectacle qu’ils vont jouer à l’invitation d’écoles ou d’associations de parents pour susciter à nouveau des échanges.
Des changements de fond en éducation
Puis la pandémie, suivie du confinement, a mis la société sous cloche. « Professionnellement, je l’ai mal vécu vu l’absence de perspectives, confesse Françoise Dessy, mais cette période m’a permis de me reconnecter à ce que je souhaitais vraiment. Ce fut une période de transition avec plein d’inconforts comme toute période de transition ». Elle décide de se réorienter vers la formation d’adultes, enseignant·es, parents, logopèdes, avec une conviction : « La vision proposée par Antoine de La Garanderie appliquée à l’éducation, à l’enseignement, à la formation me semble essentielle. Si on veut avancer dans ces domaines, il faut un changement de fond. Une piste réside dans une approche de co-enseignement entre profs et d’autres professions comme il s’en pratique au Québec. C’est une des idées maîtresses du deuxième livre qui prône par ailleurs ‘l’être’ plutôt que ‘le faire’. La gestion mentale propose un changement de posture de l’adulte face au jeune. Plutôt qu’une attitude hiérarchique, elle privilégie un accompagnement de l’enfant, où chacun est côte à côte. L’enseignant·e donne essentiellement des matières, suit un programme. La gestion mentale, elle, aborde plutôt les stratégies d’apprentissage : comment fais-je pour être attentif, pour mémoriser, pour comprendre… ? On part des ressources du jeune, on l’accompagne dans la découverte de ses fonctionnements, on lui fait des propositions pour l’amener, petit à petit, à enrichir lui-même ses stratégies. L’idée est de mettre l’enfant au centre et de le rendre plus actif et plus participatif, pour qu’il se sente plus concerné et booster ainsi sa motivation, sa confiance en soi. Être là sans se montrer trop intrusif. Comme le dit le pédagogue André de Peretti, être présent sans pression et distant sans absence. Souvent, les adultes ont tendance à imposer leur propre fonctionnement aux jeunes. Ou bien, ils projettent souvent sur l’enfant leurs propres désirs et ce qui fait sens à leurs yeux. Le livre, par exemple, met en évidence leur souci des résultats scolaires qui ne sont en définitive qu’un indicateur et pas toujours le reflet des capacités de leur enfant ».
Réussite pour tou·tes ?
Échec scolaire, Pacte d’excellence, diplômes… La réussite est pourtant au cœur du système scolaire et des préoccupations des parents. Françoise Dessy aime relativiser ce concept de réussite.
« Le problème est complexe. Je suis partisane de tirer les enfants vers le haut en sachant que chacun est différent. Tout le monde ne peut pas faire la même chose de la même façon. Chacun a ses propres ressources. Le système est tel qu’il oublie parfois que l’objectif à atteindre est l’autonomie, explique la logopède. Il est important de préparer les jeunes au monde de demain qui ne va pas être facile à vivre. J’ai l’impression qu’on perd parfois cela de vue, à l’école comme à la maison. La réussite pour tou·tes, oui, mais la réussite dans ce que chaque jeune est. La réussite de l’un ne va pas être la même que celle d’un autre. C’est important de se concentrer sur les matières, mais aussi sur des fonctions fondamentales, comme l’anticipation, la flexibilité, l’autonomie, l’intégration, etc. Sur ces questions, l’école et la maison ne peuvent pas être distinctes. Chacune a son rôle à jouer. Par exemple, si un parent est toujours à côté de son enfant pour l’aider à faire ses devoirs, il ne va pas lui apprendre l’autonomie. Le parent est là pour guider son enfant dans l’apprentissage sans faire le travail à sa place. »
Tout un village
Un proverbe africain dit qu’« il faut tout un village pour élever un enfant ». Au Ligueur, nous en avons fait une ligne de force et nous avons souvent insisté sur la triangulation profs-élèves-parents. Dans Un élève en chemin, et dans la foulée de sa pratique à En-Vol, Françoise Dessy ajoute un·e quatrième partenaire très présent·e aussi dans nos articles : l’intervenant·e extérieur·e (psychologue, logopède, etc.). Contactée par le directeur de l’INDse 1er degré à Bastogne, elle a intégré l’établissement scolaire pour quelques heures et a pu expérimenter ce partenariat.
« L’idée était de partir du terrain, de ce qui existe pour transformer petit à petit l’approche pédagogique. Chacun a des choses à apporter. Cela reste néanmoins deux mondes différents. Il faut du temps pour qu’ils puissent s’ouvrir l’un à l’autre. »
Dans Un élève en chemin, les condisciples de Jérôme ont aussi un rôle déterminant, en particulier l’un d’eux. « La gestion mentale peut aussi apporter quelque chose à ce niveau, se réjouit Françoise Dessy, car son but est d’accompagner les élèves dans la découverte de leur potentiel. À l’école, j’ai pu mettre en place des temps de partage en groupes sur le plan méthodologique. On a pu se décadrer d’un cours ordinaire et c’est extrêmement riche comme échange de stratégies et partage de ressources. Parfois je ne peux plus arrêter ces jeunes ! Ainsi que je l’explique dans le livre, le groupe constitue en effet une véritable force où chacun des membres constitue une forme de levier pour les autres. C’est possible si, évidemment, on accepte d’aménager la grille horaire et le programme ».
LIRE
Je suis un élève en chemin
Roman à quatre mains, Je suis un élève en chemin est aussi un roman choral dans lequel interviennent à tour de rôle Jérôme, l’élève, sa titulaire, son ami Dylan, son père, sa mère, la direction de l’école, la logopède qui explique souvent sa démarche, comme les habitudes évocatives, le schéma centré, les gestes mentaux, etc.
Roman d’apprentissage, voire roman pédagogique, Je suis un élève en chemin montre un jeune qui a le désir d’avancer malgré ses difficultés, mais pour qui cela n’est possible que si tous les acteurs autour de lui se mettent aussi en route. « On peut reprocher à ce livre d’être trop positif, reconnaît l’autrice. C’est voulu. Nous avons fait ce choix car nous voulions mettre en avant des pistes de solutions ». Là aussi, comme au Ligueur…
- Je suis un élève en chemin, de Françoise Dessy et Jean-Marc Loutsch (Memory).
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