Vie pratique

Jalousie et rivalité : comment les parents peuvent déjouer les tours

La fratrie, c’est l’histoire d’un·e grand·e qui perd sa place d’unique et celle d’un·e petit·e qui éprouve un manque

La fratrie, c’est l’histoire d’un·e grand·e qui perd sa place d’unique et celle d’un·e petit·e qui éprouve un manque. Alors, ils et elles comptent pour savoir qui aura le plus. Heureusement, les parents ont plusieurs cordes à leur arc pour couper le sifflet de la rivalité.

Maureen*, 3 ans, vient d’être grande sœur. Depuis que son petit frère est né, elle est jalouse. En particulier au moment des tétées. Caroline*, sa maman, raconte. « Au début, je pouvais allaiter et m’occuper de Maureen. Mais, en grandissant, Louis* devenait distrait et tétait moins bien, j’allais donc m’isoler. C’était très compliqué à vivre pour Maureen ».

À peine née et déjà rivale

« La fratrie se crée à partir d’un vécu douloureux de perte chez l’ainé, explique Nicole Prieur, psychologue et auteure du livre Arrêtez de vous disputer ! (Albin Michel). Pour l’aîné, l’arrivée du second entraîne un profond sentiment de perte et une menace existentielle très forte. Le regard parental se détourne et l’enfant a le sentiment de compter moins. »
Pas de chance pour Caroline, la naissance de son second coïncide avec le confinement. Pas de ressources à puiser chez un grand-parent ou un·e baby-sitter pour consacrer des temps exclusifs sans mettre l’un ou l’autre de côté lorsque papa n’est pas là. C’est vers le livre Frères et sœurs sans rivalité d’Adele Faber et Elaine Mazlish (Aux Éditions du Phare) que Caroline se tourne pour puiser des idées.
Plongée dans le livre, elle découvre une mise en situation : comment vous sentiriez-vous si votre moitié ramenait sa nouvelle conquête à la maison ? L’exercice parle à Caroline qui prend conscience de ce que sa grande vit. La maman pioche aussi des pistes concrètes à mettre directement en application.
Une phrase retient particulièrement son attention : quand on insiste pour que les frères et sœurs s’aiment, ils finissent par se détester. Quand on permet aux frères et sœurs d’exprimer leurs sentiments négatifs envers l’autre, ils finissent par s’aimer.
« Ça a été une révélation dans mon nouveau rôle de maman d’une fratrie. J’ai pu parler avec ma fille de l’ambivalence des émotions et reconnaître qu’avoir un petit frère ça pouvait procurer de la joie et de l’amour mais aussi être source de colère et tristesse. »
Traductrice et éditrice des livres de Faber et Mazlish, Roseline Roy explique que « L’écoute des sentiments est toujours la première étape. Tout être humain a besoin d’exprimer ses sentiments et qu’ils soient reconnus ». En pratique, une petite phrase toute simple du style « Tu trouves que je passe plus de temps avec ton frère. Qu’est-ce qu’on pourrait faire pour que tu sentes que toi aussi tu as ta part ? » peut déjà avoir beaucoup d’effet. Chez Caroline, c’est Maureen qui lance l’idée de pouvoir regarder un dessin animé au moment des tétées. C’est aussi elle qui réclame un moment seule avec maman après.
Depuis la naissance du petit frère, Caroline et Maureen ont ainsi un code : le pouce levé. Quand Maureen fait le geste, elle signale à sa maman qu’elle a besoin d’un moment exclusif. Si c’est possible, Caroline lève aussi son pouce et toutes deux s’éclipsent pour recharger leur réservoir.

Roseline Roy - Traductrice et éditrice des livres de Faber et Mazlish
« On est dans une société où on pense qu’il faut tout régler. C’est faux. L’enfant est le spécialiste de sa propre cause »
Roseline Roy

Traductrice et éditrice des livres de Faber et Mazlish

« Quand l’enfant sent qu’il a une oreille empathique, ça le libère et il se met en recherche de solutions, souligne Roseline Roy. C’est aussi ça la beauté de l’approche Faber et Mazlish, c’est qu’elle est orientée solution et qu’elle mobilise l’enfant dans cette recherche. Depuis trente ans que je pratique, les enfants m’impressionnent toujours par leur capacité à trouver des solutions adaptées à leur situation. On est dans une société où on pense qu’il faut tout régler. C’est faux. L’enfant est le spécialiste de sa propre cause. »
Chez Sophie*, c’est la cadette qui est en souffrance, jalouse des privilèges de sa grande sœur. Lisa* vit, par exemple, comme une injustice le fait que sa sœur aille au lit plus tard. « On n’arrive pas à la raisonner, la jalousie prend le dessus et déclenche de grosses crises de colère ».
Ce témoignage rejoint l’analyse de la psychologue Nicole Prieur. « Du point de vue du cadet, c’est le sentiment de manque qui domine. Puisque la relation fraternelle se construit sur un sentiment de perte chez l’ainé et de manque chez le cadet, les enfants vont compter et la rivalité va s’installer ».

En finir avec le mythe de l’égalité

Quand les enfants font les comptes et qu’ils veulent prendre leurs parents en traîtres, difficile de savoir comment réagir. Se réclamer d’une certaine égalité ou, au contraire, assumer un traitement différencié ?
Les parents d’Alex* ont misé sur le principe d’égalité. Jusqu’à la fin du secondaire, leur position tient la route. Mais lorsque l’aîné entame un cursus universitaire et accède à un kot, les choses se corsent. Au terme des études, le cadet a fait ses comptes : le logement de son grand frère a coûté 8 000 €, il aimerait donc disposer de la somme équivalente.
Chez Sophie aussi, les parents sont à cheval sur l’égalité. « Mes sœurs aînées n’ont pas kotté, du coup, je n’ai pas pu non plus. Mes parents avaient un grand souci d’être justes avec chacune de leurs six filles. S’ils donnaient une somme d’argent à l’une, ils faisaient pareil pour les autres ».
Pour Astrid*, maman de trois garçons de 1 an et demi, 6 et 8 ans, ce qui compte, c’est l’égalité de traitement. « Les règles de la famille sont valables pour tout le monde, y compris Antoine*, le dernier. Il commence à frapper, je le gronde et j’instaure le coin. J’ai vu que les grands vivaient ça comme quelque chose de juste ».
« Je n’ai jamais été partisane de l’égalité, assume Candice*, maman de trois enfants de 8, 10 et 12 ans. Mon aînée souffre d’un trouble de l’attention, on consacre plus de temps pour la soutenir dans son travail scolaire et on est aussi plus coulant au niveau de ses résultats. J’adapte le discours et les attentes en fonction de chaque enfant et de ses capacités. »
Même son de cloche chez Nathalie, maman de trois enfants de 2, 6 et 8 ans. Les rituels de mise au lit, l’attention ou le temps dédié avec l’un ou l’autre varie en fonction des besoins de chacun.

« Plus on compare, plus on alimente la rivalité et les conflits dans la fratrie »
Roseline Roy

« L’égalité est un mythe, commente Roseline Roy. Plus le parent attire l’attention des enfants sur l’égalité, plus l’enfant cherchera la faille ». Faites le test et donnez cinq bonbons à vos enfants en insistant sur le fait qu’ils reçoivent le même nombre… ils trouveront toujours qu’ils n’ont pas les mêmes couleurs ou formes !
Le titre du chapitre quatre de Frères et sœurs sans rivalité est sans équivoque : Donner pareil, c’est donner moins. Dans une scène de vie, un cadet se plaint auprès de son père d’avoir reçu moins de crêpes que son aîné. Dans la première série, le père se justifie et répond qu’il a donné à chacun quatre crêpes de taille égale. Faber et Mazlish recommandent plutôt de se concentrer sur les besoins individuels de chaque enfant, ce qui donnerait la réponse suivante : « Oh ! As-tu encore faim ? Aimerais-tu la moitié d’une crêpe ou as-tu assez faim pour une entière ? ».
Nicole Prieur confirme. « Cessons de croire en l’égalité dans la fratrie. Aucun enfant ne représente la même chose pour ses parents, mais différences ne veut pas dire préférences. Chaque enfant est singulier et c’est cette singularité qu’il est essentiel de faire valoir, sans la mettre en concurrence ».

Comparaison n’est pas raison

On touche là un enjeu crucial de la relation fraternelle : la comparaison. « Plus on compare, plus on alimente la rivalité et les conflits dans la fratrie », explique Roseline Roy. « Regarde, ta sœur est déjà prête » ; « Prends exemple sur ton frère qui mange de tout ». Les mots sortent, impossible de les rattraper. Pourtant, vous savez qu’ils n’amènent rien de bon.
Astrid envisage les comparaisons sous un autre angle. « Quand mon second est entré en primaire, j’ai réalisé à quel point il avait des facilités en lecture comparé à son grand frère. C’est aussi en les comparant que j’ai pris conscience du soin en écriture de l’aîné, cela me permet de les valoriser chacun dans leurs forces ».
Stéphanie Haxhe, docteure en psychologie, constate que les fratries de trois du même sexe sont celles où le risque de rivalité et de conflit est le plus important. « Le chiffre trois favorise les alliances deux contre un. Le fait d’être du même sexe augmente aussi les possibilités de comparaison ».
Pour éviter la comparaison permanente, Stéphanie Haxhe utilise une image parlante : chacun sa niche. « Quand chaque membre de la fratrie a sa niche, il délimite son territoire et réduit le terrain de la rivalité ». Prenons en exemple le fameux « Tu l’aimes plus que moi » et passons-le sous le scan de l’approche Faber et Mazlish.
« Rien ne sert de nier ou de contre-argumenter en expliquant qu’il y a assez de place pour tout le monde dans votre cœur, répond Roseline Roy. L’enfant qui se sent moins aimé a besoin d’être reconnu et que son parent le rassure de son amour ».
L’approche conseille d’utiliser le compliment descriptif pour citer ce que vous aimez chez lui : « J’aime ta vivacité d’esprit, j’aime ton énergie, j’aime te voir te réveiller le matin de bonne humeur ». « Reconnaître que chaque enfant est unique. L’acter en accordant à chaque enfant un temps exclusif et privilégié renforce son sentiment d’exister et d’être important », conclut Nicole Prieur.

*Prénoms modifiés

À LIRE

Pour les parents

Frères et sœurs sans rivalité, Adele Faber et Elaine Mazlish (Aux Éditions du Phare). Le livre s’appuie sur les expériences et échanges des ateliers fratrie organisés par Adele Faber et Elaine Mazlish, mères de famille américaines et co-auteures de l’approche Parler/Écouter. Le manuel reprend des réflexions et dialogues et présente sous la forme de bande dessinée des situations-types autour de l’expression des sentiments, de la coopération entre enfants, des rôles de « bourreaux » et « victimes »… Plus d’infos : fabermazlish-aep.com

À LIRE

Pour les enfants

La sélection littérature jeunesse d’Isabelle Derumier, du prix Bernard Versele et de la bibliothèque de la Ligue des familles

0-3 ans

  • Petite sœur, Iris de Moüy (l’école des loisirs -Loulou & cie)
  • La chaise, Peter Ezra et Jack Keats (Didier jeunesse)

Dès 3 ans

  • Alphonse, tu mets de la boue partout !, Daisy Hirst (Albin Michel jeunesse)
  • Le premier frère de Mimi Quichon, Anaïs Vaugelade (l’école des loisirs)
  • L’aventure du dégât des eaux, Marie Darrieussecq et Nelly Bluementhal (Albin Michel jeunesse)
  • Sur les genoux de maman, Ann Herbert Scott et Glo Coalson, (l’école des loisirs)
  • Tromboline et Foulbazar : Le Petit Frère, Claude Ponti (l’école des loisirs)

Dès 6 ans

  • Max est jaloux, Dominique Saint-Mars et Serge Bloch (Calligram)
  • Sœurs et frères, Claude Ponti (l’école des loisirs)
  • Mon frère et moi, Yves Nadon et Jean Claverie (Gallimard jeunesse)

VÉCU

La fratrie comme ressource

« Entre mes deux grands, il y a énormément de jeux et de complicité et une passion commune pour le football. Le fait d’être grands frères a aussi augmenté leur estime d’eux-mêmes.
À l’âge adulte, avoir une fratrie offre un fameux soutien. Avec mes frères et sœur, on peut compter les uns sur les autres. Quand maman a eu un cancer, on a fait un planning pour qu’elle ne soit jamais seule à ses chimios. Encore aujourd’hui, deux ans après, on essaye d’être attentif à elle à tour de rôle. »
Astrid, maman de trois garçons de 1 an et demi, 6 et 8 ans et membre d’une fratrie de quatre enfants

« J’ai découvert assez tard qu’on pouvait ne pas s’entendre entre frère et sœur. Les miens sont une priorité, je les défendrais envers et contre tout. On se ressemble physiquement, on a les mêmes idées politiques, une vision de la vie assez similaire, ça facilite notre complicité. Ça ne nous a pas empêché d’être jaloux les uns des autres ou de nous disputer. »
Candice, maman de trois enfants de 8, 10 et 12 ans et membre d’une fratrie de trois enfants

« Les deux grandes sont super complices depuis que la seconde est entrée en secondaire. Elles sont presque dans un rapport de copines, s’échangent des fringues, papotent musique, discutent beaucoup. La dernière souffre de jalousie envers sa sœur du milieu. Ses blessures font écho aux miennes. Enfant, je me trouvais aussi plus moche ou plus nulle que mes sœurs et j’avais l’impression de compter moins et de ne pas vraiment avoir une place différenciée des autres.
Par ailleurs, depuis que l’état de santé de notre père décline, notre fratrie s’est fort divisée, il y a des alliances, nos rapports se sont distendus. Il m’a fallu ce clash pour réaliser à quel point la fratrie était une ressource pour moi. »
Sophie, (belle-)maman de trois filles de 10, 14 ans et demi et 20 ans et membre d’une fratrie de six filles